Dons illégaux érigés en système chez SNC-Lavalin

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Comment cultiver la compromission

La plus importante firme de génie au Canada, SNC-Lavalin, avait érigé en système les contributions politiques illégales, tant au provincial qu'au municipal. En 10 ans, l'entreprise a ainsi versé plus d'un million dans les caisses du Parti libéral du Québec et du Parti québécois.
La commission Charbonneau entend cet après-midi un vice-président de SNC-Lavalin, Yves Cadotte, toujours à l'emploi de la firme. Celui-ci a admis que son entreprise avait mis en place un système pour rembourser ses cadres qui contribuaient aux partis politiques. La pratique a été accentuée à l'arrivée de Riadh Ben Aïssa, aujourd'hui emprisonné en Suisse pour une affaire de corruption.
«On recevait des sollicitations des partis et des cadres étaient sollicités pour contribuer», a résumé Yves Cadotte.
Une cinquantaine de cadres ont ainsi reçu un boni de 6000 $ par an pour signer des chèques de 3000 $ aux partis politiques. La firme dit qu'elle tenait ainsi compte de l'impôt qui venait gruger la moitié du remboursement.
Yves Cadotte assure que les cadres étaient libres de contribuer et de décider à quel parti ils donnaient. Une compilation de la commission Charbonneau permet de constater que SNC-Lavalin avait tendance à donner davantage au parti au pouvoir. Le Parti libéral a reçu entre 1998 et 2010 570 000 $, le Parti québécois, 477 000 $. Aucune donnée n'a été fournie pour l'Action démocratique.
La firme dit avoir mis fin à la pratique en 2010 quand l'escouade Marteau a été mise en place. «En 2010, on a décidé d'arrêter de donner une bonification», a indiqué Cadotte. Du jour au lendemain, la motivation des cadres de SNC-Lavalin n'était plus au rendez-vous. Les contributions sont passées de 140 000 $ en 2009 à 8600 $ l'année suivante.
Prête-noms en série
Plus tôt aujourd'hui, la commission Charbonneau s'est affairée à démontrer que les prête-noms étaient légion parmi les donateurs d'Union Montréal. En quelques heures à peine, ses enquêteurs ont réussi à découvrir huit personnes dont les dons ont été remboursés par leur employeur, une pratique illégale.
Quatre Montréalais ont admis ce matin devant la Commission avoir servi de prête-nom. À l'origine, l'enquête visait strictement les donateurs d'Union Montréal, mais la démarche a permis de découvrir que des prête-noms avaient aussi été utilisés pour Vision Montréal, le Parti libéral du Québec et l'Action démocratique du Québec. Au total, les quatre témoins ont admis avoir contribué illégalement pour 27 000 $.
Ces prête-noms ont été découverts lors d'une petite enquête menée par quatre enquêteurs de la Commission. L'ex-journaliste de La Presse André Noël, qui travaille depuis août pour la Commission, a expliqué que 32 maisons de donateurs vivant dans des quartiers modestes de Montréal ont été visitées durant la semaine de relâche. Des 16 personnes ayant ouvert la porte aux enquêteurs, huit ont admis que leur contribution avait été remboursée par leur employeur.
Les entreprises ayant ainsi fait des contributions illégales sont les constructeurs Louisbourg SBC, de Tony Accurso, et Pomerleau, la firme de génie Leroux Beaudoin Hurens (LBHA) et la Société de développement Angus.
Ex-dirigeant de SNC-Lavalin attendu
Cet après-midi, la commission Charbonneau commencera à entendre un haut dirigeant de SNC-Lavalin, Yves Cadotte. Michel Lalonde, qui a admis avoir servi de coordonnateur de la collusion entre les firmes de génie, a identifié cet homme comme son contact avec le géant québécois de l'ingénierie.
Ce n'était pas la première fois que son nom sortait devant la Commission. L'ex-organisateur politique Martin Dumont a affirmé durant son témoignage avoir vu à cinq reprises Yves Cadotte dans le bureau de Bernard Trépanier. Selon plusieurs témoins, ces visites servaient à payer le 3 % des entreprises. Il le voyait aussi fréquemment aux cocktails de financement d'Union Montréal.
«Acteur dégoûté par la collusion»
Intermédiaire entre la firme de génie BPR et Bernard Trépanier, l'ingénieur Charles Meunier a témoigné plus tôt aujourd'hui pour dire qu'il avait été «dégoûté» de découvrir comment fonctionnait l'octroi des contrats à Montréal.
À l'emploi de BPR depuis la fin des années 1990, Charles Meunier dit avoir découvert à Halifax l'importance pour les firmes d'être près des politiciens. Il travaillait alors de concert avec une société française qui cherchait à décrocher un contrat dans la capitale de la Nouvelle-Écosse.
De retour au Québec au début des années 2000, il tente de percer le marché montréalais pour BPR, firme de Québec, en se collant avec les élus. Il contribuera ainsi à la caisse électorale d'Union Montréal par l'intermédiaire de Robert Church.
La firme continue toutefois d'échouer à décrocher des contrats. Un jour, l'un de ses collègues, Yvon Tourigny ou Pierre Lavallée, lui suggère d'entrer en contact avec un autre «bagman» d'Union Montréal, réputé plus influent. Il s'agit de Bernard Trépanier.
Celui-ci se montre plus exigeant et demande à Meunier d'acheter de nombreux billets pour des activités de financement. Cette relation s'avérera rapidement fructueuse. Alors que BPR n'arrivait même pas à se qualifier aux appels d'offres de Montréal, elle se met soudainement à remporter des contrats.
Ces succès ont toutefois un prix : Charles Meunier doit livrer de l'argent comptant à Bernard Trépanier, destiné selon le témoin aux coffres d'Union Montréal.
L'ingénieur en comprend que les appels d'offres de Montréal, «c'est tout faux».
«Dégoûté», Charles Meunier dit avoir consulté un psychologue industriel en 2007 pour réorienter sa carrière. Il voulait changer de branche de travail, estimant que tout le milieu du génie-conseil fonctionnait de la même façon.
Charles Meunier avait clairement conscience qu'il enfreignait des lois, notamment celle sur le lobbyisme qui oblige les gens tentant d'influencer les élus ou fonctionnaires à s'inscrire à un registre. Mais voilà, le milieu des ingénieurs refuse de se conformer, estimant en être exempté. Après avoir quitté le milieu, Charles Meunier s'est rapidement inscrit, révèlent les données du registre des lobbyistes.
«Je suis une bonne personne. J'ai voulu me sauver de ça, a expliqué Meunier. J'ai pas aimé ça.»
«Mais pourquoi ne pas avoir dénoncé?» lui a demandé le commissaire Renaud Lachance. «J'avais peur de ça, je trouvais ça trop gros.»
Toujours nerveux, Charles Meunier dit payer cher sa participation à la collusion. «Juste être ici est cher payer pour moi. Quand je suis arrivé chez BPR, je pensais pas être pris dans cette affaire.»
«La commission Charbonneau, j'allais dire que c'est un monstre pour moi... mais je réalise que c'est votre nom», s'est-il excusé à la juge France Charbonneau, qui préside la commission d'enquête.


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