Des convois inflammables sans surveillance

Aucune réglementation n’oblige la garde d’un train chargé de matières inflammables

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Le système pris en flagrant délit de contradiction avec lui-même

Dans un monde post-11 septembre 2001, où la crainte des attentats terroristes pousse les autorités à toujours resserrer la sécurité dans les transports, comment un train chargé de matières inflammables peut-il avoir été laissé sans surveillance ? C’est la question que se posent des experts de sécurité publique qui déplorent qu’il faille encore une tragédie pour obliger les autorités à réagir.
« Ce n’est pas normal de laisser un train sans surveillance comme ça, dénonce Allan Hamel, expert en gestion des mesures d’urgence et en sécurité ferroviaire du groupe Transports sur rails au Québec (TRAQ). Lorsqu’il est question de produits pétroliers, il devrait toujours y avoir un opérateur à bord. »
Jean-Paul Lacoursière, professeur associé en génie chimique à l’Université de Sherbrooke, s’est dit « surpris » en apprenant qu’on pouvait laisser un train sans surveillance, n’hésitant pas à parler de « laxisme » dans la gestion de la sécurité. Il note par ailleurs le double standard en matière de sécurité dans les transports, comparant le secteur ferroviaire au réseau aérien où la sécurité a été élevée à des niveaux sans précédent depuis les attentats de 2001.
« D’un côté, on a peur qu’on aille introduire un explosif dans de la pâte à dents et qu’on fasse exploser un avion au-dessus de New York, et de l’autre, que quelqu’un aille faire dévaler une pente [à un train rempli de matières inflammables], ça semble être une autre histoire à laquelle on n’a pas réfléchi. »
Les deux experts contactés par Le Devoir rappellent que les règles de sécurité entourant le transport de matières dangereuses ont été renforcées en Europe après des attentats terroristes. La tragédie survenue à Lac-Mégantic fera nécessairement bouger les choses, constatent-ils.
« Malheureusement, c’est ça le problème, déplore Allan Hamel. Les gens marchent à coups de sinistres. Lorsque ça survient, ils remuent ciel et terre et sortent l’argent pour se donner une crédibilité politique. Mais sans ça, on ne bouge pas. »

Une pratique légale
Sur les lieux du drame, le ministre fédéral des Transports, Denis Lebel, a confirmé qu’il était tout à fait légal de laisser un wagon rempli de matériaux inflammables sans surveillance. « Les règles actuelles le permettent », a-t-il affirmé lors d’un point de presse lundi après-midi, ajoutant qu’il s’agissait d’une « pratique assez répandue dans l’industrie ».
S’il est trop tôt pour dire si la réglementation sera modifiée afin d’assurer une meilleure surveillance des trains transportant des matières dangereuses, il affirme que le sujet sera au coeur de l’analyse du Bureau de sécurité des transports (BST) et de Transports Canada. « Ça va faire partie des recommandations qui vont nous être amenées. Tout au moins, je suis certain que les inspecteurs vont analyser ça et nous faire leurs commentaires par la suite. »
Quant aux fameux wagons DOT-111, utilisés pour le transport de matières dangereuses malgré les lacunes clairement identifiées par l’Office national de la sécurité des transports (NTSB) aux États-Unis, le ministre Lebel répond que 70 % des wagons utilisés en Amérique du Nord sont de ce type. Va-t-on les bannir ? « Il y a des analyses qui vont se faire, le BST va investiguer toutes les facettes de l’incident », s’est-il contenté de répondre.
Questionné par Le Devoir sur la surveillance des convois ferroviaires transportant des matières dangereuses lors des changements de quart, le Canadien National (CN) s’est refusé à tout commentaire. « Nous préférons ne pas commenter, puisque c’est au coeur de l’enquête », a expliqué le porte-parole Louis-Antoine Paquin.
Avec Marie-Andrée Chouinard


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