Élargir les frontières de l'action syndicale

Nouvel Ordre mondial


Un nombre croissant de syndicats établissent des liens au-delà de leurs frontières dans le but de promouvoir les intérêts des travailleurs.
Les événements qui ont secoué le monde du travail au cours de la dernière année — qu'on pense à la crise du secteur manufacturier, la remise en cause des services publics ou les allégations de collusion dans l'industrie de la construction — ont eu pour conséquence de braquer l'attention sur la partie la plus perceptible et la moins attirante de l'action syndicale.
En cette traditionnelle rentrée de septembre, il est bon de s'arrêter aux véritables initiatives, sans doute moins visibles, qui préoccupent les syndicats à l'heure de la mondialisation de l'économie.
Qu'ont en commun en effet le travailleur guatémaltèque dans un champ de Joliette, le mineur travaillant pour la canadienne Barrick Gold au Chili, l'ouvrier de Renault en Roumanie, ou encore le technicien chez Bombardier à La Pocatière? D'abord d'être des acteurs d'une économie désormais globale. Et ensuite de chercher à défendre leurs droits dans un système de production sans frontières qui ne reconnaît pas toujours les réglementations nationales ou internationales!
Syndicats en difficulté
Dans plusieurs pays, et pas nécessairement pour les mêmes raisons, les syndicats sont en difficulté: diminution des adhérents, comme aux États-Unis où le taux de syndicalisation avoisine les maigres 12 %, affaiblissement de la capacité de négociation des syndicats, ou encore perte d'influence sur le plan politique.
Ces difficultés risquent de provoquer un «repli sur soi». Par contre, elles peuvent aussi pousser à l'innovation. Aux États-Unis, si plusieurs syndicats se replient sur eux-mêmes, d'autres au contraire cherchent à transformer de façon importante leurs pratiques afin d'accroître leur capacité d'agir. Aux prises avec des multinationales qui refusaient de reconnaître le droit de se syndiquer ou de négocier, certains syndicats, comme l'Union internationale des employées de service, ont construit des réseaux internationaux afin d'infléchir les décisions de la direction et d'assurer le respect de leurs droits.
Un nombre croissant de syndicats établissent d'ailleurs des liens au-delà de leurs frontières dans le but de promouvoir les intérêts des travailleurs. Depuis la création des premiers programmes de coopération et de développement humanitaire, la participation syndicale à l'échelle internationale a grandement évolué.
Solutions diverses
Par exemple, au Québec, des représentants de la CSN, de la CSQ et de la FTQ sont engagés dans des programmes d'éducation syndicale en Haïti, au Mali et au Burkina Faso, pour ne nommer que ces pays. Comme partout ailleurs, les organisations syndicales cherchent aussi de nouvelles voies pour protéger les services publics (eau, électricité, éducation, santé, etc.) qui font face aux tendances lourdes de la privatisation. Elles s'engagent de plus en plus dans des actions concertées avec les ONG et les groupes communautaires pour assurer le maintien et la qualité des services publics.
Autrement, on serait étonné de constater la diversité des solutions proposées par les syndicats pour orienter le développement d'une région, pour ouvrir des discussions avec une entreprise sur la question de la responsabilité sociale ou pour encadrer les activités des firmes multinationales et de leurs complexes réseaux de production. À cette fin, on assiste désormais à une multiplication des coalitions et des alliances impliquant des syndicats de divers niveaux (local, national, international) dans le but de renforcer leur poids vis-à-vis des gouvernements ou des multinationales et d'assurer plus d'équité et une meilleure redistribution de la richesse au sein et entre les frontières.
Bien sûr, la coopération entre les travailleurs ne va pas de soi, même si la question de la solidarité est aussi vieille que le syndicalisme. La mondialisation exacerbe les différences entre les travailleurs au plan local, national et international, car la course pour la compétitivité touche tous les milieux de travail comme on le constate actuellement dans le «combat» pour la production de rames de métro ou de trains. Par le développement de réseaux intégrés de production, les directions d'entreprise peuvent transférer la production d'une unité à l'autre, d'un pays à l'autre, renforçant ainsi leur pouvoir de négociation. Elles utilisent différentes pratiques comme les comparaisons coercitives et les menaces de délocalisation pour obtenir des concessions.
Défis importants
Des syndicats insérés dans des pays avec des régimes politiques forts divers et des niveaux de développement économique très contrastés sont ainsi en compétition pour obtenir des investissements leur assurant des emplois. Dans un tel contexte, les travailleurs et leur syndicat sont appelés à s'engager dans des alliances compétitives avec leur direction contre leurs adversaires communs: les autres travailleurs, peu importe leur localisation géographique. Ces pressions sont réelles et créent des obstacles importants au développement de la coopération syndicale internationale. Pourtant, et malgré tout, on observe ici comme ailleurs une volonté de plus en plus affirmée d'ouvrir de nouveaux espaces de coopération.
Les nouvelles initiatives menées par les syndicats restent souvent méconnues du grand public. Elles sont moins visibles et attirent moins l'attention. Mais il ne faut pas se leurrer: une bonne part aussi des syndiqués, voire de leurs représentants, ne connaissent pas la teneur et la portée des initiatives de coopération syndicale internationale. Un des défis les plus importants du mouvement syndical et de tous ceux qui ont à coeur l'action syndicale consiste justement à mettre en commun et à diffuser les expériences et les initiatives mises sur pied par les syndicats.
Le renouvellement de l'action syndicale et plus largement des institutions du travail passe par l'échange d'informations, la diffusion des innovations et le transfert des expériences. Les exigences de la nouvelle économie condamnent les syndicats à élargir leurs frontières. Elles obligent aussi les chercheurs universitaires à faire de même et à travailler en collaboration avec les acteurs sociaux, notamment les syndicats, afin d'assurer les transferts d'expertise et la diffusion des innovations. Divers centres de recherche, dont le Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (www.crimt.org), visent justement à faire éclater les frontières entre le monde académique et celui de la pratique.
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Christian Lévesque - Professeur titulaire à HEC Montréal et codirecteur du Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail

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Professeur titulaire à HEC Montréal et codirecteur du Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail





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