Comme une fausse note

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Magnifique article sur Yves Michaud

C’est une des premières photos qu’on remarque en entrant chez Yves Michaud, elle est en noir et blanc, on le voit avec René Lévesque. Les deux hommes sont accoudés, les yeux rivés sur on-ne-sait-pas-quoi.


«On regarde un petit moniteur.»


Sur l’écran, Charles de Gaulle au balcon de l’hôtel de ville de Montréal. «Il faisait son discours. Et là, ils prononcent ces mots.» Yves Michaud imite la voix grave du général. Et son intonation. «Vive le Québec. Vive le Québec... libre!»


La photo a été prise à ce moment-là. 


C’était le 24 juillet 1967, Yves Michaud et René Lévesque sont tous les deux députés libéraux, dans l’opposition, Daniel Johnson père dirige le Québec. L’Union nationale est au pouvoir. «Quand de Gaulle a dit ça, Ti-poil s’est retourné vers moi et il m’a dit, «baptême qu’il va vite...»


On connait la suite de l’histoire.


Michaud m’a invitée à aller le rencontrer il y a deux semaines quand j’ai écrit sur cette nouvelle pétition lancée pour l’affaire qui porte son nom. Pour mémoire, en décembre 2000, l’Assemblée nationale du Québec a adopté une motion de blâme à son endroit pour des propos antisémites qu’il n’a pas tenus.


Michaud voulait se présenter pour le PQ dans Mercier, Lucien Bouchard lui a donné un coup de Jarnac


Il l’a mis K.-O.


Dix-sept ans plus tard, l’avocat à la retraite Pierre Cloutier a lancé, par l’entremise du péquiste Maka Kotto, une pétition pour que la Commission parlementaire des institutions soit saisie du dossier. Les tribunaux ont refusé de le faire, invoquant la séparation des pouvoirs.


En trois semaines, plus de 3500 personnes ont signé la pétition*.


Yves Michaud m’a invitée par courriel, avec la verve qu’on lui connait. «Si d’aventure il vous arrivait de gagner le village montréalais, grande serait ma joie et celle de ma femme Monique qui m’endure depuis 66 ans, de prendre le pot de l’amitié.»


Yves Michaud, autrefois député de l’Assemblée nationale du Québec respectueuse du droit des gens à leur honneur et dignité.


p.s. Bien entendu, seule ou accompagnée.»


Ça tombait bien, j’allais dans le village à l’autre bout de la 20 pour le Salon du livre, je n’allais pas rater cette occasion de rencontrer le Robin des banques. Parce que Michaud, ce n’est pas seulement cette sale affaire, c’est aussi l’homme qui s’est battu pour les petits épargnants.


Il est aussi Commandeur de la Légion d’honneur française. Le document officiel est accroché au mur du salon. 


«Signé par Mitterand.»


L’appartement qu’il habite avec Monique, sa complice de toujours, est un véritable musée. Les cadres accrochés au mur sont autant de jalons du parcours de l’homme. Dans la chambre, un trait de dessin qu’on reconnait tout de suite, Uderzo et Goscinny, ses amis, du temps qu’il était délégué du Québec à Paris.


Monique travaillait pour la maison d’édition Dargaud, c’est elle qui a fait traverser Astérix et Obélix de ce côté-ci de l’Atlantique.


Sur le même mur, une caricature de Garnotte du Devoir, on voit Michaud ligoté sur une canne, Lucien Bouchard lui lançant des couteaux.


Parce que, malgré tout ce que Michaud a pu faire dans sa vie, cette «saloperie» le hante toujours, il a d’ailleurs un nombre impressionnant de synonymes pour qualifier la manœuvre dont il a été l’objet. Ce qui le gruge surtout, ce sont les 17 ans de silence écoulés depuis ce 14 décembre fatidique.


Il aura 88 ans en février. «J’aimerais ça fermer ce chapitre avant de mourir.»


Il l’a répété souvent.


Nous avons pris le pot de l’amitié, tel que promis, il y avait une bouteille de champagne au frigo. Nous l’avons partagée en voyageant à travers ses 1000 vies, l’homme n’a rien perdu de son franc-parler. 


Ni de son sarcasme.


Au travers de ses souvenirs, pêle-mêle, venait une chanson. Il en fredonnait quelques coupler, du Brassens, du Montand. 


De Montand, il a chanté celle-ci.


Trois petites notes de musique


Ont plié boutique


Au creux du souvenir


C’en est fini de leur tapage


Elles tournent la page


Et s’en vont dormir


Mais un jour sans crier gare


Elles vous reviennent en mémoire


Un peu comme cette affaire de blâme, qui revient comme une fausse note hanter notre mémoire collective.


https://www.assnat.qc.ca/fr/exprimez-votre-opinion/petition/Petition-7041/index.html