Les modifications proposées à l’aide sociale par le gouvernement Marois continuent de susciter « colère, désespoir et inquiétude », en dépit des explications qu’a fournies la ministre Agnès Maltais cette fin de semaine pour calmer le jeu. Signe que la grogne s’intensifie, des personnes assistées sociales doivent manifester ce lundi avant-midi devant son bureau de comté, pour transmettre leur mécontentement face à ce qu’ils perçoivent comme des compressions.
« Les gens veulent manifester leur colère, leur désespoir, et leur inquiétude face à des modifications qu’on présente à tort comme des mesures d’insertion à l’emploi, alors qu’en réalité, ce sont des coupes à l’aide sociale », a expliqué dimanche Amélie Châteauneuf, porte-parole du Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ). Selon un projet de modification au Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles publié le 27 février dans la Gazette officielle, des changements visant à « renforcer l’incitation au travail » visent des allocations de 129 $ par mois versées pour « contrainte temporaire » au travail en sus de la prestation de base de 604 $ par mois. Deux groupes de personnes sont visés : les 55 à 58 ans, en raison de l’âge ; et les couples ayant la charge d’un enfant d’âge préscolaire. On compte aussi limiter l’accès à des services en toxicomanie avec hébergement, en imposant désormais une durée (pas plus de deux fois par année, pour un total de 90 jours).
Le Soleil révélait dimanche que des compressions de 19 millions exigées par le Conseil du trésor pourraient expliquer ces modifications, rapidement présentées au Conseil des ministres jeudi dernier. Nous n’avons pas été en mesure de confirmer ces informations. Au gouvernement, on insiste pour dire que les mesures ne sont pas des « compressions », refusant d’ailleurs d’en chiffrer l’impact.
En entretien téléphonique avec Le Devoir samedi, la ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Agnès Maltais, s’est engagée à ce que les changements ne pénalisent aucun prestataire. « Je n’échapperai personne, je le promets », a-t-elle indiqué. Dans son esprit, elles s’inscrivent d’ailleurs comme un complément à la stratégie Tous pour l’emploi, dévoilée il y a peu et visant à combler les imposants besoins du Québec en matière de main-d’oeuvre.
Amélie Châteauneuf est exaspérée par la liaison indue de ces deux dossiers : « L’emploi et la solidarité sociale, ce sont deux dossiers distincts », affirme-t-elle. « Un programme d’accès à l’emploi n’a rien d’un programme d’aide sociale, c’est très différent. La ministre dit qu’elle fait le pari que tout le monde se trouvera un emploi, mais nous sommes très préoccupés par le pari qu’elle fait sur la vie des gens. Elle promet que tout le monde sera pris en charge, et aura accès à un emploi, mais nous disons : soit la ministre ment, soit elle ne comprend pas bien la manière de fonctionner des programmes d’accès à l’emploi. »
Agnès Maltais s’est en effet engagée à ce que tous les futurs prestataires concernés par ces changements - s’ils sont adoptés après les 45 jours suivant la publication officielle - soient dirigés vers des parcours de réinsertion à l’emploi. Ils pourraient même, en lieu et place d’une allocation de 129 $ versée pour contrainte temporaire, recevoir un montant de 195 $ par mois tout le temps qu’ils suivront ce « parcours » de réinsertion, qui pourra durer « plusieurs mois ». « Ils pourraient donc être gagnants, » dit Mme Maltais.
Interrogée sur le fait que certains candidats pourtant jugés « aptes au travail » pourraient peut-être ne jamais trouver d’emploi en raison de diverses fragilités, la ministre a répondu : « Je ne veux échapper personne, je vous le dis. Je connais assez la fragilité de ces gens-là, je sais de quoi je parle, personne ne va venir me donner de leçons sur l’exclusion et la pauvreté, là. Mais je vais vous dire : je pense qu’il y a des gens à 55 ans qui seront ravis de retrouver un emploi, et les employeurs ont besoin de ces gens expérimentés. »
Le flou autour des parcours
À propos des couples avec jeunes enfants qui perdront l’allocation supplémentaire, Mme Maltais croit qu’« il faut donner un modèle à un enfant » en prenant le chemin du travail.
Mais des inconnues subsistent : tous auront-ils accès à la prestation de 195 $? Et pour combien de temps ? Qu’arrivera-t-il si un parcours ne mène pas à un emploi ? « Il y a un énorme flou, et la promesse de ces parcours n’est pas inscrite dans le projet de règlement », s’inquiète Amélie Châteauneuf, qui rappelle qu’un très petit pourcentage de personnes assistées sociales - environ 2 % - participent en ce moment à ces programmes. « Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un droit, ce n’est inscrit dans aucun règlement, et les personnes sont choisies sur une base arbitraire. »
La ministre s’est défendue samedi en affirmant que changer ces trois mesures ne correspondait en rien à « une grande réforme de l’aide sociale ». Les changements publiés dans la Gazette officielle ont offusqué les groupes concernés, car ces derniers n’avaient pas été prévenus. La ministre comprend la surprise, mais estime qu’elle avait pourtant affirmé à plusieurs reprises qu’elle « s’en venait bientôt avec des changements ». « J’ai même précisé que je savais qu’avec des mesures d’incitation à l’emploi, je n’allais pas plaire à tout le monde. »
Après ces explications, Amélie Châteauneuf persiste et signe : « C’est un manque de respect de ne pas avoir prévenu les personnes concernées de vive voix. Ce sont des reculs sociaux importants qui s’en viennent : ça, plus la réforme de l’assurance-emploi du gouvernement Harper, ça va faire en sorte qu’on va augmenter la détresse et la pauvreté. »
Quant aux modifications concernant les services de désintoxication, aussi inscrites dans le projet de règlement, Mme Maltais explique qu’une analyse fine du dossier l’a étonnée : en effet, certains bénéficiaires restaient jusqu’à 30 mois en désintoxication, d’autres 18, puis 12 mois. « Alors que la moyenne d’une désintox au Québec, c’est 15 jours », dit la ministre. « Quand c’est rendu comme ça, on n’est plus en voie de réinsertion à l’emploi et puis, on ne les aide plus. On les abandonne ! » Elle a discuté avec ses collègues de la Santé et des Services sociaux pour offrir un réaménagement de cette option.
La ministre Maltais s’engage à revoir tous ces changements si on lui fait la preuve que cette voie n’est pas la bonne. « Il n’y a pas de certitude dans la vie, mais il faudra me démontrer que je me goure ! » Quant à son intention de revoir le programme d’aide sociale en cessant de calculer les pensions alimentaires reçues par les monoparentales, une demande martelée par le PQ alors qu’il était dans l’opposition, la ministre réitère qu’elle y est favorable, et qu’elle s’en « vient avec quelque chose. Laissez-nous le temps. On aura des annonces ».
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Consulter la lettre de Pierre Côté, l'ancien de la série télévisée Naufragés des villes
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