Des étrangers dans nos murs

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Il y a des étrangers dans nos murs, ma mère.

Je ne parle pas d'américains qui flânent dans le quartier latin, bouquinent, allument un cierge à Sainte-Anne de Beaupré et repartent avec une vieille chaise beauceronne.

Eux, ce sont de vieux amis.
Il y a des étrangers dans nos murs, ma mère.

Je ne parle pas des immigrants italiens qui débarquent mal renseignés à Montréal, qui exigent des écoles anglaises, (croyant que le Québec est anglais, on leur a dit.)
Après qu'on leur a expliqué qu'ici c'est français, ils comprennent, parlent français ou s'éclipsent. Gentils, leurs colères sont courtes, comme seraient courtes les colère des Québécois à Rome qui exigeraient des écoles primaires «joual».
Il y a des étrangers dans nos murs, ma mère.

Je ne parle pas des Français de France, touristes ou habitants; paternalistes, grammairiens et cocardiers. Ils ne sont pas méchants. Écoule-les, tu en apprendras.
Mais parle aussi, parce qu'ils savent écouter et sont peut-être venus pour t'écouter.
Il y a des étrangers dans nos murs, ma mère, et du brasse-camarade et du catimini.

Je ne parle pas des vieux Irlandais ou Écossais, nés ici, professeurs, jardiniers, éleveurs, médecins, industriels, journalistes à Westmount ou à McGill, qui lisent «le Devoir», nous défendent, nous comprennent, nous aiment et nous louangent.
Je ne parle pas non plus des caïds de passage qui viennent régler des comptes pap pan... et la police ramasse les cadavres aux portes des palaces. Non.
Ni de l'interminable lite (sic) d'Anglais de toute provenance, ministres, barbiers, vendeurs, qui se découvrent des dons de conférenciers, qui arrivent le verbe chargé de miel pour nous convaincre, nous supplier de rester avec eux, le Canada Uni. Je ne parle pas d'eux.
Il y a des étrangers dans nos murs, ma mère.

Oui, tu as deviné.
Ils ont des noms français, des racines québécoises, des diplômes québécois, des parents québécois, mais ils nous ont échappé. Ils en avaient le droit. Salariés ailleurs, vendus à d'autres causes, ils nous ont reniés. Ils travaillent pour des maîtres qui nous méprisent. On les croirait poussés par quelqu'un d'invisible. Les entends-tu hurler depuis un jour ou deux? Ils effraient, enfoncent des portes, affolent familles, fils et filles, nous bouchent l'horizon, nous enlèvent confiance, sèment le doute en nous parlent de soldats, de crimes... Cette peur qu'ils ont qu'On soit chez nous ici, eux, des anciens Québécois!
Priorité cachée: diviser les français.

Priorité visible: protéger les anglais.
Les richesses qu'ils nous promettent sont nôtres. Ils nous parlent de liberté... liberté surveillée par la gendarmerie royale, qui en veut? Partout où est le loup, ils nous jettent dans sa gueule. Qu'est-ce que c'est un ennemi? Seraient-ils traîtres sans le savoir, ces canadiens-français?
Unis, unis, unilingues anglais n'est pas notre vocation; après deux cents ans, ils commencent seulement à s'en apercevoir.
Québec est français et doit être à nous, gouverné par nous. Je ne suis pas chez moi en Chine, à Vancouver non plus. Ils ne comprennent pas ça. Ces enragés perdus, ne les écoute pas. Garde fermée ta porte, ma mère. Ils savent lier des phrases.
Qui sont-ils?
Des déracinés, des sans-patrie, des trapézistes sans filet, des aventuriers talentueux qu'il faut applaudir peut-être, mais ne pas suivre, car leur port d'attache est dans le rêve.
Soudain, ils disparaissent. Les voilà P.D.G., sénateurs, grands seigneurs, ambassadeurs, gouverneurs.
Il y a des étrangers dans la ville ma mère.
Ferme ta radio et décide du jour où ce pays sera à toi.
C'est toi, ma mère, qui va une fois pour toutes régler ce problème, toi d'abord, la femme, et personne d'autres.»
Félix Leclerc, Ile d'Orléans, le 30 octobre 1976


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