Décomposition

De tels épisodes ont vraiment une odeur d'exceptionnel, de morbide, voire de... pré-révolutionnaire

Crise du capitalisme - novembre décembre 2011


La Grèce, qui a inventé la démocratie, et l'Europe avec elle, est aujourd'hui à l'avant-garde d'une certaine décomposition de la politique, que beaucoup de peuples du monde ont l'impression de vivre à un degré ou à un autre.
Image saisissante de la crise telle que la vivent les Grecs, racontée par Stathis Kouvelakis, professeur de philosophie au King's College de Londres, spécialiste de la Grèce, au Nouvel Observateur:
«La Grèce plonge dans le chaos. Cette impression, je la ressens dans les rues d'Athènes: un commerce sur trois est fermé, les quartiers sont sombres, une grande partie du centre-ville est devenue relativement dangereuse.»
«Les médias étrangers n'ont pas pris la mesure de l'ampleur de ce rejet depuis un an et demi, comme ils n'ont pas pris la mesure de l'état de la révolte [...].»
«On l'a vu lors de la fête nationale du 28 octobre, événement tragique passé presque inaperçu [à l'étranger]. Le chef de l'État a été éjecté de la tribune de la cérémonie officielle par une foule en colère. Une foule qui a ensuite occupé la tribune et devant laquelle les contingents civils ont défilé, chantant des slogans de la résistance et de la lutte contre la dictature.»

De tels épisodes ont vraiment une odeur d'exceptionnel, de morbide, voire de... pré-révolutionnaire.
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Le fait, par exemple, que le recours à la consultation populaire annoncé le 31 octobre par le premier ministre Georges Papandreou (avant d'être précipitamment retiré le 3 novembre) ait été immédiatement perçu — hors de Grèce — comme une abomination, comme une pure folie, voilà qui en dit long sur le rapport de l'Europe communautaire à la démocratie, et sur la déroute de l'instance politique face aux diktats de l'économie.
Car, au fond, était-elle si scandaleuse, cette idée de recourir, pour une fois, au référendum sur des questions aussi graves? Bien sûr, on a reproché à Papandreou d'avoir eu cette idée tardivement: il y a maintenant près de deux ans que la Grèce — et l'Europe à sa suite — vit au rythme de l'austérité, des ultimatums, des aides d'urgence et des crises de nerfs.
La chancelière Merkel, vraie maîtresse du jeu, et son «second», Sarkozy, qui joue les matamores à ses côtés, ne l'ont pas envoyé dire à Papandreou, le 2 novembre au soir: «Mais vous êtes fou ou quoi? L'Europe et les marchés auront le temps de couler dix fois avant que vous n'ayez organisé votre foutu référendum!», lui ont-ils dit en substance, le tenant par le collet.
Ce n'est pas seulement que les peuples fatigués de la politique et des politiciens, et furieux contre la technocratie de Bruxelles, risquent de donner la «mauvaise réponse» à la question posée. Cela s'est vu dans l'histoire récente de l'Europe...
Il y a aussi autre chose: le «temps démocratique», qui se compte en semaines (les campagnes électorales ou référendaires), voire en mois et en années (les mandats électifs), se voit aujourd'hui bousculé, écrabouillé même, par le «temps accéléré» des crises économiques et des paniques boursières. Ce temps-là, lui, se compte en heures sinon en minutes: certaines opérations informatiques font même voyager des milliards de dollars... en quelques fractions de secondes!
En état de gravissime déficit démocratique, la Grèce pré-insurrectionnelle décrite par Stathis Kouvelakis n'aurait-elle pas gagné à faire «sortir la vapeur» d'une telle manière? Mais ce référendum (mort-né) aurait peut-être été une «minute de vérité»... dont personne ne veut, et que tout le monde cherche à repousser.
Une des graves questions que pose le naufrage désormais très possible de l'Union européenne, c'est de voir si l'échec annoncé — un demi-siècle plus tard — de cet immense et noble projet, ne débouchera pas sur des formes morbides, autoritaires ou ultranationalistes. Si le retour de la nation, entité parfois niée, méprisée par les techno-fédéralistes européens et réduite à peu de chose par les grands mouvements financiers, peut se faire aujourd'hui d'une façon constructive.
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Pour finir, une petite devinette: qu'est-ce que les mots suivants ont en commun: scandale, politique, chaos, barbarie, anarchie, catastrophe, tragédie, apocalypse, hypocrisie, hystérie...? Réponse: ils nous viennent tous du grec!
Mais je n'écris pas ça pour accabler les Grecs. Ils nous ont donné la politique et la moitié de notre étymologie. Et peut-être au XXIe siècle, dans son malheur, ce «peuple en croix, aujourd'hui lapidé» (dixit Papandreou) est-il redevenu prophétique.
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses textes à l'adresse http://blogues.radio-canada.ca/correspondants


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