Du grand théâtre

LULU - une loyauté à géométrie variable


J'ai toujours eu l'impression que l'Assemblée nationale était un grand théâtre où les drames collectifs et personnels peuvent se jouer comme on le fait à la Ligue d'improvisation. Certains jours, on pourrait penser qu'on y joue du Molière. Tous les acteurs ne sont pas du même calibre, hélas, et certaines interventions sont parfois si loufoques qu'on peut se demander comment tout ça va finir. Il y a souvent un vrai suspense, mais la plupart du temps, quand ça ne cabotine pas trop, on peut espérer traverser l'ordre du jour sans trop de dégâts.
D'autres jours, quand le temps est lourd ou qu'une manchette du journal a déplu à l'un des acteurs principaux, on y joue surtout du Racine. Le couteau à la main, on assassine son père, sa mère et même sa belle-soeur, histoire d'en donner pour son argent au client qui tend une oreille blasée à tout ce tumulte.
Je me souviens du jour où mon ami Robert Burns avait proposé au Conseil des ministres, fraîchement élu de 1976, de permettre aux caméras de télévision de fixer nos débats pour la postérité. René Lévesque était hésitant, lui qui comme moi, connaissait l'effet que les caméras pouvaient avoir sur ceux et celles qui n'en avaient pas l'habitude. En 1976, la télé-réalité n'avait pas été inventée. C'était l'époque où les caméras faisaient encore peur au public. Et moi, je riais de bon coeur devant ce destin qui m'avait fait quitter les caméras d'Appelez-moi Lise pour en retrouver d'autres dans mes nouvelles fonctions, comme si on m'avait jeté un mauvais sort. J'ai même dit devant tout le monde, ce jour-là, que si l'on voulait absolument faire un show du travail que nous allions faire à l'Assemblée nationale, il vaudrait mieux y ajouter des danseuses et engager Jean Bissonnette comme réalisateur.
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C'est à tout ça que je pensais mardi dernier en regardant le spectacle à l'affiche à cette commission chargée d'étudier le projet de loi 18 portant sur le gaz de schiste. Le grand acteur Lucien Bouchard faisait un véritable «come-back» et nous permettait d'admirer sa maîtrise de ces personnages plongés au coeur de l'action, défendant avec la même ardeur la veuve et l'orphelin ainsi que les gazières de schiste, ces entreprises si pauvres et méprisées que seul son bras vengeur peut obtenir justice pour elles. Cet homme, au sommet de son art, a joué la grande scène de troisième acte comme un acte de bravoure avec un maquillage qui le rendait méconnaissable aux yeux du grand public, mais combien fidèle à lui-même pour ceux qui l'ont toujours admiré.
C'est pour ces grands moments que la télévision est essentielle. Amir Khadir, dans son rôle de porteur de mauvaises nouvelles, a été à la hauteur. Quant à la grande Nathalie Normandeau, elle semblait avoir trouvé le rôle de sa vie. Béate d'admiration devant le plus grand acteur de son époque, elle n'a rien ménagé pour lui dire son admiration et lui faire bien entendre qu'elle se rangeait de son côté. Du grand, grand théâtre.
Les autres participants ont été égaux à eux-mêmes. Le président s'est emporté pendant un moment et on a senti qu'il était tenté d'expulser les caméras. Ça aurait été moins compliqué que d'expulser monsieur Khadir, comme il a laissé entendre qu'il en avait bien envie.
Quant à Lucien Bouchard, il est déjà évident que son nom fera partie de ceux retenus pour les grands prix d'interprétation de cette année. Il sera en concurrence ouverte avec Jean Charest qui, jusqu'à maintenant, avait fait tout ce qu'il faut pour se maintenir en première position. La lutte sera chaude. Deux joueurs d'un tempérament aussi vif, avec des rôles aussi dangereux, et des ego aussi gros que les dossiers qu'ils défendent, ne laisseront personne indifférent.
De toute évidence, ce sont deux grands acteurs qu'il faut avoir à l'oeil. Le prix des billets est élevé, mais ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de voir de tels talents sur nos scènes. Les grands rôles ont été écrits sur mesure pour eux et aucun des deux ne recule devant le plaisir de paraître en public pour dire ces mots écrits par quelqu'un d'autre, mais dont ils sont de grands interprètes de talent.
L'Assemblée nationale est un lieu sacré. Cette «noble enceinte» voit tout, entend tout et sait tout. C'est le lieu où toutes les grandeurs et toutes les bassesses se rencontrent. Si ç'a parfois l'air d'un concours d'amateurs, c'est que les grands acteurs ne peuvent pas être là tout le temps et qu'il faut bien occuper le reste du temps. Si ç'a parfois l'air d'une arène de boxe, c'est parce que ça l'est aussi. Ça dépend des jours. C'est comme une garderie. On sait quand il va y avoir de l'orage quand l'agitation est à son comble. Caméras ou pas...


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