Conférence du directeur du Monde diplomatique

Égalité, démocratie et souveraineté

Crise du capitalisme - novembre décembre 2011


Claude Lévesque - Les révolutions arabes et les crises qui ont donné naissance au mouvement des «indignés» en Occident posent «de manière crue les questions de l'égalité, de la démocratie et de la souveraineté», croit Serge Halimi, le directeur du Monde diplomatique.
En ce qui concerne l'égalité, «il est évident que les manifestants américains évoquent quelque chose de réel quand ils se proclament la voix des 99 % contre le 1 %, a-t-il affirmé hier au cours d'une discussion avec des journalistes. Depuis une trentaine d'années, la plupart des politiques économiques et sociales ont profité à ce 1 %, alors que pendant les décennies précédentes le capitalisme pouvait se prévaloir de cette idée de la mobilité sociale: des haillons à la fortune, disait-on. Aujourd'hui, il y a de moins en moins de gens qui passent des haillons à la fortune. La croissance économique a pour l'essentiel creusé les inégalités.»
Le directeur du Monde diplomatique affirme d'autre part que le modèle économique actuel «a livré des portions de plus en plus importantes de la vie des gens aux marchés financiers», qu'il s'agisse des régimes de retraite, des soins de santé ou des prêts aux étudiants.
«Même les États font de plus en plus appel à ces marchés, ce qui se traduit par une perte de leur souveraineté, ajoute M. Halimi. On le voyait déjà dans le tiers monde, quand des décisions du FMI provoquaient les révoltes de la faim. On le voit de plus en plus en Europe, où des pays souverains comme la Grèce, qui a même été un des berceaux de la démocratie, ne sont plus maîtres de leur destin.»
Le premier ministre grec vient d'annoncer un référendum national sur les décisions prises pour son pays lors du récent sommet européen, provoquant une chute immédiate des Bourses. «Quand le peuple a la parole, les marchés financiers s'alarment», lance Serge Halimi, qui est l'invité des Journées québécoises de la solidarité internationale organisées par l'Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI).
Autre chose qu'une fatalité
Il voit dans la situation actuelle «autre chose qu'une fatalité», plutôt «une somme de décisions politiques prises depuis une trentaine d'années par des gouvernements de gauche ou de droite, qui ne sont pas inéluctables et qui peuvent être renversées».
Il y a un an, on disait les pays arabes condamnés à une forme ou une autre d'autoritarisme. «Il a suffi qu'un Tunisien proteste de la façon que l'on sait à Sidi Bouzid pour que ces peuples s'ébranlent», poursuit le directeur du Monde diplomatique.
Les mouvements contestataires d'Orient et d'Occident ont comme cibles communes le creusement des inégalités et les liens entre le 1 % le plus riche et le pouvoir politique, croit-il. Les pouvoirs en place ont d'ailleurs été plutôt solidaires dans leur défense d'un ordre établi présenté comme n'ayant pas de solutions de rechange.
Si on en croit les sondages, le mouvement Occupy jouit aux États-Unis d'un appui important, mais il ne faut pas oublier que ce pays entre dans une année électorale. «Compte tenu du choix proposé aux électeurs du côté républicain, où on est assez proche de la folie absolue, beaucoup d'électeurs se disent que la priorité est de réélire Barack Obama, aussi mauvais qu'ait été son bilan. Dans cette perspective, il est possible que l'action sociale soit mise entre parenthèses.»
Pour M. Halimi, la gauche a accepté depuis quelques décennies, aux États-Unis comme en Europe, l'idée voulant que le capitalisme soit l'avenir du monde. Elle accepte le néolibéralisme, promettant seulement de l'«humaniser».
Les intellectuels de gauche comme ceux qui oeuvrent au Monde diplomatique trouvent-ils que leurs analyses reçoivent un meilleur accueil à la suite des récents bouleversements? «On a déjà eu les grandes manifestations à Seattle en 1999, puis l'éclatement de la bulle Internet en 2000: chaque fois, on a eu le sentiment que ces analyses étaient enfin confirmées et qu'elles seraient suivies de conséquences politiques, mais elles ne l'ont pas été faute de relais institutionnels», répond Serge Halimi, qui prononce ce soir une conférence à l'Université de Sherbrooke. «En 2008, après la faillite Lehman Brothers, certains ont cru à la fin des politiques néolibérales, au retour de Keynes et même à une résurrection de Marx, puis, l'année suivante, on a eu la crise de la dette souveraine qui a obligé les États à adopter des politiques encore plus libérales. On assiste à des indignations récurrentes qui peuvent à terme discréditer un peu plus un système politique qui se présente chaque fois comme médecin du mal économique et qui, un mois plus tard, se révèle être celui qui a aggravé l'état du patient.»


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