Élections fédérales

Contre Harper? Oui, mais comment?

la manière la plus intelligente de (défaire Harper), dans certains cas, ce sera de voter pour les libéraux, dans d’autres cas, pour le Bloc ou le NPD.

Élections fédérales - 2011 - le BQ et le Québec



Les plus récents sondages indiquent un net progrès des conservateurs, surtout en Ontario, et il ne serait pas étonnant de les voir de nouveau reconduits au pouvoir. Il suffit de gagner à leur cause une douzaine de circonscriptions, et nous verrons se produire le scénario catastrophe d'un gouvernement conservateur majoritaire. Nous parlerons alors plus que jamais, comme les conservateurs le souhaitent, d'un «gouvernement Harper».
Au sein de la société civile, nous avons été nombreux à réagir aux gestes posés par ce gouvernement et à contester la légitimité de ses choix politiques depuis les élections de 2006. Quelques esprits chagrins pourraient voir dans ces protestations des cris d'orfraie qui ne valent pas grand-chose s'ils ne sont pas suivis d'actions concrètes. Mais nous sommes également nombreux à penser que la qualité des débats et des échanges est aussi une condition nécessaire de la démocratie et de la justice.
On pourrait toutefois considérer deux démarches essentielles, mais en apparence éloignées l'une de l'autre ou qui ne répondraient pas à la même logique. Une première porte sur les stratégies à adopter pour contrer, dans la mesure du possible, la réélection de Stephen Harper, ou du moins la victoire d'un gouvernement majoritaire. Une seconde nécessite, chose difficile à concevoir en ce moment, de réfléchir sur le long terme et pas seulement en vue des prochaines élections.
Voter contre, mais surtout voter
La gravité de la situation appelle des mesures draconiennes. Si nous pensons sérieusement que le gouvernement Harper n'est pas un parti politique comme les autres, alors nous devons nous opposer aux conservateurs de toutes nos forces. Cela pourrait se traduire par un appel massif à voter pour les libéraux. En effet, ils représentent le parti qui a le plus de chances de prendre le pouvoir ou de représenter une opposition solide. Cela voudrait dire, par exemple, un transfert massif vers les libéraux des votes normalement acquis au Bloc québécois ou au NPD. En gros, étant donné la gravité de la situation, nous ne pouvons pas nous permettre de faire la fine bouche. Il faut voter contre Harper, et, en dernière instance, cela signifie appuyer les libéraux.
Je ne suis pas du tout convaincu par cet argument, si du moins il était présenté tel. Je crois néanmoins que je n'invente rien, car nous voyons régulièrement les enjeux en présence être formulés dans ces termes. Nous sommes dans un système électoral où le choix de l'électeur dépend de plusieurs variables, lesquelles doivent être examinées en fonction des rapports de force dans chaque circonscription.
Il faut refuser d'adopter la logique simpliste à laquelle nous convient Stephen Harper et ses amis depuis déjà trop longtemps. Nous devons tout faire ce qui est démocratiquement acceptable pour défaire les conservateurs ou du moins empêcher l'élection d'un gouvernement majoritaire, mais nous ne sommes pas dans une élection présidentielle et il serait absurde de voter contre Harper sans se poser la question de savoir, pour chaque électeur, quelle est la manière la plus intelligente de le faire. Dans certains cas, ce sera de voter pour les libéraux, dans d'autres cas, pour le Bloc ou le NPD. Il y a aussi la possibilité d'une coalition, qui me semble pour le moment le seul moyen de dire adieu aux conservateurs, mais Ignatieff a torpillé hier cette option avant même qu'elle puisse voir le jour.
Contre l'indifférence
Le véritable adversaire à affronter est l'indifférence des citoyens. Et nous devons travailler fort pour changer ce dédain des affaires publiques, car la démagogie des conservateurs est particulièrement habile à réveiller les citoyens par de la poudre aux yeux ou par des publicités à la limite du diffamatoire, ou au contraire à maintenir leur coma civique par du pain et des jeux. [...]
Le deuxième adversaire est l'angoisse qui paralyse bon nombre d'actions. Bon nombre de personnes m'ont écrit pour me remercier de mon livre sur Harper, tout en me confiant ne pas vouloir le lire par crainte d'en sortir démoralisées. Le problème est que cette attitude elle-même, si compréhensible soit-elle, fait le bonheur des conservateurs.
Le jour d'après
Au Québec — mais on peut vérifier le même débat ailleurs — de nombreuses critiques se sont fait entendre au sujet de la gauche et des instances qui la représentent, dont les centrales syndicales. La CSN, par exemple, s'est vue accusée de tous les maux, comme si la bataille du Journal de Montréal était la seule affaire des syndicats. On ne dira pourtant jamais assez l'importance des acteurs syndicaux sur le terrain pour éviter les pires effets de choix publics dont l'origine est très souvent à Ottawa plus qu'à Québec ou à la Chambre de commerce de Montréal.
En ce sens, la carrière de personnes comme Claudette Carbonneau, Lise Poulin ou Roger Valois doit être saluée pour ce qu'elle est, soit celle d'une lutte sans relâche au service de la justice sociale et du respect de chacun. [...]
La lutte contre Harper semble immense et désespérée précisément parce que nous nous croyons isolés et sans moyens. Mon but ici n'est pas de verser dans le human interest ni de distribuer les bons points, mais de souligner que, quoi qu'on en pense, nous ne sommes pas seuls.
Il suffit de s'ouvrir les yeux sur le travail que font des centaines de personnes afin de maintenir à flot ce qui nous reste de justice et de démocratie pour se convaincre de l'existence réelle de la solidarité. Certains sceptiques y verront du romantisme. Pas si nous prenons au sérieux l'importance du pluralisme, de la liberté d'expression et du droit à l'information, du rôle essentiel des contre-pouvoirs et des mécanismes de vérification des choix politiques effectués au nom du public.
L'État au service des citoyens
La garantie de nos droits et libertés individuels est l'association de tous pour chacun, laquelle est favorisée par l'État si les citoyens acceptent de l'investir et s'obligent à le surveiller. Le discours de la liberté n'appartient pas aux conservateurs ou aux libertariens. On peut vouloir être libre et être à l'abri du pouvoir d'autrui tout en défendant le rôle essentiel de l'État, si celui-ci existe pour la communauté politique et non contre elle.
Il ne faut pas l'oublier: les conservateurs ont réussi un mariage étrange, un programme typiquement libertarien de diminution de l'État associé à un interventionnisme de plus en plus grand au niveau des valeurs. Ils y sont parvenus en coupant dans l'État non pas ce qui donnait ses prérogatives au pouvoir exécutif, mais ce qui fait en sorte que l'État peut être au service du citoyen et non du gouvernement. Sous prétexte de diminuer les pouvoirs de l'État, les conservateurs ont en réalité coupé dans ce qui rend possible la citoyenneté, comme on a pu le voir avec les épisodes de prorogation.
Aussi, il est aujourd'hui essentiel de ne pas voir notre vie civique comme un parent éloigné qu'on croise à contrecoeur, les seuls jours de funérailles. Il faut absolument mobiliser nos amis, nos proches, nos collègues, bref le plus grand nombre de personnes, à voter et à le faire de manière informée. Et il faut aussi multiplier les débats pour exposer et dénoncer au grand jour les faux arguments de la droite conservatrice. En résumé, la démocratie ne commence ni ne s'arrête le jour des élections. À nous de lui donner un sens.
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Christian Nadeau - Professeur au Département de philosophie de l'Université de Montréal, l'auteur a écrit Contre Harper. Bref traité philosophique sur la révolution conservatrice (Boréal, 2010).


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