Après les chocs du Brexit, au Royaume-Uni, et de l’élection de Donald Trump, aux États-Unis, tous les regards sont désormais tournés vers Rome. Dimanche, les Italiens se prononceront par référendum sur la réforme constitutionnelle défendue par le président du conseil, Matteo Renzi. En cas de victoire du non, pour l’heure en tête dans les sondages, le Florentin, arrivé au pouvoir en février 2014, pourrait démissionner.
Les Cassandre redoutent l’ouverture d’une crise politique dans le pays, qui laisserait la voie aux populistes du Mouvement 5 étoiles. Et déclencherait, dans la foulée, une crise de la dette publique italienne. « Ce scénario est excessif, comme l’étaient ceux qui annonçaient l’apocalypse sur les marchés en cas de victoire de M. Trump », veut croire Francesco Saraceno, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et à l’université romaine de Luiss. Tout en admettant que l’issue du scrutin reste incertaine.
Indicateurs encourageants
Quel que soit le résultat, l’économie italienne se serait bien passée d’un tel épisode susceptible de briser la confiance des entreprises et des ménages. D’autant que les derniers chiffres sont plutôt encourageants. Au troisième trimestre, le PIB a progressé de 0,9 % en rythme annuel. « La reprise est enfin là, même si elle reste fragile et poussive », résume Nicola Nobile, analyste chez Oxford Economics, à Milan.
La Péninsule est sortie de la récession plus tard que le reste de la zone euro, en 2014 (+ 0,1 %). Et l’activité n’a vraiment redémarré qu’en 2015, avec un PIB en hausse de 0,7 %. Cette année, il devrait croître de 0,8 %. Le taux de chômage, lui, a commencé à refluer l’an dernier : il est passé de 13,1 % en novembre 2014 à 11,5 % en septembre 2015. Mais, depuis, il stagne autour de ce niveau.
Le Jobs Act, la réforme phare de M. Renzi, lancée au printemps 2015, avait d’abord dopé les créations d’emplois, en instaurant un contrat unique pour les nouvelles embauches. Plus facile à rompre que l’ancien CDI (contrat à durée indéterminée), mais plus protecteur qu’un CDD (contrat à durée déterminée), il a immédiatement séduit les entreprises. D’autant que, les premiers mois, les nouveaux contrats signés étaient accompagnés de généreuses baisses de charges. « Dès que celles-ci ont diminué, les embauches ont flanché, souligne Francesco Daveri, économiste à l’université Bocconi, à Milan. Réformer le marché du travail était nécessaire, mais sans davantage de croissance, cela ne suffit pas pour réduire significativement le chômage. »
Réformes positives
Les autres réformes lancées par M. Renzi, parfois surnommé « Il Rottamatore », [«le démolisseur »], sont, dans l’ensemble, jugées positives. Notamment celles qui visent à accélérer le fonctionnement de la justice ou à solidifier le secteur bancaire. Mais elles ne feront pas pleinement effet avant des années. Et il en faudra plus pour résoudre les profonds problèmes structurels qui affectent l’économie italienne.
Selon le Fonds monétaire international, le PIB de la Péninsule ne retrouvera pas son niveau d’avant-crise avant 2025, alors que celui des autres pays membres de la zone euro sera, en moyenne, de 20 % à 25 % supérieur. « Le choc de 2008 n’a rien arrangé, mais, en vérité, cela fait 20 ans que notre économie décroche, explique Francesco Saraceno. Résultat : notre productivité est aujourd’hui bien trop faible. »
Cercle vicieux
Les raisons de ce décrochage ne font pas l’unanimité parmi les économistes. Pour certains, cela tient à la trop petite taille des entreprises italiennes. « Elles n’investissent pas assez, ne font pas le poids face à la concurrence étrangère et beaucoup ont raté le virage du numérique », explique Raffaella Tenconi, du cabinet Ada Economics, à Londres.
D’autres estiment que le fléchissement italien tient plutôt à un cocktail complexe de plusieurs facteurs, tels que le fossé entre le nord du pays, industriel, et le sud, rural, la piètre qualité de l’administration publique ou l’état d’esprit des entrepreneurs. « Ils sont plus focalisés sur la recherche de la rente que sur la prise de risque », estime M. Saraceno. Pour Alberto Bagnai, économiste à l’université Gabriele D’Annunzio, la monnaie unique n’a fait qu’aggraver les choses. « L’euro a été introduit à un taux de change surévalué pour notre économie, explique-t-il. Cela a laminé la compétitivité de nos exportateurs et, par ricochet, la productivité. »
Tout au long des années 2000, la croissance anémique a, peu à peu, affaibli le secteur bancaire, par ailleurs très fragmenté. Il est aujourd’hui encombré par 340 milliards d’euros (482 milliards $CAN) brut de créances douteuses, dont 200 milliards particulièrement sensibles (les « sofferenze »). Ces dernières correspondent, en partie, à des crédits accordés à des PME mises en difficulté par la récession et sont garanties sur les bâtiments de l’entreprise, ses machines, ou encore la maison du patron…
Ces garanties, très diverses, sont difficiles à récupérer en cas de problème, bien plus que dans le cas des créances douteuses irlandaises ou espagnoles, qui étaient liées à des crédits immobiliers aux particuliers standardisés. « C’est un cercle vicieux, résume Luca Paolazzi, économiste en chef de la Confindustria, le patronat italien, à Rome. En raison des fragilités bancaires, les entreprises peinent à obtenir les prêts nécessaires pour financer leurs investissements : cela pénalise la croissance du pays. »
Dette publique élevée
Plutôt ennuyeux. Car la faiblesse de l’activité pèse aussi sur les comptes de l’État. À 132,8 % du PIB, la dette publique est aujourd’hui la deuxième plus élevée de la zone euro, après celle de la Grèce. « Cela limite les marges de manoeuvre du gouvernement : l’investissement public est au point mort », estime Mme Tenconi. En dépit de la hausse des taux italiens à dix ans, observée depuis le mois d’août (ils sont passés de 1,04 % à 2,02 %), la dette reste néanmoins soutenable. « Le pays dégage un excédent primaire, et le retour de la croissance permettra de réduire progressivement notre dette », rassure M. Daveri.
Une victoire du non au référendum pourrait-elle faire voler ce scénario en éclats ? Le risque d’emballement des taux et d’une nouvelle panique sur les dettes européennes, comme en 2012, est-il sérieux ? Difficile à dire. M. Nobile, lui, préfère comparer la situation actuelle à la crise politique italienne de 2013, lorsqu’il avait fallu deux mois pour que le gouvernement d’Enrico Letta (Parti démocrate également) soit formé. À l’époque, l’écart entre les taux italiens et allemands — le fameux « spread », surveillé avec anxiété par la presse italienne depuis plusieurs semaines —, alors de 3 points, s’était creusé de 0,5 point supplémentaire.
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ITALIE
Une économie suspendue au résultat référendaire
Un non à la réforme de Matteo Renzi pourrait déboucher sur une crise de la dette publique
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