En 1937, le premier ministre québécois, Maurice Duplessis, grand démocrate (sic), avait fait voter la Loi du cadenas ou loi concernant la propagande communiste. Cette loi permettait au procureur général de fermer, pour un an, tout édifice utilisé pour faire la propagande du communisme et du bolchévisme, sans pour autant les définir. De plus, elle autorisait à confisquer et à détruire tout matériel imprimé de propagande communiste et bolchévique. Triste souvenir bien de chez nous…
En Espagne, en ce moment, sévit une nouvelle dérive autoritaire qui, sous bien des aspects, mais en pire, ressemble à notre infâme Loi du cadenas. Là-bas, le président de la Generalitat, ou gouvernement local, dûment élu, Carles Puigdemont, le vice-président, Oriol Junqueras et tous les ministres catalans ont été destitués. Certains ont fui le pays, craignant d’être emprisonnés, entre autres sous des accusations de sédition. La Catalogne a été mise sous tutelle, telle une vulgaire entreprise corrompue. Il y eut des incarcérations et détentions de responsables politiques, du blocage de sites Internet, la prise de contrôle des finances de la Generalitat de Catalunya, l’envoi de 10 000 policiers de la Guardia civil afin de rendre le référendum du 1er octobre dernier impossible à tenir, des pressions sur la presse, la saisie de millions de bulletins de vote dans les imprimeries et des menaces de poursuites à l’encontre des maires souhaitant organiser le référendum. Rien que ça!
Pourtant, des sondages avant le vote du 1er octobre avaient indiqué que la majorité des habitants de la Catalogne, même ceux contre l’indépendance, souhaitaient quand même pouvoir s’exprimer. Puis, le jour du vote, remporté haut la main par les indépendantistes, ajoutant l’injure à l’insulte, les télévisions du monde nous ont fait voir l’intervention musclée des forces de l’ordre espagnoles, qui a fait plusieurs centaines de blessés parmi la population, par ailleurs restée d’un pacifisme exemplaire. Ouf! Arrêtez, la cour est pleine. On ne parle plus ici de cadenas mais d’une véritable geôle…
Pour quiconque croit encore à la démocratie et au droit des peuples à l’autodétermination, un principe juridique inscrit dans la Charte des Nations Unies, ce qui se passe en Espagne est proprement révoltant. Et pendant ce temps, la communauté internationale, l’Europe en particulier, ferme les yeux sur cette répression et continue d’appuyer le gouvernement espagnol, dirigé par le Partido Popular (PP) et son chef Mariano Rajoy. Ici au pays, les Trudeau et Couillard livrent un discours aseptisé, complaisant, dont ils ont le secret. Eux aussi se retranchent derrière l’argument ex cathedra de la légalité, de la primauté du droit qui, de toute évidence, justifie tous les excès antidémocratiques.
Rappel historique
Un mot sur l’histoire de la Catalogne. Longtemps, la Principauté de Catalogne a été autonome. Dès le Moyen Âge, elle formait une union de comtés indépendants d’une grande vitalité, avec un régime uniforme et le catalan comme langue officielle. Mais la fin de la Guerre de Succession d’Espagne a amené la capitulation de Barcelone comme capitale, en 1714, à la suite de la conquête du trône espagnol par la famille royale française.
En 1932, l’autonomie politique a été octroyée à la Catalogne, ce qui a mis fin à deux siècles de mise sous tutelle par la monarchie espagnole. Puis, il y eut le règne de l’infâme dictateur Francisco Franco, qui procéda à des arrestations, disparitions, exécutions, censure et interdiction de l’apprentissage du catalan.
Ce n’est qu’à la fin des années 1970, après le départ de Franco, que la Catalogne a retrouvé son statut autonome avec un parlement élu. Cela faisait partie de la nouvelle Constitution espagnole, instaurée en 1978. En 2006, il y eut une nouvelle Charte d’autonomie, approuvée par les parlements catalan et espagnol, ainsi que par référendum, qui donnait des compétences élargies et un statut de nation distincte à la Catalogne.
Mais cette embellie démocratique fut de courte durée. En 2010, avec l’arrivée au pouvoir du premier ministre espagnol actuel, Mariano Rajoy et le Partido Popular (PP), avec en son sein une partie des anciens partisans de Franco, la Charte d’autonomie catalane a été rejetée par la Cour suprême espagnole. C’est sans doute cette intransigeance du pouvoir fédéral, ce refus de négocier toute nouvelle entente, voire de respecter les acquis, qui a gonflé les rangs des partisans de l’indépendance de la Catalogne. Nous en sommes là aujourd’hui.
Le droit, à tout prix
Dans ce bras de fer, le gouvernement central espagnol n’a qu’un mot à la bouche pour justifier son droit de refuser l’indépendance catalane, voire d’en discuter : la sacro-sainte Constitution. Mariano Rajoy l’invoque inlassablement pour nier le droit démocratique, reconnu internationalement, d’autodétermination des peuples. Il nie également toute légalité de faire appel au peuple, par voie de référendum. Or, que dit cette Constitution? Elle définit l’Espagne comme une monarchie parlementaire et affirme « l’unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols. » Bien sûr, tout État aspire à se maintenir inchangé, surtout que, dans le cas de l’indépendance de la Catalogne, l’Espagne perdrait une part importante, et économiquement prospère, de sa population actuelle.
Mais les constitutions, de quelque pays que ce soit, sont-elles à ce point immuables? Sont-elles des blocs de béton qui, comme les Dix commandements, sont éternels et ne peuvent jamais changer, au fil des ans, des époques, et de l’évolution des nations? Les constitutions ne sont-elles pas des contrats sociaux, pris à une époque donnée, qui peuvent, et doivent changer avec le temps et les nouveaux besoins?
Si la Constitution, qui fixe les paramètres légaux d’un gouvernement représentatif, supposément démocratique, est censée représenter les intérêts du peuple, alors l’invoquer pour refuser tout changement démocratique est un non-sens et un affront à la justice. Or, c’est précisément ce que fait le gouvernement espagnol. Honte à lui!
Cela est d’autant plus révoltant que, depuis 1990, 34 nouveaux pays ont vu le jour, changeant, certes, la configuration de certains pays. Mentionnons, entre autres, la République tchèque, le Soudan du Sud et le Kosovo, même que ce dernier n’a pas tenu de référendum pour ce faire. L’Écosse, en 2014, ayant pu s’entendre avec le gouvernement anglais de Westminster sur les modalités, a tenu son propre référendum sur l’indépendance, qu’elle n’a pas gagné. Mais les Écossais ont pu s’exprimer, eux.
Puis, ici même au Québec, nous avons eu, en 1980 et en 1995, deux référendums sur le statut politique du Québec. Dans ces deux cas, la partie adverse a joué franc-jeu, hormis quelques accrocs antidémocratiques. Souvenons-nous, en 1980, du coup des camions de la Brinks, remplis d’argent, quittant le Québec par l’autoroute 401 vers Toronto et ensuite, le fameux Love-in, en 1995, où des milliers de Canadiens sont venus nous dire à quel point ils nous aimaient (sic). Or, les dépenses de ce rassemblement n’avaient pas été comptabilisées par le camp du NON, comme l’exigeait la loi référendaire du Québec. Cet irrespect des règles ne s’apparente-t-il pas à un déni de démocratie?
Un silence assourdissant
Aujourd’hui, à peu près personne n’ose dire au gouvernement espagnol que sa façon de faire est antidémocratique. Certains disent que, en ce qui concerne les pays européens, la raison de leur silence complice serait qu’ils ne veulent pas encourager des nations à l’intérieur de leurs propres frontières de vouloir, elles aussi, revendiquer leur indépendance politique. Pensons à la France, avec les Bretons et Corses, deux peuples, comme les Catalans. Si tel est le cas, c’est là la démonstration que le droit à l’autodétermination des peuples est, aujourd’hui, un concept vide de sens. C’est aussi faire voir que les constitutions sont des chapes de plomb dont personne ne peut dévier, sous peine de châtiments.
Nouvelle de dernière heure, nous apprenons que les deux principaux partis séparatistes catalans, le Parti démocrate européen catalan et la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), se disent prêts à privilégier la négociation avec l’État espagnol. Celui-ci daignera-t-il s’y prêter? Si le passé est garant de l’avenir, on peut en douter…