Les Patriotes dans le miroir des torys montréalais (1)

Des rebelles en nombre illimité

Le parlement brûle - 1849

On a encore pas mal de croûtes à manger avant de reconnaître la juste valeur des Patriotes dont on se flatte d’honorer la mémoire. Prenez Létourneau par exemple : dans Que veulent vraiment les Québécois ? (2006), après avoir justement relevé les lacunes de la « direction politique » de « l’illustre Papineau », il enfonce le clou du cerceuil sur les « radicaux devenus insurgés » :
« Il faut voir à quel point ils sont, compte tenu de la stratégie extrême qu’ils préconisent, souvent appuyés uniquement en désespoir de cause ou par crainte d’intimidation, puis carrément décriés ou rapidement reniés après l’échec des soulèvements plutôt que plébicités ou soutenus sans condition par la population » (42).
Je laisse au lecteur le soin de méditer l’appareil critique des trois notes jointes à cette phrase – ou plutôt, cette pétition de principe – celle-ci ne reposant en fait sur aucune base documentaire solide. On est aux antipodes de la conclusion à laquelle parvient Paul Romney (la référence historique sur laquelle repose la motion unanime votée au Parlement fédéral à propos de la « Québécois nation » : au terme de son analyse du mouvement réformiste ontarien, comparable à plusieurs égards au cas bas-canadien, il considère « the ensuing rebellion virtually an act of self-defence» (Mr Attorney, 1986, 157).
Mon avis est que tant qu’on restera enfermé dans le trauma identitaire, tant qu’on ne prendra pas le temps d’évaluer et de sonder la diversité du point de vue des Britanniques d’ici ou d’ailleurs, on s’interdit la connaissance d’un point de vue véritablement « autre » sur le sens de notre combat politique dans les premières décennies du 19e siècle et non pas émamant de je ne sais quel fantasme spéculaire post-machin orienté vers je ne sais quel chimérique et indigeste « intention nationale ». Que ça nous plaise ou non, l’identité québécoise est aussi, en partie du moins, une création anglo-saxonne, ne serait-ce qu’à titre réactionnel.
Il faut dire que ce défaut d’érudition et l’enlisement identitaire chronique est largement compensé chez Létourneau par l’espèce de raffinement sado-anal avec lequel il s’applique à empailler les motivations qui ont poussé les paysans à prendre les armes en les rabaissant au niveau bassement trivial d’un carriériste en mal d’émancipation. Rien à voir avec les complaisances dans le syndrome victimaire, indéniables et bien réelles, mais qui viennent seulement après-coup.
C’est une des idées-force de nos intellecuels patentés. À l’exception peut-être de Jean-Paul Bernard, Maurice Séguin et quelques autres, de Garneau à Fernand Ouellet en passant par le chanoine Groulx et Gérard Filteau, toute la couche pensante québécoise désapprouve en effet, dans un bel élan unanimiste, la violence et le recours aux armes. Le fait d’avoir bradé la soutane pour les vestes de tweed et la BMW ne semble pas avoir été un facteur décisif dans la constance du phénomène depuis cent cinquante ans. Le pli rejoint le mythe contractualiste faisant écran au phénomène pourtant irrécusable de la guerre, fondement refoulé et objet de déni des institutions politiques canadiennes. Mais cela on ne veut pas le voir ou en rire comme la position récente de la Montreal Gazette l’illustre bien. On préfère de loin s’en tenir à des versions édulcorées. Comme dit Shakespeare des messagers dans le Prologue de la deuxième partie de Henry the Fourth :
« ils apportent les flatteuses consolations du mensonge, plus cruelles que la rigoureuse vérité » [« they bring smooth conforts false, worse than true wrongs » ].
Je propose dans ce qui suit un très bref aperçu de ce vers quoi tend l’analyse sérieuse de la mentalité des paysans québécois du district de Montréal vue à travers les yeux des « autres ». À la fin par exemple de Getting It Wrong (1999), glosant un article de Jérôme-Forget paru en 1997, Paul Romney nie que les Rébellions de 1837-38 et le spectre de l’assimilation sanctionnée par Durham relèvent d’un clivage strictement identitaire entre francophones et anglophones :
« neither was a matter between the French-and English speaking inhabitants of British North America. English Canadians also rebelled and suffered repression, and some united with francophones to ensure that Durham’s policy was abandoned almost before it was implemented » (290).
L’affaire n’est pas nouvelle. Dans son édition hebdomadaire du 23 décembre 1837, le Montreal Herald déjà renchérissait sur un article de la Quebec Gazette dans lequel l’auteur prétendait que les vrais instigateurs du soulèvement populaire dans le district de Montréal n’étaient pas des Canadiens-Français. En plus de figures connues, O’Callaghan, Brown et Scott, l’éditeur du Herald en rajoutait – la fallace consistant à prouver que le conflit n’en était pas un opposant deux nationalités, mais uniquement des « principes » politiques abstraits :
« Even with the bare truth, to say nothing of the national taste for fiction, a very plausible tale may be constructed. What happened at the riot in Montreal ? The destruction of the types and press of an English newspaper. Who hoisted the standard of revolt at St. Charles ? Brown, a man of English origin. Who first resisted Her Majesty’s regular troops ? Nelson, a man of English origin. Who commanded the party, that captured the bearers of Sir John Colborne’s despatches and thus cut off the communications between Lieut. Col. Wetherall and Montreal ? Dillon, a man of English origin. Who took the lead in the country of Two Mountains ? Scott and Girod, respectively ruffians of English and Swiss origin. Who went to Quebec to patch up a compromise ? One French-Canadian [Lafontaine] and two English accomplices [Leslie et W. Walker]. Those facts, ingeniously stated and honestly backed by the Quebec Gazette’s unfortunate admission, will make the “loyal and peaceable” French-Canadians look as innocent as Lord Gosford can wish, and furnish him and the other patrons of ignorance and ferocity with an admirable pretext for not making this province thoroughly English. In proof, also, of the “foreign” character of the recent insurrection may be adduced the fact, that there simultaneously existed in Upper Canada a purely political insurrection.»
François Deschamps
À suivre


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