Crise en Europe : la faute aux agences de notation ?

Crise de l'euro

Les trois agences de notation sont dans le collimateur de dirigeants européens, depuis la dégradation de quatre crans de la note du Portugal par Moody's. Norbert Gaillard, docteur en économie, consultant pour la Banque mondiale et auteur de l’ouvrage "Les agences de notation" (collection Repères, éditions La Découverte) liste les principales erreurs des agences.
Sélectionné et édité par Hélène Decommer

La dégradation de quatre crans de la note du Portugal par l'agence de notation Moody's n'est qu'un début. Moody’s et ses deux concurrentes, Fitch et Standard & Poor’s, procèderont certainement à d'autres abaissements de notes dans les prochains mois.

Le Portugal, mais aussi l’Espagne, l’Italie et la Belgique sont dans le viseur.



Je dois dire que je suis très surpris par l'ampleur de la dégradation portugaise. Pour faire une comparaison scolaire, c'est comme si la moyenne d’un élève passait de 12/20 à 8/20. Cette décision est d’autant plus troublante que l’Union européenne fait bloc derrière le Portugal et que le niveau d’endettement du pays demeure bien inférieur à celui de la Grèce.

La décision de l'agence Moody's m'apparaît donc difficilement justifiable. On peut cependant avancer quelques pistes pour tenter de comprendre cette dégradation de note.

1/ Une "surnotation" des États pendant dix ans
La spécificité de Moody's tient au fait que, jusqu'au déclenchement de la crise grecque, début 2010, elle notait beaucoup trop haut plusieurs pays de la zone euro. Par exemple, la Grèce était encore notée au même niveau que la Corée du Sud en avril 2010. De même, la note de l'Espagne n'aurait pas dû être rehaussée au niveau triple A comme ce fut le cas au début des années 2000. Il faut bien comprendre qu'une note reflète une certaine probabilité de défaut. Par conséquent, tous les émetteurs de dette ayant la même note sont censés refléter un niveau de risque identique. Jusqu’en 2010, le risque de défaut de l'Espagne (triple A) était donc jugé équivalent à celui de la Norvège ou la Suisse, ce qui me semble aberrant.

2/ Une "surréaction" depuis un an
Depuis le règlement (provisoire) de la crise de la dette grecque en mai 2010, Moody’s a procédé a des abaissements de notes massifs (affectant en particulier la Grèce et le Portugal) qui ont eu des effets "procycliques", c'est-à-dire qu’ils ont encore aggravé la situation du pays dégradé. Dans le cas récent portugais, on peut même craindre que l’action de Moody’s n’aboutisse à une prophétie auto-réalisatrice, à savoir une prophétie qui modifie les comportements des acteurs au point que l’événement annoncé finit par se produire.

3/ Une instabilité managériale depuis également un an
L’ajustement récent des notes souveraines s’est fait de façon d’autant plus chaotique que le management de l'agence a connu de nombreux changements. En juin 2010, le "Managing director" de la notation souveraine – un Français à l'époque – a été remplacé ; son successeur est resté jusqu'en novembre puis a lui aussi été remplacé, par un homme qui n'a occupé le poste que jusqu'au mois de janvier 2011. Nous pouvons donc émettre des doutes sur la cohérence de la politique de notation souveraine depuis le printemps 2010.

La responsabilité des agences dans la crise actuelle
Au-delà de la spécificité de Moody’s, il faut admettre que les agences ont commis plusieurs erreurs.

D’abord, elles détiennent une part de responsabilité pour avoir surnoté les Etats européens entre 2002 et 2007, période de forte croissance économique. Cette erreur aurait pu être corrigée, pour la Grèce par exemple, en 2004, lorsque les agences ont découvert qu'elle avait falsifié ses comptes publics. Standard and Poor's et Fitch n’ont dégradé la note grecque que d’un cran. Moody's a laissé la note inchangée.

En octobre 2009, nouvelle découverte de comptes truqués. Cette fois-ci, les agences dégradent franchement la note de la Grèce : une décision légitime mais trop tardive.

Cette surnotation de la Grèce, et plus largement des pays d’Europe du sud, est en partie due à la croyance que l’appartenance à la zone euro réduisait le risque de défaut de ces pays. En fait, c’était l’inverse : la Grèce, l’Espagne, le Portugal et l’Italie n’ont pu avoir de la croissance dans les années 1980-90 que grâce à la faiblesse de leur monnaie nationale. L’appréciation de l’euro au cours de ces dernières années et l’incapacité de ces pays à réduire substantiellement leur endettement public les ont rendus vulnérables.

Ensuite, lors de la crise Lehman Brothers, en 2008, les grands pays industrialisés – Etats-Unis, Grande-Bretagne, France et, dans une moindre mesure, Allemagne – ont pris des mesures de garantie et de soutien en faveur de leurs établissements de crédit. Ce fut une sorte de transfert de risque des entités privées vers les Etats. Résultat : les dettes publiques ont explosé à partir de 2009. Les agences pensaient que les Etats pourraient absorber cet endettement… Elles se sont trompées.

Quelles leçons tirer pour l’avenir ? Je pense que l’on ne peut pas maintenir et encore moins augmenter la note d'un pays lorsque celui-ci fait de la croissance mais s’avère incapable de réduire son ratio d’endettement public sur PIB. Concrètement, cela signifie qu’un pays ayant un taux de croissance du PIB de 2% devrait être en mesure de contenir la croissance sa dette publique en-deçà de 2%.

Cette approche plus conservatrice en période de croissance économique permettra de limiter la "procyclicité" des notations une fois que le retournement conjoncturel sera survenu.


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