Oui, je suis un dictateur, du moins, c’est bien ainsi que me voient mes étudiants lorsque en début de session je leur fais signer un document qui spécifie noir sur blanc qu’ils s’engagent à ne pas consulter leur téléphone intelligent dans ma salle de cours, et ce, dès qu’ils y mettent les pieds.
Au début, je dois l’avouer, ils ont du mal à encaisser le coup. Certains, après quelques minutes de sevrage de cette drogue dure, commencent à se comporter bizarrement, à ressentir de l’anxiété ou à trembler. J’en ai déjà vu se mettre à saigner du nez ou à pleurer à chaudes larmes tout en me lançant par la tête les pires insultes. D’autres, ne pouvant supporter pareille abstinence, emploient tout leur génie pour trouver des stratagèmes afin d’enfreindre en toute discrétion cette loi draconienne que je leur fais subir. Mais j’ai vu neiger, je sais reconnaître les membres de la tribu des têtes penchées qui consultent d’un air innocent cet objet du désir qu’ils croient bien dissimulé sur leurs cuisses en dessous de leur table de travail. Lorsque je les démasque, ils demeurent sans mot, figent complètement, me laissant alors tout le loisir de cueillir l’objet maudit que je m’amuse alors à détruire à grands coups de marteau devant l’ensemble de mes étudiants qui restent médusés face à ce geste sacrilège d’une rare violence…
Soyez sans crainte, l’ensemble de ces réactions face à l’interdiction du téléphone dans ma salle de cours relève de la pure fiction. À la suite de cette décision, il y a bien quelques rappels à l’ordre à faire au début de la session mais, en règle générale, les choses se passent plutôt bien. Je crois même que la grande majorité de mes étudiants sont contents que je leur interdise de consulter leur téléphone en classe. Enfin, ils peuvent rassembler leurs esprits, se concentrer, réfléchir pour finalement participer à mon cours.
Question de respect
Le fait de vouloir voir le visage de mes étudiants lorsque je donne mon cours n’est pas un caprice de ma part. Cela me permet de savoir s’ils sont attentifs. Par leurs mimiques, ils me laissent sentir qu’ils sont intéressés, étonnés, dubitatifs, perdus ou carrément indifférents face à ce que je leur raconte, ce que je ne peux pas saisir si je les laisse consulter leur téléphone. Le fait de lire toutes ces informations sur le visage de mes étudiants me permet aussi d’adapter mon propos, de corriger le tir, de préciser certaines choses et surtout de les questionner ou de dialoguer avec eux.
Et puis, c’est surtout une question de respect. Lorsque quelqu’un s’adresse à vous, vous devez lui prêter attention, l’écouter. Cela relève de la simple politesse. En interdisant le téléphone en classe, c’est une des valeurs que je tente d’inculquer à mes étudiants. Sans ce respect, sans cette écoute de part et d’autre, la communication est rompue et la mission éducative devient impossible.
D’ailleurs, je suis toujours étonné de lire ou d’entendre que bien des enseignants ne savent plus comment « gérer » la présence du téléphone dans leur salle de cours. Vous savez quoi, il s’agit de se tenir debout et de dire non, ça s’arrête ici. Soyez assurés que tout le monde en sortira gagnant. Certains grands analystes vous diront que les choses ne sont pas si simples, que le téléphone intelligent peut être utile en classe, que certains étudiants prennent des notes à l’aide de celui-ci, etc. Balivernes que tout ça. Pendant que l’étudiant consulte son téléphone, il n’est plus avec vous, il est ailleurs. De plus, ce comportement asocial et irrespectueux vient miner l’ambiance de la classe et nuit aussi à la concentration de ceux qui se trouvent tout près de ces étudiants esclaves de cette mauvaise habitude.
Voilà quelques années, alors qu’une étudiante accro du texto en classe s’apprêtait à faire une courte présentation devant mon groupe, je me suis assis au milieu de la salle téléphone à la main, tête baissée et les yeux rivés au petit écran pendant qu’elle tentait de livrer son message. À la fin du cours, je suis allé la voir pour lui demander comment elle s’était sentie face à mon comportement. « Comme un déchet », m’a-t-elle répondu. « Maintenant, tu comprends comment je me sens lorsque des dizaines d’étudiants font devant moi ce que j’ai fait devant toi », lui ai-je dit. Je crois que la leçon a porté ses fruits. Après cette petite mise en scène, jamais plus elle n’a osé texter en ma présence.
Maintenant, je leur demande de ranger leur téléphone lorsqu’ils sont en classe.