« Délirant », « irréaliste »... Des économistes jugent le plan d’aide grec

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Un accord mort-né ?

Punitif, bancal, risqué. Alors que sa version finale n’est pas encore adoptée, les économistes sont nombreux à s’interroger sur les chances de succès du compromis conclu entre Athènes et ses partenaires européens lundi 13 juillet. Et, en particulier, sur sa capacité à relancer vraiment la croissance grecque. « Certains volets sont prometteurs, mais je suis très pessimiste quant à l’impact réel qu’il aura sur l’économie grecque », analyse Gabriel Sterne, économiste chez Oxford Economics et ancien du Fonds monétaire international (FMI).

En échange d’un troisième plan d’aide de 86 milliards d’euros, Athènes s’est engagée à adopter, mercredi 15 juillet, un ensemble de mesures draconiennes : réforme des retraites, hausse de la TVA, privatisations… Sous réserve que l’accord soit adopté par les autres pays membres de la zone euro, la Grèce devra également instaurer un mécanisme de coupes automatiques dans les dépenses publiques si les objectifs budgétaires ne sont pas tenus.

Enfin, les institutions partenaires (l’ex-« troïka », FMI, Banque centrale européenne, Commission européenne) auront un droit de regard sur les législations-clés votées par le pays. Une ingérence qu’une partie de Syriza et de la gauche européenne qualifie d’une intolérable « mise sous tutelle ».

Un point de vue partagé par nombre d’experts. Pourtant, ce programme présente au moins deux avantages, jugent-ils. D’abord, il a écarté la menace imminente du « Grexit ». « Il comporte également nombre de réformes structurelles susceptibles de renforcer positivement l’économie grecque », ajoute Diego Iscaro, économiste chez IHS Global Insight. A l’exemple de l’ouverture des professions protégées ou de la lutte contre la corruption.

Des effets positifs, mais à long terme

L’ennui, c’est que l’effet positif sur la croissance de telles réformes ne se ferait pas ressentir avant des années. Or, le plan comporte également des mesures qui, à court terme, auront un effet très négatif sur l’activité. Au total, les hausses de taxes et baisses de dépenses publiques représentent en effet une contraction budgétaire de plus de 6 milliards d’euros en 2015 et 2016, soit 3,4 % du produit intérieur brut (PIB). « Un objectif délirant, d’autant que la Grèce est retombée en récession fin 2014 », commente Eric Dor, économiste à l’Iéseg.

Paradoxalement, ces mesures de rigueur contribueront donc, dans un premier temps, à augmenter le poids de la dette publique dans le PIB (177 % aujourd’hui), puisque ce dernier continue de se contracter. « Ce plan reproduit les mêmes erreurs que les précédents, avec une austérité très mal dosée : la “troïka” n’a rien appris », regrette M. Iscaro. En 2013, le FMI avait pourtant lui-même reconnu avoir sous-estimé l’impact récessif des mesures de rigueur demandées. « Mon angoisse est que ce plan prolonge l’agonie de l’économie grecque au lieu de l’écourter », assène M. Sterne.

D’autant que celui-ci s’applique dans un contexte plus délicat encore qu’en 2010 ou 2012. « Les banques sont fermées et au bord de l’asphyxie, les PME n’ont plus accès à aucun financement, la méfiance des investisseurs envers la Grèce n’a jamais été aussi élevée », explique Ludovic Subran, chez Euler Hermes. Et le risque du « Grexit » occupe de nouveau tous les esprits.

Un objectif « irréaliste » pour les privatisations

Le doute des économistes porte également sur la création d’un fonds de privatisation. Selon l’Eurogroupe, son objectif sera d’engranger 50 milliards d’euros : 25 milliards serviront à restructurer les banques, tandis que les 25 autres iront au service de la dette et aux investissements. « Cette cible de 50 milliards d’euros est irréaliste et inatteignable, car les prix des actifs privatisables ont beaucoup chuté avec la récession », commente M. Iscaro. Une analyse partagée par le FMI lui-même. « Sans parler de la lenteur du système judiciaire et des fortes résistances, notamment des syndicats, qui freineront chaque projet de privatisation », ajoute M. Iscaro.

Lenteur, résistances, opposition… L’application des réformes demandées par les institutions européennes se heurtera au même genre d’obstacles. Leur adoption par le Parlement grec ne suffira en effet pas à garantir leur mise en œuvre sur le terrain. « C’est l’un des problèmes les plus complexes à résoudre auquel est confrontée la Grèce », explique M. Sterne. Surtout : après six ans de douloureux sacrifices, la tolérance du peuple grec à accepter de nouveaux efforts est très affaiblie.

Reste une question-clé : l’accord permettra-t-il, à terme, de restaurer la soutenabilité de la dette publique hellène ? L’Eurogroupe s’est engagé à envisager, si nécessaire, d’allonger la maturité des obligations détenues par les créanciers publics. Mais pas à réduire son montant. « Pas sûr que cela suffise », redoutent les analystes de RBS.

Le FMI lui-même ne dit pas autre chose. Dans un document transmis samedi 11 juillet aux dirigeants européens, qui a fuité mardi 14 juillet dans la presse, le Fonds estime que la dette est « totalement non viable » et devrait frôler les 200 % du PIB d’ici deux ans. Dans tous les cas, une chose est sûre : l’économie grecque, exsangue, ne se relèvera pas avant de longs mois.


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