Chasse aux sorcières

Québec 2007 - Analyse



La campagne électorale a été détournée en chasses aux sorcières qui finiront par dégoûter définitivement les citoyens de la joute politique.
Le libéral Pierre Arcand compare Mario Dumont au leader de l'extrême droite en France, Jean-Marie Le Pen. Il est aussitôt sommé de présenter ses excuses et est menacé de poursuites. Son chef, Jean Charest, est tenu de le rappeler à l'ordre. Un candidat de l'ADQ Jean-François Plante minimise la violence faite aux femmes. La paille s'enflamme à nouveau. Le candidat à la langue trop bien pendue en remet en causant de l'homosexualité d'André Boisclair avec Jeff Fillion. Cette fois, il est viré.
Le péquiste Robin Philpot a écrit des phrases ambiguës sur le génocide au Rwanda; on réclame sa tête. Une candidate libérale dit qu'avoir un médecin de famille est un choix personnel pour chaque citoyen et son blasphème roule pendant deux jours. La candidate de l'ADQ dans Bonaventure prend une semaine de vacances au soleil avec ses enfants pendant la relâche; elle est ridiculisée sans procès pendant 48 heures pour avoir donné la priorité à ses enfants. Elle n'est pourtant qu'un poteau dans cette forteresse, libérale depuis la nuit des temps.
Les épiphénomènes de ce type ont accaparé 75% de la couverture médiatique depuis le début de la campagne, au détriment du bilan du mandat de Jean Charest et des programmes pourtant fort différents offerts par les principaux partis. Les médias ont une faim insatiable de ces petites controverses savoureuses qui meublent facilement le temps et l'espace. Les partis politiques l'ont bien compris et gavent maintenant les journalistes. Les libéraux en particulier, qui possèdent les ressources financières et le personnel pour s'offrir les recherches les plus poussées sur les adversaires et pour effectuer un tracking serré de tout ce qui se dit et se publie sur le territoire, ont beaucoup profité au fil des ans de récupérations de propos qui déviaient de la rectitude.
Le tout a commencé avec l'affaire des Yvette pendant la campagne référendaire de 1980. Lise Payette, alors ministre péquiste, avait comparé Madeleine Guay-Ryan, épouse du chef du Non, Claude Ryan, à la petite Yvette bien soumise des manuels scolaires de l'époque. La journaliste Lise Bissonnette, qui assistait à cette assemblée, a dénoncé ce rapprochement mesquin et injuste. Mme Guay-Ryan n'avait rien en effet d'une Yvette. La campagne du Non n'allait alors nulle part. Les libéraux ont habilement exploité cette bourde. Ils ont monté un large mouvement de protestation de femmes et ont ainsi pu provoquer un revirement dans la campagne référendaire.
Les stratèges libéraux sont restés fascinés par l'effet qu'ils ont alors créé. Ils cherchent depuis à répéter leur «exploit» campagne après campagne. Jacques Parizeau les a aidés en comparant les Québécois à des homards qui, une fois entrés dans la cage, ne pourraient en ressortir. M. Parizeau avait aussi expliqué sa défaite de 1995 par l'argent (la tricherie des fédéralistes) et le vote ethnique. Puis, pendant le débat face à Bernard Landry au cours de la campagne de 2003, Jean Charest a piégé celui-ci en lui demandant de désavouer des propos tronqués qu'aurait tenus M. Parizeau quelques heures plus tôt. La campagne de M. Landry a dérapé à partir de ce moment.
Les recherches sur le passé des candidats des partis adverses et de propos non conventionnels se transforment en ridicules inquisitions. Sous le couvert d'illustrer le manque de sérieux par exemple de Mario Dumont et d'André Boisclair dans le choix de leurs candidats, on balance par-dessus bord les libertés de pensée et d'opinion. On fouille aussi le passé lointain dans l'espoir de trouver le petit délit mineur commis par un membre d'un autre parti, dix ou quinze ans plus tôt, pour le disqualifier, au nom de «qui a volé un oeuf volera un boeuf». Au diable les belles théories sur l'erreur de jeunesse, la réhabilitation et le droit à la réputation!
Ces techniques réussissent surtout à écoeurer les gens de la politique, à distraire des véritables enjeux et des préoccupations quotidiennes des citoyens. Elles contribuent aussi à développer une rectitude politique toujours plus étouffante, au point qu'il faut nier des réalités sur l'homophobie ou le racisme. Les journalistes se rendent trop souvent les complices des organisations politiques, même si les deux camps poursuivent des objectifs différents.


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