Ces messieurs de Lazard, par Martine Orange
éd. Albin Michel, 2006, 346 p., 19 euros.
"Le secret de la maison, c'est le secret." Dehors la piétaille. Pénétrer le monde de la haute finance est réservé aux initiés. D'autant plus lorsqu'il s'agit de la banque d'affaires Lazard, tellement au coeur du capitalisme français qu'elle a été baptisée un temps "Le ministère bis de l'industrie". Ecrire un ouvrage sur son histoire, ses pratiques et ses méthodes, avouables et moins avouables, tenait donc de la gageure. Même si l'on reste loin des biographies analytiques détaillées à l'anglo-saxonne, Martine Orange a réussi son pari: lever le voile sur ces banquiers d'affaires qui contribuent à façonner le capitalisme.
Un monde où il faut avoir la cuirasse épaisse, être prêt à tout, et où la qualité principale reconnue est l'avidité. Des "moeurs de parrain du capitalisme". C'est l'ambiance maison voulue par Michel David-Weill, dernier héritier de cette maison familiale, créée au XIXe siècle par Alexandre Lazard, un juif lorrain parti faire fortune aux Etats-Unis, et passée l'an dernier aux mains de Bruce Wasserstein, un banquier américain à la réputation sulfureuse.
Lazard est une maison qui s'est construite dans le combat. A tous les sens du terme. De riches, les premiers Lazard deviennent très riches grâce à leur capacité de jouer sur le cours de change de l'or au moment de la guerre de Sécession, période d'instabilité des paiements aux Etats-Unis. Etabli en France dès le milieu du XIXe siècle, Lazard est retenue dans le groupe de banques qui doit aider la France à mobiliser l'argent nécessaire pour payer les 5 milliards de francs-or au titre des dommages de guerre à l'Allemagne. Plus tard, en 1924, quand le franc est attaqué, c'est grâce aux capacités d'emprunt de Lazard que la Banque de France peut mener et gagner la contre-attaque. Naissent, à partir de ce moment-là, des relations privilégiées entre la banque d'affaires et la haute fonction publique française, qui durent encore aujourd'hui. Ses associés sont introduits dans tous les réseaux de décisions de l'Etat, du cabinet de Dominique Strauss-Kahn à Jacques Chirac, ce qui permet d'obtenir beaucoup de choses. Bref, comme souvent dans l'histoire du capitalisme, des fortunes privées se bâtissent grâce à l'Etat.
Lazard tient aussi sa puissance de sa proximité avec les dirigeants des multinationales américaines et françaises. Dès 1935, elle est à l'origine du rapprochement entre Citroën et Michelin. Précurseur dans le métier des fusions-acquisitions d'entreprises, elle est au coeur des plus importantes d'entre elles dans les années 60, organisant dans les années 70 le mariage de BSN et de Gervais-Danone et la création de PSA.
Le modèle du capitalisme oligarchique de Lazard n'a plus rien d'original aujourd'hui. Certains de ses poulains, comme Jean-Marie Messier, ont mordu la poussière. Sa technicité n'a plus évolué, sa puissance financière est faible, son influence s'est émoussée. L'aristocrate n'a pas vu venir le nouveau monde.
Christian Chavagneux
Alternatives Economiques n° 247 - mai 2006
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