Chaque université doit offrir les trois cycles

Université - démocratisation, gouvernance et financement

Texte publié dans Le Devoir du samedi 29 août 2009 sous le titre "Spécialisation des universités - L'excellence universitaire, pas de la moquette!"
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Les médias nous apprennent que les dirigeants des grandes universités de Toronto, British Columbia, Alberta, McGill et Montréal proposent que leurs établissements se voient confier les mandats de mener des activités de recherche de « classe mondiale » et de former davantage d'étudiants aux cycles supérieurs et moins au premier cycle. La formation de premier cycle serait plutôt confiée, pour l'essentiel, au reste des universités.
Pour que le Canada dispose d'universités de calibre mondial, il faut, pense-t-on, à la fois un financement approprié pour l'élite des universités canadiennes et un meilleur partage des tâches avec les autres, celles-ci accroissant leur tâche de formation au premier cycle. Il faut donc «différencier» les universités et rejeter l'idée de partager égalitairement les ressources entre tous les établissements.
De telles idées de spécialisation, de stratification et de différenciation des universités ne sont certainement pas neuves. Ainsi, au cours des années 1970, il s'est trouvé des voix, au Québec, pour suggérer que l'UQAM et l'UQ se consacrent à la formation de premier cycle, au rattrapage de la formation des adultes et des enseignants et au recyclage en mi-carrière, en laissant aux universités bien établies la recherche et la formation de maîtrise et de doctorat.
Dans l'actuel contexte de crise financière, il est bien possible que de telles idées trouvent des oreilles sympathiques chez les décideurs publics. Mais, les choses ne sont pas aussi simples qu'on veut le faire penser.
En premier lieu, confiner une partie des universités au seul enseignement de premier cycle, sans implication significative de leurs professeurs en recherche, ce serait progressivement les dépouiller de leur nature d'universités. De plus, pour former les étudiants dans l'état le plus actuel des connaissances, il faut les mettre en contact avec des professeurs fréquentant eux-mêmes, par leurs activités de recherche, les frontières de leur domaine de spécialisation.
En deuxième lieu, dans la mesure où toutes les disciplines et tous les champs d'étude ne sont pas présents dans toutes les universités, le système universitaire spécialise déjà les établissements. Ainsi, certaines sont engagées en médecine, art dentaire, spécialités médicales diverses, alors que d'autres ne le sont pas. D'autres spécialités sont aussi inégalement présentes dans les établissements. Cela est sain. Cependant, dans les disciplines où il est présent, un établissement doit pouvoir agir aux trois cycles sur la base de la qualité de son corps professoral et des activités de recherche de ce dernier, sans être d'autorité confiné au premier cycle. (De l'autorité de qui ? pourrait-on aussi demander).
Incidemment, une partie des disparités considérables des fonds de recherche dont disposent les universités tient à la présence ou non de la médecine. Ainsi, avec des fonds de recherche respectivement de 133 M $ et 122 M $, les universités de Guelph et de Waterloo se trouvaient en 2008 aux 14e et 15e rangs des universités canadiennes pour les fonds de recherche. Cependant, les 13 premières sont dotées de facultés de médecine.
En troisième lieu, aucune université ne peut sérieusement prétendre être excellente dans tous les domaines. L'excellence universitaire, ce n'est pas de la moquette que l'on installe de mur à mur. Aussi, ce qu'il faut financer, c'est l'excellence des chercheurs, des équipes de recherche, où qu'ils se trouvent (et non la réputation acquise de l'établissement). Pour cela, la concurrence entre équipes pour les fonds de recherche et le jugement des pairs sont des mécanismes d'allocation de ressources imparfaits, certes, mais pas plus imparfaits que le choix politique. L'esprit, dit-on, souffle là où il veut. Dans ces conditions, il faut être bien prudent avant de confier le monopole de la recherche importante à certains établissements pour d'autres raisons que l'excellence de leurs chercheurs et des projets proposés.
En quatrième lieu, il est normal que l'on veuille investir beaucoup dans des secteurs de recherche ayant des retombées concrètes, de la médecine au génie, en passant par la pharmacologie, l'aéronautique, l'agriculture, etc. Cependant, les sociétés sont confrontées à des problèmes économiques, sociaux, politiques, culturels, éthiques, etc. dont les solutions ne seront certainement pas facilitées par l'ignorance résultant d'une absence de recherche en sciences humaines, en sciences sociales, en humanités. Le terrorisme, les toxicomanies, et autres problèmes du genre requièrent aussi un effort de recherche.
Finalement, les cinq grandes universités bénéficient non seulement d'appuis gouvernementaux importants mais d'une aide philanthropique sans commune mesure avec celle dont jouit la moyenne des universités. Tant mieux, car les plus jeunes ou plus petites universités n'ont rien à gagner, à long terme, de l'affaiblissement des grandes institutions.
La société a besoin d'une diversité d'universités pour répondre à un ensemble varié et complexe de besoins et d'intérêts. Surtout, la société et les gouvernements ont avantage à se souvenir que les plus grandes universités ont eu des débuts bien modestes et que les grandes universités de demain se préparent maintenant.
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Claude Corbo
L'auteur est recteur de l'UQAM.


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