Des travailleurs agricoles du Honduras se réfugient dans une église

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Le programme de travailleurs immigrés se transforme en filière d'immigration illégale

Sept travailleurs migrants agricoles du Honduras se sont réfugiés dans une église de Granby. Ils ont tous quitté entre la mi-janvier et la mi-mars l’entreprise d’attrapage de volailles Équipe Sarrazin et dénoncent les conditions de travail, des atteintes à leur dignité, des lésions professionnelles et des heures de transport non payées.


Ils espèrent pouvoir rester au Canada pour obtenir justice devant leur employeur, qu’ils accusent de les avoir poussés à partir, une version démentie par le propriétaire, Yves Sarrazin.


Ronny Asael Miranda et Ever Alexis Mendoza Mateo, désignés par leurs collègues pour exposer les doléances communes, sont tous deux arrivés le 20 octobre 2017, un premier visa de travail au Canada en poche. « Rien de ce qu’on nous a promis n’a été respecté », affirme M. Miranda. Il dit avoir signé plusieurs documents alors qu’il était fraîchement débarqué de l’avion, en route dans une camionnette depuis l’aéroport. Le contrat a quant à lui été signé au Honduras, mais uniquement en français, affirme-t-il.


Le propriétaire de l’entreprise, Yves Sarrazin, affirme qu’un contrat en espagnol était également fourni aux personnes recrutées là-bas. Le directeur du personnel, Michel Beaudin, les accuse quant à lui de mentir : « Ils ne sont pas venus pour travailler, ils sont venus pour devenir citoyens. » Une version défendue également par son patron, M. Sarrazin.


Ils en veulent pour preuve que 11 individus du groupe de 23 Honduriens ont fait appel à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). M. Sarrazin précise que seules cinq personnes demeurent encore sous son aile : trois travaillent et deux autres sont indemnisées par la Commission.


La CNESST ne rend pas publiques les informations sur les accidents du travail dans un dossier d’employeur.


Santé et sécurité


Les travailleurs dénoncent plutôt une industrie où le travail est extrêmement difficile et faiblement rémunéré. Le travail consiste à attraper jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de poulets par quart de travail, dans des poulaillers appartenant à divers producteurs, et à les mettre dans des cages qui serviront au transport jusqu’à l’abattoir.


« C’est notre dignité qui souffre », raconte Ronny Asael Miranda. En novembre dernier, il a commencé à vomir et à avoir des vertiges durant un quart de travail de nuit. Le rapport fourni à la CNESST indique qu’il a souffert d’une « infection à campylobacter », une inflammation analogue à la gastro-entérite causée par le contact avec des volailles.


Il reproche à son employeur de ne pas avoir fourni de vêtements de protection, ni harnais pour certaines tâches en hauteur, ni gants, ni masque.


Yves Sarrazin affirme ne pas avoir eu connaissance de cet épisode. M. Beaudin certifie de son côté que la sécurité des travailleurs était assurée. « Le type de travail qu’on a n’est pas pour eux », justifie-t-il par ailleurs, répétant que plusieurs ont eu recours à la CNESST.


Ever Alexis Mendoza Mateo a aussi arrêté le travail durant un mois à cause de sévères maux de dos, une douleur lombaire qui irradiait dans sa jambe droite, décrit-il. En arrêt de travail à partir du 4 décembre, il a ensuite repris le 9 janvier. Près d’un mois plus tard, en février, il a demandé à son chef d’équipe une journée de congé, « pour calmer la douleur qui était revenue ». La journée même, « à quatre heures de l’après-midi, la secrétaire m’a dit que Michel avait pris la décision de me renvoyer dans mon pays et elle m’a envoyé le billet d’avion. C’est là que j’ai décidé de partir de mon côté », relate-t-il, en présentant le message vocal laissé par celle-ci.


Julio Lara, du syndicat des Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC) qui représente les attrapeurs d’Équipe Sarrazin depuis 2016, blâme quant à lui le manque de préparation des attrapeurs de volailles : « Les accidents sont arrivés pas très longtemps après l’arrivée des travailleurs, mais je blâme plutôt l’employeur de ne pas donner de formation pour faire le travail. Si tu mets un gars qui vient de sortir d’un avion à ramasser des poulets et il ne sait même pas comment faire, c’est sûr qu’il peut se relever avec des contractures lombaires ou une tendinite. C’est pas une question des Honduriens, il y a aussi des Guatémaltèques qui sont blessés dans le même travail. »


Le propriétaire affirme travailler avec la CNESST depuis les derniers mois afin de « voir s’il y a des choses à corriger dans les méthodes pour attraper des poulets ».


Rémunération


Les travailleurs dénoncent aussi les conditions de rémunération compte tenu du travail abattu. Le taux horaire est de 11,25 $ l’heure, le salaire minimum, avec mention d’un « système de rémunération à la pièce », système légal qui a cours dans l’attrapage de volailles au Québec et ailleurs au Canada.


Le prix est établi à 3,60 $ pour 1000 poulets et augmente en fonction de la grosseur des volailles. Le travail s’effectue souvent de nuit, quand les volatiles sont engourdis par l’obscurité. « Doit pouvoir soulever un poids pouvant aller jusqu’à 15 kilos par main, travail répétitif », indique une offre d’emploi actuellement affichée en ligne par l’Équipe Sarrazin.


Ainsi, pour 30 000 poulets attrapés en une nuit de six heures et demie, selon son bulletin de salaire du début janvier, M. Mendoza Mateo a par exemple reçu 108,27 $.


Pour en arriver à la cadence demandée, il faut faire sept fois par minute ce même mouvement : attraper 5 poulets dans chaque main, 10 au total, et les mettre dans les cages en destination de l’abattoir.


« Je leur ai dit que ce serait probablement le travail le plus difficile de leur vie », se défend Michel Beaudin, en répétant qu’ils « ne veulent pas travailler ». Il les aurait avertis des conditions difficiles, en leur montrant une vidéo lors du recrutement. « La seule chose qu’il cherchait était des hommes avec des grandes mains. C’est ce qu’on nous a dit », affirme quant à lui Ever Alexis Mendoza Mateo.


Les heures de transport à partir de leur logement à Granby, parfois jusqu’à quatre heures par quart de travail selon eux, n’étaient pas non plus rémunérées. Le paiement du temps de déplacement est déjà la principale pierre d’achoppement à une entente collective entre l’employeur et le syndicat des TUAC, actuellement en négociation.


Dignité


C’est d’ailleurs les TUAC, section locale 501, qui portent maintenant les griefs et les plaintes des travailleurs honduriens. « Certains ont eu un congédiement déguisé. C’est quand l’employeur ne te dit pas “bye”, mais qu’il te rend les conditions tellement difficiles qu’il te pousse à t’en aller », explique Julio Lara, représentant syndical des TUAC.


Ronny Asael Miranda, tout comme ses confrères, a signé un accord permettant à la direction de conserver son passeport. Bien que controversée, cette pratique est courante. « C’est pour qu’on puisse faire venir leur carte d’assurance maladie et pour éviter de perdre les passeports », justifie Michel Beaudin. M. Miranda a donc fait croire qu’il en avait besoin pour s’acheter un cellulaire : « Je ne voyais pas comment le récupérer autrement. »


« Il y a plus de travailleurs étrangers qui quittent l’industrie de la volaille » que n’importe quel autre domaine agricole, affirme sans détour Marie-Jeanne Vandoorne, coordonnatrice du Centre des travailleurs de Saint-Rémi. Julio Lara, des TUAC, décrit quant à lui la pression sur les coûts de production par les géants de l’abattage et de la mise en marché : « Ce sont les transformateurs de poulets qui déterminent le prix, alors tout le monde essaie de sauver le plus d’argent possible. » C’est pourtant à peine un tiers de cent par poulet qui va à l’attrapeur, des attrapeurs aujourd’hui en majorité venus du Sud.


Michel Beaudin affirme avoir « perdu de l’argent », les frais de voyage initialement assumés par l’entreprise n’ayant pas encore été totalement remboursés par des déductions sur la paie des travailleurs.


Rappelons que les permis de travail temporaire en milieu agricole sont rattachés à un seul employeur. En quittant cet employeur, les travailleurs se retrouvent sans visa de travail et, rapidement, sans statut au Canada.


> La suite sur Le Devoir.



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