Les trente deniers du Devoir

Des valeurs mobilières au juge Nadon

Tribune libre

Vigile aime bien, à l'occasion, attirer l'attention de ses lecteurs sur la mise en page de La Presse pour dénoncer les messages fédéralistes subliminaux du quotidien montréalais. C'est un fait, Gesca n'est pas chiche avec la confiture sur sa tartine fédéraliste.
Mais, cela ne devrait pas nous empêcher de jeter un petit coup d'œil du côté du Devoir, qui n'est pas piqué des vers lui non plus dans l'art de la mise en page stratégique. Le dossier du juge Nadon le montre d'ailleurs éloquemment.
Avant de passer au vif du sujet, cependant, quelques commentaires s'imposent concernant la situation financière du Devoir: le journal qui fait ce que doit, et parfois ce qu'il faut, a besoin de la publicité de Radio-Canada pour sa survie. On peut comprendre, dans une certaine mesure. Les journaux connaissent des années difficiles. Malheureusement, la publicité fédérale n'arrive pas sans attaches.
Et, depuis le 3 septembre dernier, la société d'État se fait passablement parcimonieuse avec sa publicité dans les pages du Devoir. Ses concurrents en ont eu beaucoup plus. Voyez-vous, Le Devoir est en position pour mettre la machine fédérale dans l'embarras...et très sérieusement.
Le gouvernement fédéral déposera vraisemblablement sous peu son projet de loi concernant la constitution d'une commission nationale des valeurs mobilières et la dernière chose dont il aurait besoin, dans les circonstances, serait d'une nouvelle publication de mon article du 6 mars 1991 sur cette question, entre autres. Alors, entre le journal qui fait ce que doit et le fédéral, il semble y avoir échange de plus ou moins bons procédés.
Considérons par exemple le cas de la nomination du juge Nadon à la Cour suprême il y a quelques jours. En page A-2 du Devoir du 9 octobre dernier, donc, Hélène Buzetti nous apprend qu'un avocat de Toronto, Rocco Galati, conteste en Cour fédérale la nomination de monsieur Nadon. Ce dernier ne rencontrerait pas les critères énoncés à la Loi sur la Cour suprême pour y être nommé:
«La Loi sur la Cour suprême du Canada stipule en effet que les juges sélectionnés doivent provenir "d'une cour supérieure provinciale" ou être des avocats "inscrits pendant au moins dix ans au barreau d'une province". Dans le cas du Québec, les juges doivent provenir "de la Cour d'appel ou de la Cour supérieure ou (être choisis) parmi les avocats de celle-ci». Depuis 1993, M. Nadon a plutôt siégé à la Cour fédérale puis la Cour fédérale d'appel.» (D-09-10-13, p., A-2)
L'article de madame Buzetti était annoncé dans une bande rouge au sommet de la page A-1, exactement au recto de l'article concernant la nomination de monsieur Nadon. Une seconde bande, bleue celle-là, nous apprenait que Radio-Canada avait mis un terme aux capsules culturelles présentées au Téléjournal.
Or, voici ce que le soussigné écrivait à propos de la nomination du juge Frank Iacobucci à la Cour suprême en 1991:
«Cette histoire est fort inquiétante (valeurs mobilières), d'autant plus que le juge Iacobucci a été nommé à cette Cour contrairement aux dispositions de l'article 5 de la Loi sur la Cour suprême, LRC, c. S-26. En effet, à l'époque de sa nomination, le juge Iacobucci n'était pas un juge d'une cour supérieure provinciale depuis dix ans: il était juge à la Cour fédérale du Canada. De même, il n'était pas un avocat inscrit à un barreau provincial depuis au moins dix ans; il était juge et la fonction judiciaire est incompatible avec le statut d'avocat.» (D-06-03-91, p., B-8.)
Le 19 avril suivant, le sous-ministre fédéral de la Justice, John Tait, signait un texte dans le Devoir à l'effet que la nomination du juge Iacobucci était conforme à la loi. Aujourd'hui, le ministère de la Justice s'appuie sur une opinion de l'ex-juge à la Cour suprême Ian Binnie pour affirmer la même chose dans le cas du juge Nadon. Monsieur Binnie est un ancien employé du ministère de la Justice.
Celui-ci explique que la version anglaise de l'article 6 de la Loi sur la cour suprême est plus clair que la version française et qu'elle doit prévaloir sur cette dernière pour valider la nomination de monsieur Nadon.
Les lecteurs de Vigile se souviendront que le soussigné a été congédié du ministère de la Justice à la suite d'une plainte au Commissariat aux langues officielles concernant...le trop grand nombre de divergences entre les deux versions des lois fédérales. À l'époque, le gouvernement fédéral a menacé le Commissaire de ne pas donner suite au projet de loi C-72 sur les langues officielles s'il accueillait cette plainte. C'est en raison de la divergence entre les deux versions de l'article 5 que le soussigné avait inclus à son article les commentaires à propos de la nomination de monsieur Iacobucci. Un petit clin-d'oeil, quoi...
Cette affaire ne remet pas en question que la nomination du juge Nadon. Elle touche la nomination de tous les candidats nommés à la Cour suprême depuis l'introduction de cette divergence entre les deux versions des textes pertinents. On pourrait en effet prétendre, avec raison, que les versions divergentes d'un texte législatif fédéral entraîne la nullité de ce dernier, au motif qu'il ne garantit pas aux francophones et aux anglophones un droit d'accès égal aux lois fédérales contrairement aux principes énoncés dans le renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba. Seuls les canadiens bilingues sont en mesure de comprendre les versions divergentes d'un texte de loi fédéral. Or, avec la Révision de 1984, pardon 1985, on en a semé des divergences entre les deux versions des lois fédérales...
À tout événement, lorsque le soussigné a pris connaissance de la mise en page du Devoir, le 9 octobre dernier, il n'arrivait pas à croire que ce journal puisse ainsi quémander aussi vilement sa publicité radio-canadienne. Du moins, il ne voulait pas le croire.
But, lo and behold...En page A-5 du quotidien qui fait ce qu'il faut, ce matin, le 11 octobre, nous avions droit à une demi page de publicité radio-canadienne. Elle est photogénique Anne-Marie, sur la photo...
Oui, il quémande, Le Devoir. Combien de fois a-t-il glissé dans un article concernant la Ligne 9 d'Enbridge qu'il s'agissait d'une compétence fédérale? Combien de fois a-t-il affirmé que le pétrole de l'Ouest est moins cher que le pétrole importé, alors que cela est techniquement vrai, mais fondamentalement faux?
À tout événement, j'ai fait parvenir mon dossier sur la version française des lois fédérales à madame Buzetti il y a quelques jours. Radio-Canada est également en possession du dossier. Mais, n'espérons pas trop...
The people in the security branch at Justice need not worry. There is absolutely nothing classified in the documents I handed to the media. I'm not in possession of classified material.


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    15 octobre 2013

    Madame Pelletier, madame pelletier...
    Je ne pense pas que le Canada anglais veuille éliminer les francophones. Hors-Québec, il aimerait bien les assimiler. Les Québécois, eux, ont droit à un statut de Canadiens de second ordre, au mieux. Le problème, c'est que les Québécois sont satisfaits de leur sort. J'aurais dû le comprendre avant, mais, que voulez-vous, il y a parfois de ces choses que l'on ne veut pas voir...Mais, il n'est jamais trop tard pour bien faire, dit-on...
    Allez, bonne journée à tous...
    Louis Côté

  • Lise Pelletier Répondre

    12 octobre 2013

    M.Côté, étant donné que le fédéral a "le devoir" légal de nommer trois juges venant du Québec à la Cour Suprême, ce qui doit les indisposer au plus haut point, alors pourquoi ne pas le faire en faisant tout pour créer une controverse.
    Le fédéral sait bien comment jouer ses cartes dans ses obligations envers le Québec., ayant l'air d'obtempérer mais y attachant un boulet, dans ce cas-ci les mauvaises traductions de lois de l'anglais au français.
    Sachant qu'il est incapable de respecter les traités avec les autochtones, pourquoi respecterait-il les francophones, deux peuples qu'il veut éliminer. C'est simplement plus subtil comme moyen que par les armes dont il devrait répondre devant les instances internationales. Je caricature ici évidemment.
    Vous écouterez demain M.Côté "les coulisses du pouvoir", le ministre Alexandre Cloutier sera en interview à ce sujet.
    Tant qu'au quotidien "Le Devoir" comme avant tout long week-end, aucun commentaire sur les textes.
    Comme par hasard, un sondage et un texte de Robin Philpot.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 octobre 2013

    «Les trente deniers du devoir»: Disons que mes propos se situaient entre l'humour et l'amertume. Au Devoir, cependant, ils généreront probablement plus d'amertume que de rires. Alors changeons cela pour : «Mise en page astucieuse au Devoir».
    «Le Devoir a besoin de la publicité radio-canadienne pour sa survie»: Ce n'est pas tout a fait exact. Le Devoir pourrait très bien survivre sans la publicité radio-canadienne. Mais, il aurait beaucoup plus de difficulté à...atteindre l'équilibre budgétaire.
    «Vilement»: C'est là un bien gros mot. Il véhiculait plus d'amertume que d'humour. Alors, disons: «Montrer si peu de gêne à tendre le bras pour...». Maintenant, il est possible que la mise en page du Devoir n'ait été que coïncidence. Si tel était le cas, mes excuses au journal, à Radio-Canada et à Vigile pour cette interprétation des faits. Vous admettrez cependant que les apparences laissent une drôle d'impression...
    En toute équité pour Le Devoir, il faut préciser qu'il y a plus que la simple publicité radio-canadienne en cause dans cette affaire et il s'agit de la possibilité de poursuites. Étant donné la situation financière des journaux, il y a là matière à réflexion. Or, c'est l'intérêt public qui en fait les frais.
    À tout événement, en page I-3 du Devoir de ce matin, (12-et 13-10-13), le Commissaire aux langues officielle Graham Fraser nous apprend qu'il est ô combien déçu de ne pas avoir pu convaincre le gouvernement fédéral d'exiger le bilinguisme aux juges de la Cour suprême. Les juges unilingues, monsieur Fraser, ils vont appliquer quelle version dans les cas de divergence entre les deux versions d'un texte de loi fédéral? Et, il y en a des affaires qui se rendent en Cour suprême sur des questions de divergences.
    Oui, mais, ils ont des traducteurs, dira-t-on, à la Justice. Quoi, le bon juge Nadon n'a pas mis les députés en garde contre «les dangers de la traduction»? (D-03-10-13, p., A-4) C'est un fait, monsieur Nadon, c'est dangereux, la traduction, à la Justice. Je peux en témoigner. Le ministre Peter MacKay, lui, les a mis en garde contre...les poursuites.
    À tout événement, à quoi bon...
    Louis Côté