Loi spéciale

Comparable à la Loi sur les mesures de guerre ?

À quoi finalement comparer l’action très autoritaire du gouvernement québécois de Jean Charest dans cette crise ? Si les historiens ont à cet égard des avis différents, tous semblent s’entendre sur le caractère hautement déraisonnable et tragique de cette action législative menée sur les bancs de l’Assemblée nationale hier.

Crise sociale - JJC le gouvernement par le chaos



Nombre d’historiens du Québec ont décrié hier, sur la foi de leur savoir historique, la loi d’exception du gouvernement libéral. Cas aussi unique qu’inique dans l’histoire du Québec, soutiennent plusieurs d’entre eux, notamment les signataires d’une lettre ouverte publiée aujourd’hui en page Idées.
Existe-t-il des enseignements à tirer d’une comparaison de la crise actuelle avec celle d’Octobre 1970 ? Pour l’historien Jacques Lacoursière, un des premiers à avoir écrit sur cette crise dans Alarme citoyen, la loi 78 « est un peu différente de la Loi sur les mesures de guerre mais s’apparente à un brimage de la liberté d’expression ». D’après lui, « la liberté d’expression est vraiment menacée par des mesures semblables », tout comme elle l’était en 1970. En ce sens, il s’agit pour lui d’un moment « historique ». « Ça me rappelle aussi beaucoup 1972, avec l’arrestation des chefs syndicaux parce qu’ils refusaient de se soumettre. » À son sens, il n’y a rien de bien glorieux dans cette action du gouvernement.

Une première
Dominique Clement, spécialiste de l’histoire des droits de la personne à l’Université d’Alberta, estime qu’il existe une « tradition de lois répressives ». Mais à sa connaissance, « on n’a jamais vu quelque chose de semblable dans l’histoire du Québec ni du Canada. Contre des étudiants, je crois que rien de tel n’a jamais été poussé aussi loin. C’est incroyable. Je n’ai jamais vu quelque chose comme ça », soutient le professeur.
Pour l’historien Christophe Horguelin, qui s’est intéressé de près à l’histoire du Front de libération du Québec (FLQ), l’adoption de cette loi est certes menaçante, mais fait « moins songer à la Loi sur les mesures de guerre qu’à la situation d’agitation sociale qui la précède en 1969 avec les mesures prises alors par Jean Drapeau pour briser sans réserve les manifestations et le droit d’association, des mesures jugées plus tard illégales ».
Louis Fournier, à qui l’on doit une histoire du Front de libération du Québec, pense pour sa part que « la Loi sur les mesures de guerre était une bombe atomique à côté » de la loi du gouvernement de Jean Charest. L’affaire ne lui apparaît pas moins sérieuse : « Je serais plutôt porté à comparer cela avec la crise du printemps 1972 pour ce qui est de l’importance. Les trois présidents des centrales syndicales et plusieurs personnes s’étaient retrouvés en prison. La répression avait été particulièrement dure. »

Sombres journées
Pour Gaston Deschênes, un historien longtemps attaché à l’Assemblée nationale du Québec, « ce ne sont pas de bonnes journées dans l’histoire de notre démocratie. Pendant la Crise d’octobre, on avait suspendu certaines libertés civiles. À part la Loi sur les mesures de guerre, qui a été adoptée à Ottawa, je ne vois pas trop ce qui peut ressembler à ça au Québec dans notre histoire. Peut-être la loi martiale décrétée pendant les événements de 1837-1838 ? Chose certaine, c’est terrible et très important. Donner des pouvoirs d’exception comme ça, c’est incroyable ! On a une belle histoire parlementaire, mais on vient de faire quelque chose de vraiment terrible. »
Pour l’historien Jean-Charles Panneton, qui vient de publier la première biographie de Pierre Laporte, une des victimes de la Crise d’octobre 1970, la comparaison avec ces événements ne vient pas spontanément à l’esprit. Il considère plutôt un rapport comparatif à faire avec les années du régime Duplessis et la lutte de l’Union nationale contre le droit d’association et d’expression. « Je vois plutôt des parallèles avec les lois de Duplessis, les lois 19 et 20 notamment, sur le droit d’association et les syndicats. On est ici devant une attaque en règle du droit d’expression et d’association, comme Duplessis en faisait à l’époque. Beaucoup de marge de manoeuvre est accordée aux policiers. Bien trop à mon sens, qu’on soit favorable ou non aux revendications des étudiants. »
À quoi finalement comparer l’action très autoritaire du gouvernement québécois de Jean Charest dans cette crise ? Si les historiens ont à cet égard des avis différents, tous semblent s’entendre sur le caractère hautement déraisonnable et tragique de cette action législative menée sur les bancs de l’Assemblée nationale hier.


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