Deux mots sur la souveraineté du Québec

Évidemment, les indépendantistes auraient quand même avantage à rappeler que l’indépendance n’appartient ni à la gauche, ni à la droite, ni aux progressistes, ni aux libéraux, ni aux conservateurs. L’indépendance est nationale. Elle transcende les idéologies.

États généraux sur la souveraineté



C’est un débat que j’ai souvent avec des amis et collègues «de droite». Ils me savent indépendantiste. Profondément indépendantiste. Et plus conservateur que progressiste. Je résume : si j’étais Français, j’aurais voté Sarkozy plutôt que Hollande. Si j’étais Britannique, je voterais conservateur plutôt que travailliste. Et ces amis et collègues prennent souvent la peine de me dire : je ne suis pas contre l’indépendance, Mathieu ! Non ! non ! À tout le moins, je ne m’y oppose pas en soi. Mais je me méfie de ce que les indépendantistes feraient d’un Québec indépendant. C’est pour cela que je m’oppose à l’indépendance. Je m’oppose moins, disent-ils, à la souveraineté qu’aux souverainistes et à ce qu’ils veulent faire du pays du Québec.
Je traduis : puisque les souverainistes sont pour la plupart «de gauche», ne risquent-ils pas de confisquer le nouvel État à leur avantage en transformant le Québec en petite république socialiste, ou simplement en social-démocratie à perpétuité? La souveraineté ne risque-t-elle pas de confier le nouvel État à une «clique» de progressistes qui considéreront le pays québécois comme leur propriété exclusive? La souveraineté ne risque-t-elle pas de radicaliser le progressisme officiel du Québec, lui qui ne disposerait même plus de la fenêtre fédérale pour se donner un peu d’oxygène idéologique ?
À cela, j’ai toujours la même réponse : vous savez les amis, dans un Québec souverain, il y aura … des élections. Oui ! Des élections ! Des fois, la gauche gagnera. D’autres fois, la droite gagnera. On appelle cela la démocratie. On appelle cela l’alternance. Un Français de gauche ne renoncera pas à l’indépendance de la France si la droite gouverne. Un Français de droite de renoncera pas à l’indépendance de le France si la gauche gouverne. Les deux chercheront plutôt à gagner la prochaine élection (pour rester dans l’actualité!). En votant pour l’indépendance, on ne vote pas pour une idéologie mais pour un pays. On choisit non pas une série de politiques publiques mais le cadre dans lequel ces politiques sont appelées à s’appliquer. J’ajoute que délivrée de la question nationale, la société québécoise pourra même s’aligner de manière libérée sur le fameux débat gauche-droite qu’ils sont si nombreux à désirer. De nouvelles alliances politiques pourront prendre forme. Comme j’ai souvent dit, l’indépendance nous permettra enfin de nous diviser en paix. En paix, c’est-à-dire sans avoir l’impression d’un coup de fracturer la cohésion nationale.
Je connais une variante de cet argument critique de la souveraineté : oui, il y aura des élections. Mais la constitution, elle, ne risque-t-elle pas de recevoir l’empreinte définitive du progressisme ? Ne risque-t-on pas de se retrouver avec une constitution marquée à gauche qui orientera en profondeur les orientations durables du nouveau pays. C’est une bonne objection. Les souverainistes ont répété si souvent qu’ils voudraient définir une constitution progressiste (écologiste, féministe, interculturaliste, social-démocrate, et ainsi de suite) pour un Québec souverain qu’on est en droit de s’inquiéter de leurs intentions. Voudraient-ils faire du pays québécois un laboratoire exclusivement voué à l’expérimentation de leur idéologie ? J’ai d’ailleurs critiqué cette vision des choses dans mon dernier livre, Fin de cycle, en montrant comment elle avait été historiquement contre-productive pour les souverainistes.
Mais j’ai tendance à croire que cette objection, qui désigne bien une faille idéologique du souverainisme, est plus rhétorique que politique. Un Québec souverain s’engagera dans une démarche de transition délicate. On ne fabrique pas un nouveau pays sans chercher à bâtir un consensus massif rassemblant les forces vives de la nation. Le nouveau pays devra rassembler non seulement les souverainistes de la veille, mais ceux qui s’opposaient encore hier à l’indépendance. Ce pacte autour du nouveau pays se nouera justement autour des institutions, qui devront être acceptées par le plus grande nombre pour permettre la transition réussie vers la souveraineté. Résultat : au total, on peut s’attendre raisonnablement, et sans verser dans un optimisme exagéré, à ce qu’un Québec souverain soit une démocratie libérale comme les autres. Sans surprise, nous serons des Occidentaux démocrates et libéraux.
Évidemment, les indépendantistes auraient quand même avantage à rappeler que l’indépendance n’appartient ni à la gauche, ni à la droite, ni aux progressistes, ni aux libéraux, ni aux conservateurs. L’indépendance est nationale. Elle transcende les idéologies. Elle consacrera notre identité et augmentera qualitativement notre liberté collective. Notre capacité de décider pour nous-mêmes notre avenir. Décider pour soi-même, cela a une valeur en soi. Et une logique de rassemblement national, cela implique de s’ouvrir à tous ceux qui font du Québec leur pays, même s’ils ne voteraient pas pour le même parti dans un Québec indépendant. Il y a des Québécois de gauche, de droite, de centre. Il y a des souverainistes de gauche, de centre, de droite. C’est un nombre maximal de Québécois qu’il faut rassembler pour l’indépendance. C’est l’ensemble des souverainistes qu’il faut rassembler pour porter au pouvoir un parti souverainiste et faire l’indépendance du Québec. Le programme de rassemblement national des souverainistes doit s’écrire dans cette perspective. Évidemment, il n’abolira pas d’un coup les divisions entre la gauche et la droite. Mais il devra proposer une synthèse originale susceptible de satisfaire raisonnablement à la fois les progressistes, les conservateurs, la gauche et la droite, à travers un programme centré sur l’horizon d’un redressement collectif, d’un ressaisissement national.
Un dernier mot. Jean-François Lisée m’a d’ailleurs écrit quelques mots à ce propos récemment dans la recension en deux textes qu’il a fait de mon dernier livre. Je lui répondrai d’ici la fin de la semaine.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé