Comment les négociateurs du Canada anglais peuvent-ils se regarder sans rire?

Il nous faut de toute urgence de nouveaux chefs. Pourvu qu'ils soient d'authentiques patriotes et incorruptibles, n'importe quels braves feront l'affaire!

Chronique de Jean-Jacques Nantel

Une angoisse à couper au couteau s'est infiltrée dans l'âme des Québécois les plus lucides. Descendants d'une longue lignée d'ancêtres qui ont été bafoués, humiliés et artificiellement appauvris par un petit peuple de voleurs, ils ont accepté pendant cinquante ans de gravir en silence la sombre pente qui les a menés à quelques votes seulement du fatidique 50% référendaire. Or, au moment même où ils entrevoyaient la bordure ensoleillée des sommets, ils ont eu la frustration de voir leurs chefs refluer en masse pour gagner l'abri de retranchements sûrs. Depuis quinze ans qu'ils les voient tergiverser, temporiser et s'éterniser en palabres et en fines stratégies, leur agacement du début s'est peu à peu transformé en inquiétude, puis en soupçon, puis dans cette certitude qui noue les tripes que, par calcul et manque de cran, les inventeurs de l'étapisme avaient délibérément allongé leur parcours et multiplié les obstacles pour profiter de leur ferveur patriotique. Il est parfaitement évident que pour pouvoir se promener en limousines de ministres, nos leaders actuels évitent d'aller vers les fédéralistes mous pour les convaincre de nous laisser réorganiser le pays de façon plus rationnelle.
Le terrain est pourtant fertile aux conversions à une époque où les périls s'accumulent sur une planète ravagée par les catastrophes, sur un continent en voie d'appauvrissement et dans un Canada rendu dysfonctionnel par les intérêts divergents de ses grandes régions naturelles. Toute la population québécoise et, en fait, l'humanité dans son ensemble réalisent aujourd'hui avec inquiétude que quelque chose d'absolument fondamental est en train de se détraquer sur la planète. Dans l'histoire, ce genre d'angoisse généralisée, qui pénètre la chair jusqu'à l'os, a toujours précédé les grandes mutations.
Au Québec, l'anxiété est encore accrue par le fait qu'on tente de noyer la région de Montréal sous une immigration de masse qui dénature et déséquilibre le peuplement du pays. Comme la majeure partie de notre peuple habite des régions où les immigrants refusent de se rendre, ce n'est pas la disparition qui nous menace, mais la minorisation et l'appauvrissement qui va toujours avec un statut d'inférieurs. Même nos fédéralistes les plus veules l'ont compris. Même pour eux, le temps du confort et de l'indifférence est définitivement passé.
L'expulsion de nos élites en 1763
De multiples exemples historiques, dont ceux de la France, de l'Allemagne et du Japon de 1945, montrent qu'une défaite militaire, même totale, a ordinairement un effet à peine épisodique sur la vie d'un peuple. Si, dans le cas du Québec, les effets de la Conquête de 1760 ne se sont pas encore résorbés, c'est parce que nos envahisseurs ont profité de l'occasion pour expulser nos élites.
Loin d'être des mous, nos chefs d'avant 1760 ne craignaient ni le risque ni l'aventure ni les vastes perspectives. Impliqués à fond dans le conflit mondial que fut la guerre de Sept Ans, ils pensaient planétairement et agissaient à l'échelle d'un continent. En tout, ils étaient l'exact antithèse de nos chefs actuels qui, depuis quinze ans, attendent d'être poussés par les sondages pour passer à l'action. Le contraste est tout à fait saisissant.
Le fait que ces deux types humains soient sortis du même peuple prouve que la timidité de nos dirigeants n'a rien d'innée, mais qu'elle leur a été inculquée par des conquérants qui ont disposé de 25 longues décennies pour les dompter et les amadouer.
Négocier sans nous
Assommé par sa défaite et privé de ses élites, notre peuple se retrouva si affaibli après la Conquête que, pendant longtemps, le Canada anglais ne prit même pas la peine de le consulter, même quand ses intérêts vitaux étaient en jeu. C'est la raison pour laquelle notre frontière sud-ouest avec les Etats-Unis ne suit pas (comme elle le devrait) la ligne de crête des montagnes qui ceinturent notre territoire de ce côté, mais traverse plutôt en droite ligne une plaine agricole au point de couper arbitrairement en deux (ou trois) le territoire habité par la tribu iroquoise d'Akwesasne. Il convient de remarquer que le Québec est loin d'être le seul pays à avoir hérité de limites aussi anormales puisque 90% des frontières du monde actuel ont été déterminées par des Européens et en fonction d'intérêts purement européens.
Négocier sans nous consulter était si avantageux que cette coutume a été institutionnalisée en 1867 par la création d'un gouvernement fédéral dont une des prérogatives est de traiter en notre nom avec le reste du monde.
Négocier malgré nous
A l'intérieur du Canada, la technique favorite des Canadiens anglais pour nous garder sous contrôle lorsqu'un grave péril menaçait leurs intérêts était de nous accorder en catastrophe des concessions ponctuelles pour ensuite les grignoter par petits morceaux quand le danger avait disparu et qu'ils étaient de nouveau en position de force. L'Acte de Québec de 1774 a ainsi été concédé à nos ancêtres pour les dissuader de se joindre au mouvement de contestation qui devait aboutir à la révolution américaine. C'est par sa seule présence et non par voie de négociation que notre peuple est alors parvenu à faire des acquis.
Négocier ¨avec¨ nous
N'ayant pas réussi à nous détruire comme c'était son intention explicite, le Canada anglais a finalement recouru à une troisième technique de négociations; celle qui est encore en usage dans les partis fédéralistes et qui consiste à faire comprendre à des francophones de service qu'ils doivent défendre les intérêts de leurs patrons anglophones s'ils veulent pouvoir accéder à la richesse et au pouvoir. Voilà comment furent recrutés les juges, députés, ministres et premiers ministres francophones qui, depuis des décennies, aident à retarder les progrès du peuple québécois. Pour eux, la nationalisation de l'électricité fut une erreur socialiste; les progrès du français nuisent à l'économie; le Fédéral a le droit d'envahir les juridictions du Québec; etc.
Le plus triste est que ces mercenaires se croient très habiles; le meilleur exemple étant Jean Chrétien qui, jusqu'à la fin de sa carrière, s'est plu à répéter qu'il avait toujours été sous-estimé par ses adversaires. (Il est pourtant difficile d'imaginer que cela soit possible). Et que dire de Stéphane Dion qui fut à la fois sa recrue, son lieutenant et un de ses successeurs? Ces deux médiocrités, qui se sont reconnues fraternelles en unissant leurs destins politiques, cet avocat et ce politicologue de génie devaient révéler au monde leur valeur transcendante quand, à la suite du référendum de 1995, ils eurent la brillante idée de nuire à leur propre cause en demandant aux juges de la Cour Suprême de rejeter en bloc toutes les prétentions souverainistes. Quoique bons patriotes, ces derniers étaient avant tout des juges qui savaient que leurs décisions seraient scrutées par leurs pairs du monde international. Aussi envoyèrent-ils promener nos deux lascars en déclarant que le projet souverainiste était non seulement légitime mais qu'en plus, le Fédéral avait l'obligation de négocier de bonne foi dans l'éventualité d'un référendum gagnant.
La grande différence entre nos fédéralistes fédéraux et provinciaux est que les premiers sont payés pour nous attaquer alors que les seconds sont payés pour nous défendre, du moins en principe. Cela fait qu'une sorte de sélection naturelle des tempéraments opère parmi eux pour amener les agressifs au Fédéral et les timides au Provincial. Déjà handicapés par leur double allégeance et par leurs personnalités naturellement faibles, les timides sont d'autant plus incapables de servir leur patrie qu'ils sont à peine majoritaires au sein d'un PLQ dont la base électorale repose sur un noyau dur d'anglophones, d'étrangers et de peureux.
La psychologie de nos élites nationalistes est à peine moins navrante. Obéissant à la loi de convergence qui, dans les pays démocratiques, amène les partis politiques à se copier les uns les autres pour améliorer leurs scores électoraux, les chefs souverainistes n'ont pas cessé depuis cinquante ans d'ajouter de l'eau à leur vin. Alors que le peuple québécois est une superpuissance morale qui n'a rien à se faire pardonner et qui mérite même des excuses d'un peu tout le monde pour le traitement qu'on lui a fait subir depuis 250 ans, nos dirigeants ne cessent de présenter à la ronde de ridicules excuses antiracistes. Loin de songer à transférer à des francophones les gros salaires de dirigeants de cégeps, d'universités et d'hôpitaux que des Anglo-Québécois accaparent indûment, certains ont été jusqu'à s'inquiéter publiquement du ¨danger¨ qu'il y aurait à imposer la loi 101 au niveau collégial. Complètement à la remorque du discours fédéraliste, ils ont jeté tant de lest au fil des années pour faire remonter leur baloune électorale qu'il ne leur reste plus grand chose à jeter par-dessus bord. Il est vrai qu'il y a l'option...
Pour notre plus grand malheur, la plupart des représentants qui, dans le passé, ont été chargés de défendre nos intérêts appartenaient à l'une ou l'autre des catégories de leaders que nous venons de décrire. Tout pétris de la culpabilité du Blanc, ils n'ont jamais cessé par exemple de jeter des milliards – nos milliards - à la tête d'Amérindiens (à qui nous n'avons jamais fait de mal) pour conforter leur réputation de grands humanistes. Comme cette stupide générosité suscite le mépris plutôt que l'admiration, la seule chose que cette tactique nous ait jamais rapportée fut une suite sans fin de nouvelles revendications.
Négocient-ils avec le Canada anglais qu'ils font passer ses représentants par toute la gamme des émotions. Habitués comme ils le sont aux durs marchandages de la diplomatie internationale où chaque petit gain est obtenu de haute lutte, les délégués canadiens anglais se présentent toujours à la table des négociations avec un esprit batailleur et chicanier. S'attendant au pire parce que leur cause est mauvaise, ces négociateurs aux mâchoires serrées ont alors la surprise de tomber sur des Robert Bourassa ou des Lucien Bouchard dont la technique de négociation consiste à jouer aux rassembleurs en distribuant les concessions à pleines poignées dans l'espoir d'obtenir des sourires. Devant une tactique aussi inusitée que coûteuse, la surprise initiale des représentants canadiens se teint d'abord de méfiance et de perplexité avant de se transformer en étonnement, en mépris puis, finalement, en amusement sincère. Voyant que les conditions minimales du camp québécois ne sont que des rodomontades sans conséquence, ils en profitent pour faire avancer les dossiers qu'on leur a confiés en concédant à leurs vis-à-vis québécois les cordiales poignées de mains qu'ils exigent. Il y a fort à parier que les sourires qu'ils affichent alors devant les caméras de télévision dissimulent une envie pressante d'aller raconter cette bonne blague à leurs amis.
C'est manifestement dans cet esprit que vient d'être négociée l'entente sur la propriété des ressources naturelles dans le golfe du Saint-Laurent puisque, pour obtenir exactement les mêmes droits que Terre-Neuve, les négociateurs du PLQ ont accepté de soumettre le tracé de notre frontière maritime à l'arbitrage du Fédéral; tous les observateurs admettant comme une évidence que le mieux que le Québec puisse obtenir d'un arbitre aussi impartial est le statu quo. Il est vrai que les leaders du PLQ doivent compter sur la menace séparatiste pour obtenir une concession aussi mirobolante. C'est bien à eux (et non à nous) que se référait Elliott Trudeau quand il disait que nous étions un dégueulasse peuple de maîtres chanteurs.
La réputation de nos négociateurs est telle que de nombreux groupes cherchent à obtenir d'eux des accommodements raisonnables: les Juifs qui nous injurient constamment en dépit du fait que nous les avons nous-mêmes sauvés des camps de la mort; les Musulmans qui nous demandent de nous faire tout petits dans notre propre pays; les faux réfugiés qui nous mentent; etc.
Le plus incroyable est que, sur la scène internationale, le Canada est considéré comme une sorte de pays bonbon. Les étrangers ignorent qu'il y a encore pire...
Même si personne ne s'en est encore rendu compte, la timidité de nos élites sera, et de très loin, la principale menace qui pèsera sur un Québec souverain. Combien de dizaines de milliers de kilomètres carrés, combien de centaines de milliards de dollars, combien de concessions en tous genres nous coûtera alors leur désir d'amour, d'amitié et de bonne entente?
Négocier contre nous
Signalons que le Québécois moyen ne négocie pas de cette façon. On le voit bien dans les disputes patronales-syndicales qui, souvent, aboutissent à des grèves où ce qui est en balance est, non de lointains enjeux nationaux, mais le gagne-pain des travailleurs et le bien-être immédiat de leurs familles. Elle est donc fausse la légende voulant que notre peuple soit lâche et qu'il craigne les négociations serrées et les engueulades à grands coups de poings sur la table.
C'est aussi une erreur de le croire bête, car il a parfaitement compris que le jeu de ses chefs fédéralistes est d'attendre que l'immigration l'ait suffisamment affaibli pour qu'il ne puisse plus se défendre et que celui de ses chefs souverainistes est d'attendre que l'usure du pouvoir ait discrédité leurs adversaires. Lassée de cet attentisme généralisé qui nuit à ses intérêts, la population a retiré à ses anciens leaders une confiance qu'ils ne méritent pas. Comme un bloc de sel posé dans l'eau douce, l'électorat souverainiste, déçu et désabusé, a quant à lui commencé à se disperser à travers tout un éventail de partis et de mouvements politiques différents.
Cette scission entre le peuple et ses élites traditionnelles est typique d'une époque qui, comme la nôtre, est travaillée par l'accélération de l'histoire. On l'a bien vu lors de la chute surprise du Mur de Berlin ou avec le récent et très inattendu printemps arabe. Dans le cas du Québec, trop de gens parlent d'adopter un nouveau paradigme politique sans comprendre qu'il faut d'abord se débarrasser des défenseurs de l'ancien. Parce qu'ils sont prisonniers de l'idéologie politiquement correcte qui a été développée au cours des années d'abondance de l'après-guerre, nos dirigeants actuels sont trop gentils, hésitants et timorés pour être en mesure de défendre nos intérêts avec pugnacité. Ces hommes et ces femmes représentent un véritable danger pour nous et nos descendants.
A une époque où notre richesse collective s'amenuise à vue d'oeil, ce dont le Québec a besoin, c'est de chefs qui auront non seulement le cran de tenir et de gagner un référendum, mais aussi celui de s'engager dans des négociations ardues CONTRE le Canada anglais pour récupérer le moindre dollar qui nous est dû. Nous avons besoin d'hommes et de femmes qui resteront fermes au point culminant des négociations; c'est-à-dire à ce moment fatidique où le vaincu sera celui qui clignera des yeux en premier.
Il nous faut de toute urgence de nouveaux chefs. Pourvu qu'ils soient d'authentiques patriotes et incorruptibles, n'importe quels braves feront l'affaire!
Jean-Jacques Nantel, ing.
Avril 2011


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    5 avril 2011

    Monsieur Nantel
    D'accord à 100% avec votre texte! Le peuple québécois est trahi constamment par sa classe (hic!) politique tant au niveau fédéral que provincial depuis la Conquête de 1760. Regardez agir Sir John James Charest, présentement, qui est en train de nous vendre à rabais à tous les prédateurs qui se présentent au Québec pour nous exploiter et prendre le contrôle de nos ressources naturelles. Du côté de l'opposition, le PQ n'a même pas le courage de se comporter comme porte-parole de la majorité québécoise au niveau de notre langue, de notre culture et de notre identité collective. Ici au Québec, c'est le monde à l'envers!
    C'est la minorité anglophone du West Island qui impose ses politiques à l'ensemble du Québec. Est-ce normal qu'une minorité d'à peine 8% contrôle une majorité de 92% de Québécois? Nos dirigeants politiques québécois n'ont pas de colonne vertébrale pour s'imposer et se faire respecter! Comment voulez-vous avoir confiance en de tels dirigeants caméléons qui sont prêts à se prostituer et se vendre pour une poignée de lentilles? Je pourrais énumérer tellement d'exemples pour avancer mes dires. Comment voulez-vous être inspiré et avoir confiance en ces chefs qui démissionnent aussitôt qu'il voit un cure-dent dans leur "trail"? Pas fort! pas fort! INDÉPENDANCE OU ASSIMILATION!
    André Gignac pour un Québec indépendant, libre et républicain!

  • Archives de Vigile Répondre

    4 avril 2011

    Bravo! cher collègue ingénieur pour votre article qui est d'une limpidité éclatante.
    Il nous faut vraiment, dans les quelques prochaines années, relever le défi crucial de convaincre une solide majorité de nos compatriotes de foncer vers l'indépendance, car dans dix ans il sera trop tard. C'est ce que démontre d'une façon quasiment effrayante le mathématicien-statisticien Charles Castonguay dans son dernier livre « Le français dégringole », Les Éditions du Renouveau Québécois, 2010.
    Conjuguons nos efforts pour réaliser notre pays.
    Vive la République du Québec !
    Jean-Luc Dion, ing.

  • Archives de Vigile Répondre

    4 avril 2011

    Et où il est, ce Messie ? Toujours pas parmi les CAQueteux qui risquent de nous faire encore reculer pour longtemps.
    C'est à désespérer !