Merci pour le merveilleux honneur que vous me faites.
Nous vivons à une époque où le totalitarisme se masque de vertu divine, où on accorde toute légitimité aux théocrates, où la dissidence est trainée dans la boue et où ce sont les victimes qu’on blâme de se faire assassiner.
C’est une époque où la « solidarité » ne consiste plus à défendre les révolutionnaires mais les fascistes ; où il y a toujours quelqu’un pour apporter son soutien aux projets islamistes, comme par exemple les tribunaux charia, la burqa, la ségrégation de genre, les lois sur l’apostasie ou sur le blasphème – que ce soit de jure ou de facto – mais jamais à ceux qui refusent d’être réduits au silence, effacés, ‘disparus’.
C’est une époque où être « progressiste » équivaut bien trop souvent à protéger des politiques identitaires rétrogrades, qui homogénéisent des communautés et des sociétés tout entières, et considèrent les théocrates comme seuls arbitres légitimes et gardiens des valeurs de la « communauté ».
C’est une politique de trahison – d’où sont absents les idéaux politiques et de lutte de classes – qui appréhende tout dissentiment au travers les lunettes islamistes et l’estampille immédiatement « islamophobe » et blasphématoire.
On nous étiquette « apostats agressifs », « laïques intégristes », « informateurs indigènes » [1] et « incendiaires ». On nous accuse de violer l’ « espace sécurisé » [2] des islamistes dans les universités et d’ « inciter à la haine ».
N’en croyez rien. C’est la version islamiste de l’histoire.
Aujourd’hui, partout, c’est nous qui nous faisons massacrer, pas l’inverse.
Dans leur monde, tout le monde meurt, mais c’est nous qu’on accuse d’être les attaquants - comme si des caricatures ou l’apostasie étaient pires que le meurtre.
Les islamistes instaurent des discriminations, organisent l’ostracisme, flagellent, emprisonnent, terrorisent, enlèvent et massacrent, mais c’est toujours la victime qu’on accuse de « provocation » pour mieux la blâmer – qu’il s’agisse de Charlie Hebdo ou d’Avijit Roy…
Pour beaucoup d’entre nous, la laïcité n’est pas une discussion théorique dans la gauche-caviar ou entre intellectuels dans leur tour d’ivoire. C’est affaire de vie ou de mort, par exemple pour :
-* Asia Bibi qui attend son exécution au Pakistan, pour blasphème
-* Les jeunes ex-musulmans en Grande Bretagne condamnés à subir l’ostracisme pendant leur vie entière
-* Afsana Lachaux, dont les droits ont été violés par un tribunal-charia discriminatoire au Moyen Orient, jugement qui a été entériné par les tribunaux français au nom d’accords bilatéraux
-* La militante des droits humains Narges Mohammadi qui a été condamnée à 16 ans de prison pour s’être opposée à des exécutions ; Jafar Azimzadeh, condamné à 11 ans pour avoir organisé des travailleurs ; ou des bi-nationaux utilisés comme monnaie d’échange en Iran, comme Nazanin Zaghari-Ratcliff ainsi que Siamak et Baquer Namazi.
-* Le bloggueur Raif Badawi condamné en Arabie Saoudite à 10 ans de prison et mille coups de fouet pour ses écrits sur la religion et la politique,
-* Et tant d’autres...
« La solution, c’est la laïcité » : Raif Badawi a trouvé ce graffiti dans les toilettes d’une prison saoudienne. Et pourtant, de soi-disant « anti-colonialistes » nous disent que la laïcité est une revendication neo-colonialiste - des anti-colonialistes dont les points de vue coïncident toujours avec ceux des élites dirigeantes , y compris dans les ex-colonies et jamais avec ceux des dissidents. Des « anti-fascistes » qui s’opposent à certains fascistes seulement, et seulement de temps en temps. Des « anti-racistes » qui ne le restent que pour autant que nous ne nous aventurions pas en dehors des niches où on veut nous faire vivre et être enterrés (si nous exprimons notre désaccord, ils sont en première ligne pour défendre un relativisme culturel raciste, et des droits « différents » pour des gens « différents »). Des soit-disant progressistes qui nous condamnent à vivre des vies confinées à l’islam, alors que, pour eux, l’horizon est sans limites…
Ils ne peuvent même pas comprendre que nul plus que nous n’a besoin de laïcité, nous qui vivons, luttons et mourrons écrasés sous la botte de la droite-religieuse.
Il faut y inclure tous ceux et celles, innombrables, qui ‘votent avec leurs pieds’ et sont en train de mourir au moment même où nous parlons, en cherchant refuge dans des pays laïques, - y compris les femmes, les hommes et les enfants de Calais qui doivent bénéficier des droits humains fondamentaux d’asile et de protection, au lieu d’être calomniés et criminalisés.
Et il faut y inclure les croyants. Pour que cela ait du sens, le droit d’avoir une religion doit s’accompagner d’un droit équivalent à être libre de ne pas avoir de religion.
La bataille historique dans laquelle nous sommes engagés aujourd’hui n’est pas un clash des civilisations comme le prétend l’infâme extrême-droite pour mieux promouvoir des politiques identitaires intrinsèquement blanches et souvent chrétiennes. C’est plutôt un clash entre théocrates d’un côté et laïques et universalistes de l’autre – par delà les communautés réelles ou imaginaires, les frontières et autres limites – et parmi ces derniers, beaucoup de musulmans et de migrants.
La Laïcité n’est ni française, ni occidentale, ni orientale ; elle est universelle. Elle doit être défendue sans équivoque et avec fierté contre le totalitarisme de notre époque.
Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de laïcité et nous en avons besoin tout de suite, maintenant.
Nos vies-mêmes en dépendent.
Je vous remercie.
Translated by Marieme Helie Lucas, Secularism is a Women’s Issue
[1] Expression autrefois utilisée uniquement par des linguistes ou anthropologues à propos de l’étude de langues « indigènes ». Utilisée de façon détournée pour désigner de façon péjorative des musulmans considérés comme aliénés à la culture « blanche occidentale ».
[2] « safe space » : Dans les universités en Grande Bretagne des lieux et temps spécifiques sont réservés où des étudiants sont assurés de ne pas être confrontés à des idées contraires aux leurs et peuvent refuser de les entendre. De fait, il s’agit de l’institutionnalisation du refus de liberté d’expression et de débat démocratique.
Prix de la Laïcité 2016
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