Effondrement du vote LR : à droite, "les intérêts ont prévalu sur les valeurs"

B80eca205b93430372f394d3c1af3dab

« Le clivage gauche/droite est tout simplement en train de disparaître. »

Les fiefs traditionnels de la droite ont massivement voté pour la liste macroniste aux européennes. Comment l’expliquez-vous ?


Jérôme Sainte-Marie : De manière très simple : c’est un vote de classe. Il s’était manifesté à l’état pur dès le référendum européen de 2005. Il s’est révélé de manière composite à la présidentielle de 2017. Et il apparaît aujourd’hui dans toute sa splendeur avec ces européennes, car c’est surtout un vote de réaction aux gilets jaunes. A Paris, des quartiers ancrés à droite, mais aussi à gauche, ont voté massivement pour La République en marche. Leur trait commun, c’est qu’ils sont embourgeoisés.


Qui sont ces électeurs qui ont basculé ?


On parle souvent des très riches, mais il faut surtout considérer tous les possédants, qui représentent une frange bien plus importante de la population. 58% des Français sont propriétaires de leur résidence et il ne faut pas négliger le poids des retraités. Mettons-nous à la place de ces possédants, qui ont peur des gilets jaunes, ne veulent pas que le conflit social se rallume et souhaitent que les réformes continuent. A leurs yeux, Macron présente un triple intérêt : une volonté réformatrice libérale, la préservation des intérêts dominants et une capacité à réprimer les manifestations sans hésitation.


Macron a bénéficié de la peur de Le Pen et des gilets jaunes.


Ces européennes étaient donc un vote pour ou contre les gilets jaunes ?


Le macronisme vit de la conflictualité sociale. Macron a bénéficié de la peur de Le Pen et des gilets jaunes, même si son résultat aux européennes reste ambivalent. Les commentaires donnent l’impression que c’est un succès pour lui, alors que le camp présidentiel expliquait qu’il serait catastrophique que le RN arrive en tête le 26 mai. Or, le RN est arrivé en tête... N’ayons donc pas la mémoire courte : c’est un succès tout relatif.


Avec François-Xavier Bellamy en tête de liste, Les Républicains ont fait campagne sur un créneau conservateur. On aurait pu penser qu’ils allaient au moins conserver les électeurs de François Fillon en 2017...


Entre les valeurs et les intérêts, les intérêts ont prévalu. Mais c’était aussi vrai en 2017, car il y avait chez Fillon une énorme proclamation de volonté de réformer. Rappelez-vous qu’il avait parlé de « Blitkrieg » à propos des réformes économiques et sociales...


L’électorat populaire de la droite a déserté depuis longtemps.


En 2007, Nicolas Sarkozy remportait la présidentielle en se faisant élire par la bourgeoisie traditionnelle de droite, mais aussi par des ouvriers. Où est passé ce vote populaire ?


L’électorat populaire de la droite a déserté depuis longtemps. Pour Nicolas Sarkozy, 2007 a été un vote de conquête sur le FN. Et au second tour, il a fait quasiment jeu égal avec Ségolène Royal chez les ouvriers. Mais son passage au pouvoir a été dévastateur. Ses promesses de hausse du pouvoir d’achat, de baisse de la fiscalité et de réduction de l’immigration ont été dilapidées en quelques mois. Le FN s’est alors réinstallé. Sous le quinquennat de François Hollande, la droite a remporté énormément de positions aux municipales, aux départementales et aux régionales, mais surtout dans des triangulaires. Ces conquêtes étaient donc en trompe-l’œil : le FN continuait à prospérer.


Le parti LR sert-il encore à quelque chose ?


On se souvient du livre de Georges Lavau, A quoi sert le Parti communiste français ? Aujourd’hui, la même question vaut pour la droite. Le problème n’est pas tant la personnalité de Laurent Wauquiez ou de François-Xavier Bellamy que l’installation d’un nouveau clivage qui se substitue à tous les autres. Ce qui se passe actuellement à droite est le pendant de ce qui s’est passé il y a deux ans à gauche. Le clivage gauche/droite est tout simplement en train de disparaître.


Comment caractériser au mieux ce nouveau clivage ?


On pourrait parler d’un clivage entre libéraux et souverainistes, mais en réalité, il a de plus en plus l’aspect d’un clivage de classe, qui a triomphé aux européennes. Pour se renforcer, Macron détruit toute possibilité d’alternative au sein de son camp, celui des européistes libéraux. Mais en agissant ainsi, il donne sa chance à une alternative radicale.