Déclaration de Brian Mulroney

Déclaration à la nation de Brian Mulroney à la suite de l’échec de l’entente du Lac Meech, le 23 juin 1990

MEECH - 20 ans plus tard...


Déclaration à la nation de Brian Mulroney à la suite de l’échec de l’entente du Lac Meech, le 23 juin 1990.
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Le 9 juin, ici à Ottawa, les premiers ministres provinciaux et moi nous étions entendus pour que l'Accord du lac Meech devienne une partie de la Constitution du Canada. Nous avions tous convenu de l'améliorer de manière à répondre aux préoccupations exprimées au cours des trois dernières années par les femmes, les citoyens du Nord, les groupes minoritaires de langue officielle et les autochtones. Les premiers ministres du Nouveau-Brunswick, du Manitoba et de Terre-Neuve avaient convenu de tout mettre en oeuvre afin qu'une décision sur l'Accord du lac Meech puisse être prise avant l'échéance du 23 juin.
Le 15 juin, l'assemblée législative du Nouveau-Brunswick a adopté l'Accord unanimement. Et au cours des deux semaines écoulées depuis le 9 juin, le Manitoba a essayé de surmonter des obstacles de procédure pour l'adopter. Les chefs des trois partis politiques du Manitoba ont parlé en faveur de l'Accord. Les chances qu'il soit adopté semblaient très bonnes pourvu que l'assemblée législative manitobaine dispose de plus de temps. Mais, hier soir, le dernier espoir que l'Accord puisse être ratifié a été anéanti quand l'assemblée législative de Terre-Neuve et du Labrador a ajourné sans tenir de vote. Cette action signifie la fin de cette ronde de réforme constitutionnelle.
Nous devons maintenant nous prémunir contre deux dangers: celui d'abandonner tout espoir et celui de nous créer l'illusion que nous pouvons continuer comme si rien ne s'était passé. Les Québécois ont dit oui au Canada lors du référendum de 1980 parce qu'on leur avait promis un fédéralisme renouvelé. Mais le Québec n'a pas accepté la Loi constitutionnelle de 1982 parce qu'elle ne répondait pas aux attentes soulevées en 1980. En particulier, elle ne conciliait pas le besoin de préserver le caractère distinct que le Québec confère au Canada avec la nécessité de maintenir l'égalité de toutes les provinces et de tous les citoyens canadiens. L'Accord du lac Meech avait été conçu pour concilier ces réalités. Je crois sincèrement que sa ratification aurait été dans le meilleur intérêt de tous les Canadiens. Mais le résultat est évident: nous n'avons pas obtenu le consentement unanime requis et l'Accord n'a pas passé.
Il est important que les Canadiennes et les Canadiens comprennent pourquoi cela s'est produit. L'Accord, qui visait à promouvoir l'unité, est devenu en trois ans, pour beaucoup de gens, un prétexte pour manifester leur insatisfaction à l'égard des budgets, des taux d'intérêt, du libre-échange et des taxes. Il a donné lieu à des accusations de favoritisme ou à des sentiments de rejet et il a attisé les rivalités régionales et les tensions linguistiques. Leur hostilité envers l'Accord du lac Meech a été pour bien des Canadiens une façon d'exprimer leur mécontentement à l'égard des mesures impopulaires prises par le gouvernement.
L'objet initial de l'Accord, comme en avaient convenu les premiers ministres provinciaux à Edmonton en 1986, était la réintégration du Québec dans la famille constitutionnelle. Mais on en est venu à attendre de lui qu'il réponde à toutes les préoccupations constitutionnelles du pays. Notre insuccès est aussi, au moins en partie, l'échec des mécanismes de modification de la Constitution. Par suite des procédures établies en 1982, les premiers ministres provinciaux et moi devions rouvrir les négociations et recréer l'unanimité chaque fois qu'était élu dans une province un premier ministre qui choisissait de ne pas honorer l'engagement de son prédécesseur.
Ou, comme de fut le cas à Terre-Neuve, quand était élu un premier ministre qui choisissait de révoquer l'approbation donnée par la législature précédente.
Mais nous avons créé un consensus historique autour de l'Accord et, à force de persévérance, sommes venus bien près de le maintenir. L'Accord a été signé par dix premiers ministres provinciaux représentant quatre partis politiques différents. Il a été approuvé par les assemblées législatives de huit provinces représentant 94 p. cent de la population du pays, et les trois leaders politiques de la neuvième province s'étaient publiquement engagés à le faire adopter. Il a été adopté par la Chambre des communes à deux occasions distinctes, chaque fois par une très forte majorité des voix.
Malgré tous ces efforts, nous avons raté une occasion de tourner la page et d'ouvrir un nouveau chapitre de notre évolution constitutionnelle. Au moment où le monde se prépare à entrer dans le XXIe siècle, nous n'avons pas su clore un débat qui remonte avant la Confédération elle-même. C'est pourquoi je suis si profondément déçu que cette tentative de réforme de la Constitution ait échoué.
J'invite instamment nos amis et partenaires de l'étranger à considérer la situation dans sa juste perspective. Nous, Canadiens, avons toujours surmonté dans le passé les obstacles à notre unité, et nous le ferons encore. Avec une population d'à peine 26 millions, nous avons bâti un pays dont l'économie se classe au huitième rang des plus puissantes du monde et qui jouit d'un des plus hauts niveaux et d'une des meilleures qualités de vie au monde. Il serait mal avisé pour quiconque de sous-estimer le potentiel d'un pays aussi richement pourvu de ressources que le nôtre, et de sa population, formée de travailleurs productifs et industrieux. Les perspectives économiques du Canada demeureront parmi les plus intéressantes et les plus prometteuses au monde et le gouvernement va continuer d'appliquer des politiques destinées à réaliser tout ce potentiel.
Je veux dire à mes concitoyens du Québec à quel point je suis désolé que le Québec n'ait pas pu, cette fois-ci, réintégrer la famille constitutionnelle dans «l'honneur et l'enthousiasme». Mais il sort de ces négociations en ayant gardé sa dignité intacte et sans avoir le moindrement dérogé à ses principes. Le Québec n'a jamais été isolé; en fait, il a été pendant tout ce temps un membre de la majorité. Ses positions, exprimées éloquemment par le Premier ministre Bourassa, ont maintes fois reçu l'appui de premiers ministres anglophones qui se sont toujours montrés sensibles à ses préoccupations.
Pendant sept longues journées, les dix premiers ministres provinciaux et moi nous sommes efforcés de trouver une formule qui permettrait de réintégrer le Québec dans la famille constitutionnelle canadienne. Mais nos efforts ont échoué et cela pourrait avoir de sérieuses incidences pour le Canada, car toute action a des conséquences. Le débat des trois dernières années a démontré que le Canada a profondément changé et nous allons entamer une ère de changements encore plus profonds. Ce n'est pas le temps maintenant de lancer de nouvelles initiatives constitutionnelles. C'est le temps de concilier nos différends, de panser nos plaies et de tendre la main à nos concitoyens.
Il y a beaucoup de choses auxquelles il nous faudra réfléchir avant d'entreprendre à nouveau de modifier la Constitution. Il y a une chose qui est très claire et c'est que nous devrons trouver de meilleurs moyens de le faire. Dans les mois et les années à venir, nous devrons trouver ensemble des moyens de concilier la nécessité de faire participer la population et d'agir de façon démocratique avec les contraintes juridiques maintenant enchâssées dans la Constitution.
Je ne vous cacherai pas la grande déception que me cause le dur coup que les Canadiens ont tous subi hier. Il n'y a pas de honte à avoir essayé d'écarter la lourde menace qui pèse sur Notre unité. Rien ne peut être accompli à moins d'y mettre les efforts nécessaires. Et toute entreprise comporte un risque d'échec. Mais je préfère avoir échoué en essayant de faire avancer la cause de l'unité canadienne que de n'avoir pas pris de risque, de n'avoir rien fait et d'avoir critiqué les efforts des autres. Nos efforts pour faire ratifier l'Accord ont échoué, mais cet échec n'est pas l'échec du Canada.
Le Canada n'est pas un pays de défaitistes, et le gouvernement que je dirige n'est pas de ceux qui abandonnent facilement. Nous allons tous être de retour à la tâche la semaine prochaine. Nous allons mettre en oeuvre une série d'initiatives nationales afin de répondre aux priorités économiques et sociales des Canadiennes et des Canadiens. Nous allons établir des programmes destinés à les rapprocher et à jeter des ponts entre les solitudes dans lesquelles tant de nos concitoyens anglophones et francophones demeurent confinés.
Le Canada n'est pas qu'une simple liasse de documents constitutionnels; le Canada est plus - beaucoup plus - qu'un vieux parchemin rangé dans un classeur aux Archives nationales. Le Canada est le legs que nous ont laissé nos parents et l'héritage que nous allons laisser à notre tour à nos enfants. Partout dans le monde, les gens admirent et respectent notre pays. Je ne suis prêt à renoncer à rien de tout cela. Entretemps, malgré ce revers, malgré cette grande déception, le magnifique idéal d'un Canada généreux et tolérant subsiste, et il finira par prévaloir un jour.


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