Dans une lettre ouverte intitulée «À partir d’aujourd’hui, vous travaillez enfin pour vous!» (La Presse+, 21-06-2017), Charles Lammam qui est directeur des études fiscales de l’Institut Fraser, ne passe pas par quatre chemins pour exprimer sa joie (j’ai envie de parler d’euphorie) face à ce qu’il nomme la «journée de l’affranchissement de l’impôt». Son texte porte en effet sur ce moment de l’année (précisément le jour de la publication de l’article) où, selon les calculs de l’institut pour lequel il travaille, les individus commencent à travailler «pour eux-mêmes» (selon ses dires) ; la somme salariale jusqu’à cette date étant la portion payée en impôt. Cela étant dit, mon objectif dans cet article est de montrer qu’une telle célébration est révélateur d’une culture de cynisme individualiste de droite hostile à l’État qui, ultimement n’est pas sans conséquence sur les idéaux sociaux de solidarité et de justice sociale qui sont des principes centraux de la démocratie québécoise.
Je dois d’abord dire que l’option idéologico-politique de l’auteur a l’avantage d’être clair. À cet effet, certains mots ont particulièrement attiré mon attention, notamment l’utilisation de l’adverbe «enfin» pour mettre l’accent sur la «libération» du «fardeau» que représente l’impôt. Le terme même d’«affranchissement» étant symptomatique d’un mépris de la dimension irréductiblement collective de notre existence et par le fait même du politique réduit par M. Lammam à un simple «appareil gouvernemental» incompétent et désincarné. En entretenant cette aversion à l’égard de l’impôt, je considère que l’auteur nivelle par le bas quant à l’importance, voir le devoir, pour chacun et chacune de participer, à sa juste part, à l’édification d’une structure sociale qui profite à l’ensemble de la population.
Mon propos n’est pas d’affirmer que le système socio-politique actuel est effectivement organisé de telle sorte à toujours satisfaire les besoins du plus grand nombre (ce que l’auteur range sous la réductrice expression «en avoir pour son argent»). À cet effet, il a tout à fait raison de pointer certaines réalités qui illustrent les problèmes divers qui persistent dans la société (infrastructures scolaires, attentes dans les urgences,…). Or, je pense que critiquer la gestion politique de l’argent issu des contribuables est une chose, mais que d’aller jusqu’à célébrer le fait de cesser de payer de l’impôt dans l’année en raison de problématiques qui persistent en est une autre ; frontière que je trouve grave de franchir.
Selon moi, Monsieur Lammam se trompe de cible et ce faisant, il s’attaque de manière démagogique («Avez-vous hâte de prendre vos vacances cet été? Vous le méritez.») à la responsabilité sociale - idéalement même à la fierté - que devraient avoir chaque citoyens et citoyennes de participer à notre (toujours fragile) bien commun québécois. Notre système est loin d’être parfait, je lui accorde, mais la glorification pure et simple de l’individu à laquelle il se livre traduit non seulement un manque de sensibilité pour les enjeux sociologiques du temps présent, mais également un déficit certain d’éthique citoyenne.
Lettre ouverte du directeur des études fiscales de l’Institut Fraser
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