Pour sortir le droit de grève étudiant du flou juridique dans lequel il baigne et le mettre à l’abri de la course aux injonctions, la clinique Juripop a bâti trois scénarios codifiant de manière précise la démocratie étudiante, allant de la clause de grève inscrite au contrat d’inscription jusqu’à la convention collective nationale étudiante. Les propositions, dont Le Devoir a obtenu copie, sont destinées à inspirer la réflexion du ministre Pierre Duchesne, qui a promis de s’attaquer à ce vice caché.
Dans une étude pilotée par Me Guillaume Rousseau, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke et conseiller stratégique à la clinique Juripop de l’Estrie, on propose en effet d’ajouter une clause de grève au contrat liant l’étudiant à l’établissement, une solution qui pourrait être soutenue par décret ou par législation, et relativement facile d’exécution.
Un autre scénario de moyen terme propose d’ajouter à la Loi sur l’accréditation et le financement des associations étudiantes un droit de grève associé à la tenue d’un vote secret, à la manière de ce que prévoit le Code du travail. L’actuelle loi est totalement silencieuse sur ce sujet, d’où le flou juridique devenu un piège, ou un tremplin, au printemps.
Enfin, une idée nettement plus ambitieuse invite l’État à négocier des conventions collectives étudiantes exactement comme il le fait avec les travailleurs du secteur public, et à tous les cinq ans.
« La présente étude illustre qu’il existe des solutions politiques pouvant permettre de sortir de l’impasse créée par des décisions judiciaires au printemps 2012 », peut-on lire dans le document de 80 pages, qui sera dévoilé ce mercredi. « Des décisions fort critiquées qui, dans un contexte d’urgence et sans trancher sur le fond, ont restreint les libertés d’association et d’expression des associations étudiantes, sans tenir compte pleinement des droits collectifs inspirés du droit du travail qui leur ont été conférés par le législateur il y a 30 ans. »
Au plus fort de la crise étudiante, les demandes d’injonction se sont mises à pleuvoir ; des étudiants revendiquaient le droit d’assister à leur cours, en opposition au vote de grève de leur association. Invités à répondre à ces demandes dans l’urgence, les juges ont considéré le droit de grève comme un droit individuel de boycotter un cours, ce qui ne conférait pas aux associations le droit d’imposer le choix de la majorité.
« Entre les années 1960 et 2011, il existait au Québec un consensus sur la légitimité de la grève étudiante comme moyen de faire valoir des revendications », relate l’étude, commandée par quatre groupes étudiants (la FECQ, la TaCEQ, le REMDUS et l’Association étudiante du Cégep de Sherbrooke, membre de l’ASSE). « Ce n’est qu’au printemps 2012 que ce consensus a été rompu par des décisions judiciaires fort contestables et par l’utilisation complètement nouvelle du vocable “boycott” pour qualifier la grève. »
Des balises plus claires
Le professeur Rousseau s’est basé sur la jurisprudence et la doctrine pour rédiger ses scénarios. Il propose que le contrat liant l’étudiant à son collège ou son université, dès l’inscription, soit assorti d’une clause de grève ou de suspension des cours, exactement comme il en existe une en prévision des tempêtes, et simplement ajoutée au lot des règlements déjà prévus dans ces contrats. Cela pourrait se faire par voie contractuelle ou être dicté par le gouvernement, soit par décret ou encore grâce à une loi, ce qui aurait force politique évidemment plus grande.
« C’est une solution qui est à portée de main pour le gouvernement et qui permettrait de reconnaître les droits des étudiants », explique Marc-Antoine Cloutier, directeur général de Juripop. « Mais cette solution ne réglerait pas une question essentielle : comprendre quel est le rôle des associations étudiantes quand vient le temps de fixer la hauteur des droits de scolarité », précise Me Rousseau, joint mardi soir.
D’où ces modèles additionnels, tous deux moulés au droit du travail. Un premier, suggérant la création d’un mécanisme semblable à celui gouvernant les relations entre l’État et les syndicats de la fonction publique. Une négociation nationale entre les associations étudiantes nationales, les établissements d’enseignement et le gouvernement porterait sur les droits de scolarité, l’aide financière et les frais afférents, en lieu et place des conditions de travail. Une négo locale pourrait préciser certains éléments, comme on le voit chez les travailleurs. La négociation n’aurait lieu qu’à échéance de la convention, soit tous les cinq ans. L’intervention d’un médiateur serait prévue. « Nous avons poussé le modèle du travail jusqu’au bout pour voir ce que ça donnerait », explique Me Rousseau. « L’expérience démontre que mieux il est encadré, moins le droit de grève est utilisé. »
Le second modèle délaisse l’importation des conventions collectives pour ne retenir du modèle du travail que l’encadrement de la grève étudiante, autorisée au préalable par un vote.
Un vrai droit de grève étudiant?
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