Daesh, qu’est-ce que c’est ?
Les frappes aériennes de la coalition montée par Barak Obama sont impuissantes à stopper la progression des djihadistes de l’Etat Islamique. Le drame de Kobané témoigne de la nature et de la force de cet ennemi, qui a mis sur pieds une véritable armée. Dans un entretien publié par « Atlantico », Alain Chouet décrypte ce qui se cache derrière l’acronyme « Daesh ».
Que nous enseigne l’affaire de Kobané sur la nature et sur l’organisation des forces islamistes en présence ? L’image du djihadiste se cachant dans les montagnes doit-elle définitivement être mise en placard ?
Alain Chouet : Il y a longtemps qu’en Irak et en Syrie les djihadistes ne se cachent plus dans les montagnes. Longtemps soutenus financièrement et logistiquement par divers Etats, bénéficiant d’un important apport de volontaires étrangers grâce à la complaisance des autorités du gouvernement islamiste turc, profitant de l’effondrement de la capacité de contrôle territorial des pouvoirs locaux, les djihadistes de l’Etat Islamique se sont constitués en une véritable armée avec une implantation territoriale définie, une hiérarchie, des véhicules et armes abandonnés par les armées régulières débandées, ou fournies par des intervenants extérieurs, des ressources locales fournies par leur contrôle du terrain.
Malgré des effectifs nombreux, un armement lourd et un encadrement assuré selon certaines sources par d’anciens officiers de Saddam Hussein, peut-on aller jusqu’à qualifier l’Etat islamique d’armée au sens traditionnel ?
Ils ne sont pas si nombreux que cela. On évalue les effectifs actuels de l’EI dans une fourchette de 15000 à 20000 individus de qualité militaire très inégale. Ces effectifs peuvent parfois compter sur le renfort de chefs de tribus ou de villages locaux dont les islamistes se payent les services avec le produit de leurs rapines.
Leurs rangs et leurs capacités militaires ont été considérablement renforcés par l’apport de nombreux officiers et sous-officiers sunnites de l’armée de Saddam Hussein brutalement licenciés par l’administration américaine en Irak ainsi que par de nombreux vétérans des autres théâtres de djihad (Tchétchénie, Bosnie, Afghanistan, Libye, etc.). Nombre de ces "vétérans" sont en fait des mercenaires rémunérés (les chiffres varient de 500 à 2000 dollars par mois) et surtout autorisés à se "payer sur la bête" par le viol, le pillage, le racket et les trafics.
Les forces de l’Etat Islamique peuvent donc effectivement s’analyser en une véritable armée ou, au moins, comme l’une de ces "grandes compagnies" de mercenaires qui terrorisaient et pillaient l’Europe du Moyen Age.
Quelles sont leurs sources de financement locales et internationales ?
Il ne fait plus de doute aujourd’hui que l’Arabie Saoudite et le Qatar ont largement contribué financièrement et logistiquement à l’émergence et au développement des mouvement djihadistes en Irak et en Syrie en vue de déstabiliser les pouvoirs locaux suspects de connivence avec l’Iran. L’EI a même bénéficié dans ce domaine d’une surenchère entre les Saoudiens et les Qataris.
Pour des raisons diverses, ces deux monarchies arabes ont interrompu à l’été 2013 leurs financements d’Etat ou via des fondations publiques au profit de ces organisations djihadistes. Mais le relais a été pris à une moindre échelle par des donateurs privés de ces deux pays et du Koweït. Le Département du Trésor américain a récemment publié des listes de ressortissants de ces pays soupçonnés ou convaincus de financer l’EI en Irak et Jabhat el-Nosra en Syrie.
Et entre temps l’EI a mis a profit sa capacité d’offensive pour s’enrichir considérablement par le pillage, le racket et les trafics, notamment celui des ressources pétrolières et gazières.
Plutôt "qu’Etat islamique", "califat" ou "Daesh", faudrait-il davantage parler "d’entreprise" ou de "multinationale du terrorisme" ? En quoi ce groupe diffère-t-il d’Al-Qaida à ses plus belles heures ?
Al-Quaïda était un mouvement terroriste stricto sensu, c’est-à-dire u groupe restreint ayant une stratégie globale mais pas de tactique définie, mettant en œuvre des non-professionnels de la violence sacrifiables en vue de commettre dans le monde entier des attentats aveugles comme ils pouvaient, où ils pouvaient, quand ils pouvaient, pourvu que la violence soit spectaculaire, médiatisée et porte la signature et le message de la mouvance.
L’EI est, au contraire, une véritable armée de professionnels de la violence avec un chef, une mission, des moyens, un agenda et des objectifs précis dans un espace limité. Le seul fait de se désigner sous le nom d’Etat montre bien que ses responsables entendent se donner un ancrage institutionnel (Dawla) à fondement islamique (al-Islamiyyah) et géographique en Irak et en Syrie (fil-Iraq wa ash-Sham). Le tout formant l’acronyme arabe "Da’ish". Ce n’était pas du tout le cas de Ben Laden, au moins dans sa version finale des années 1998-2001 qui prônait une violence déterritorialisée contre le monde entier.
Pour autant, il serait prématuré et inexact de parler de "multinationale du terrorisme". D’abord parce que - même si les ressorts et les affirmations idéologiques sont identiques - les objectifs, les méthodes et l’agenda de l’Etat Islamique ne sont pas ceux d’Aqmi, des Shebab somaliens ou de Boko Haram. Ensuite parce que les actions de l’EI s’analysent pour l’instant (j’insiste : pour l’instant…) en opérations militaires à visage découvert, certes d’une barbarie et d’une sauvagerie rarement égalées, contre des ennemis désignés et déclarés et non en opérations terroristes aveugles contre des tiers n’ayant qu’un lointain rapport avec les problématiques locales.
Sur le terrain, quelles sont les méthodes des djihadistes pour faire régner la discipline et la Charia ? Quel sort est réservé aux prisonniers selon leur statut et origine, et aux femmes ?
Les méthodes de l’EI pour assurer l’ordre public sont assez sommaires et conformes à la charia : flagellation des petits contrevenants, amputation diverses (mains, pieds, nez, lèvres) pour les cas plus graves, flagellation ou lapidation pour les femmes "frivoles", décapitation pour les infractions majeures. Les prisonniers musulmans sunnites sont invités à rejoindre les rangs de l’Etat Islamique sous peine de mort. Les autres, en particulier les "hérétiques" (Yazidis, Chiites, Alaouites, Ismaéliens) sont exécutés sur le champ. Les Chrétiens sont sommés de se convertir et de payer une taxe spéciale et sont exécutés s’ils refusent.
pour aller plus loin : http://www.atlantico.fr
Par Alain Chouet
Date de parution : 13/10/2014
ALAIN CHOUET
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