Les Nouveaux barbares

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Cette barbarie-là est une obscénité

Je crois qu'on peut dorénavant en faire le constat : nous sommes gouvernés au Québec par une catégorie de gens que je qualifierais de Nouveaux barbares. Évidemment, ils ne se promènent pas la hache à la main, prêts à détruire physiquement tout ce qui évoque la civilisation occidentale. Toutefois, bien que leur approche soit plus subtile, le résultat au bout du compte risque bien d'être un peu le même...
Un des traits fondamentaux du Nouveau barbare concerne son rapport avec la culture et le passé. Pour lui, « le passé est passé » comme le dit Alessandro Baricco dans son livre Les barbares, mais il est surtout dépassé du fait qu'il se compose à ses yeux de faits divers sans importance qu'il n'hésite pas à mettre sur le même pied d'égalité. Pour lui, tout s'équivaut. C'est d'ailleurs dans ce contexte qu'il faut comprendre la déclaration toute spontanée d'Yves Bolduc, l'ex-ministre de l'Éducation, lorsqu'il affirmait que l'absence de livres dans les écoles du Québec n'allait faire mourir personne. Dans sa bouche, un livre et une poutine ont la même valeur nutritive.
Ainsi, l'Histoire pour les Nouveaux barbares est une matière morte, un ramassis d'objets hétéroclites qui s'accumulent dans les entrepôts désaffectés du passé. Leur désir le plus cher serait d'y aller d'une immense vente de garage afin de tout liquider, de tout effacer pour repartir à zéro. Ce qui compte pour le Nouveau barbare, c'est le présent, le « concret », ce qui est là sous la main. C'est d'ailleurs à partir de cette vision digne d'un bigleux que Philippe Couillard a pu affirmer « qu'on est tous venus d'ailleurs » et que « c'est juste la date d'arrivée qui change », faisant ainsi de nous tous des immigrants. Pas surprenant dans ce contexte qu'il se soit dit disposé à signer la Constitution canadienne afin d'en finir une fois pour toutes avec ces vieilles chicanes qui, elles aussi, appartiennent au passé.
Le Nouveau barbare est tout de même intéressé par l'avenir. Mais détrompez-vous. S'il regarde vers le futur, ce n'est pas parce qu'il a un projet de société à nous proposer, des idéaux ou des valeurs à défendre. En fait, la seule valeur qui l'intéresse est la valeur marchande. Ce qui compte pour lui, c'est ce qui est chiffrable, comptabilisable et surtout rentable. S'il se dit préoccupé par le poids de la dette et l'avenir de nos enfants, tout ceci doit être interprété comme des prétextes vertueux pour justifier des coupures draconiennes dans les différentes missions de l'État dans le but de laisser grande ouverte la porte à l'entreprise privée, c'est-à-dire à lui et ses amis. Argent est le Dieu du Nouveau barbare et sa Bible, comme nous le disait Antoine Robitaille du Devoir, a pour nom The Fourth Revolution, livre encensé par Philippe Couillard et dans lequel les auteurs proposent une vision « dégraissée » et minimaliste de l'État.
C'est que le Nouveau barbare est convaincu qu'il s'est fait lui-même, qu'il ne doit rien à personne, pas plus qu'à la société qui l'a vu naître. « Si je m'en suis sorti tout seul, alors tout le monde peut en faire autant », se répète-t-il. Le filet social dans son esprit est un ruban à mouches qui attire les paresseux et entretient la misère au lieu de la faire disparaître. En fait, pour le Nouveau barbare, le rôle du citoyen est réduit à celui de simple électeur et surtout de payeur de taxes et d'impôts. Toutefois, dans sa gestion des « vraies affaires », il préfère s'adresser à lui en tant que consommateur de services, d'usager, de bénéficiaire ou, si vous voulez, de client. De toute façon, l'individu à ses yeux n'est pas une fin en soi, mais plutôt un moyen. Ainsi, l'être humain est vu comme un problème par le Nouveau barbare, comme une charge pour l'État.
Vous le voyez, le Nouveau barbare est un calculateur, un fin stratège prêt à tout sacrifier pour arriver à ses fins. D'ailleurs, la nature dans son ensemble est perçue par lui comme un bassin de matière première et d'énergie, comme un immense buffet chinois dans lequel lui et ses amis peuvent se servir à volonté pour s'enrichir. Plan Nord, pétrole de schiste, projet d'oléoduc... All you can eat est leur mot d'ordre. Face à ce rouleau compresseur, les bélugas n'ont qu'à bien se tenir.
Reste finalement l'usage que le Nouveau barbare fait de la langue. En fait, les mots dans sa tête se comportent comme des girouettes : leur sens change au gré de ses intérêts et selon les circonstances. C'est ainsi que l'intégrisme religieux peut devenir un choix personnel dans la bouche d'un Philippe Couillard; que la ministre de l'Immigration, Kathleen Weil, accepterait et n'accepterait plus une personne avec de pareilles convictions religieuses dans son cabinet politique; que la fouille à nu « respectueuse » pouvait être et ne plus être acceptable pour l'ex-ministre de l'Éducation, Yves Bolduc.
Souvenons-nous de ce passage célèbre de Lewis Carroll dans De l'autre côté du miroir : « Quand, moi, j'emploie un mot, déclara Humpty Dumpty d'un ton assez dédaigneux, il veut dire exactement ce qu'il me plaît qu'il veuille dire, ni plus ni moins. » En fait, « la question est de savoir qui sera le maître, un point c'est tout », ajoute-t-il. Ainsi, le Nouveau barbare peut bien être un inculte, un parvenu ou un arriviste, ce à quoi il aspire avant tout, c'est de devenir le maître, quitte à tout saccager autour de lui.
Tout comme Alice, je crois qu'il serait temps pour nous de sortir de ce cauchemar...


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