Caroline Moreno: écrire, envers et contre tout

Livres-revues-arts 2011


(Québec) Caroline Moreno est au nombre de ces jeunes auteurs de la relève qui sont immensément talentueux mais qui ont un mal fou à se faire une place au soleil.


Ce roman de 178 pages tranche avec ce que l'on a l'habitude de lire. Il entraîne ses lecteurs dans un univers qui n'est pas sans rappeler celui du théâtre de l'absurde.
Les personnages sont invraisemblables, le monde dans lequel ils évoluent est irréel, les situations qu'ils vivent sont loufoques, leurs propos sont décalés. Comme aurait dit Ionesco : sur un texte burlesque un jeu dramatique; sur un texte dramatique un jeu burlesque.
Imaginez cinq itinérants en quête d'une nouvelle vie pour surmonter leurs malheurs. Ils s'introduisent dans une maison dont les occupants sont partis passer l'hiver au soleil. Là, dans cette maison protégée par un parc, c'est tous les jours dimanche.
Bonne chère et bon vin. Pour alimenter le foyer d'un des salons, un coffre-fort plein de billets de banque. L'hiver au chaud et à l'abri du besoin.
Thierry, Clémence, Bourbon-de l'Étoile, Eugène et Laurette ne seront dérangés que par la visite impromptue de deux témoins de Jéhovah. À qui ils joueront la grande scène de monsieur et madame la comtesse entourés de leurs domestiques!
Q Caroline Moreno, pourquoi le titre de votre roman ne correspond-il pas au contenu?
R Publier ce livre a été une bagarre du début à la fin avec l'éditeur. Le titre devait être Trouble fête sans trait d'union. Trouble fête pour une fête trouble. L'éditeur n'en voulait pas. J'ai proposé Un abri de fortune. À la dernière minute, l'éditeur a eu un éclair de génie : Château de banlieue. C'était à prendre ou à laisser!
Q Ce roman n'est pas sans rappeler l'univers absurde du théâtre de Ionesco. Est-ce voulu?
R Je suis à l'aise dans la dérision. La vie est absurde. J'ai pris le parti d'en rire plutôt que d'en pleurer.
Q À la limite, votre roman est un antiroman. Il ne s'y passe rien : des clochards squattent une maison et passent leur temps à manger.
R Pour eux, c'est tous les jours dimanche. Ce sont des gens qui ont été brisés par la vie et qui se reconstruisent jour après jour. Ce qui m'intéressait, c'est ce qui les a amenés à tout laisser derrière eux. Il y a de plus en plus d'itinérants... Qu'est-ce qui fait que dans la vie on bascule, on laisse le confort pour se retrouver dans la rue? Ce n'est pas tout le monde qui peut vivre dans une société comme la nôtre, une société où on exige beaucoup des gens.
Q Que voulez-vous dire?
R Un plombier peut vivre de la plomberie. Un écrivain, lui, ne peut pas vivre de la littérature. Les artistes doivent travailler dans un autre domaine. Pourtant, l'art est partout.
Q Que faites-vous, vous, pour gagner votre vie?
R J'enseigne le français aux adultes. Je travaille à temps partiel et le reste du temps, j'écris.
Q Ce roman, Château de banlieue, pourrait être une pièce de théâtre.
R Il y a quelque chose de théâtral dans mes romans. Le brigadier de Gosley a fait l'objet d'une activité théâtrale à l'Espace Libre. Salle comble pendant deux soirs. C'était vraiment bien. C'est quelque chose de voir vivre un personnage qu'on a créé de toutes pièces.
Q Quatre romans et quatre éditeurs. Pourquoi?
R J'ai publié mon premier roman en 2002 chez Lanctôt Éditeur. C'était Au non-plaisir de vous revoir. Jacques Lanctôt m'a demandée en mariage et il m'a laissé tomber parce que j'ai refusé. Dommage, c'était un bon éditeur!
Q Après Lanctôt Éditeur, vous passez chez Sedes en 2003 pour publier Un poisson sur l'herbe.
R Oui. Là, on m'a encore laissé tomber parce que selon l'éditrice, je n'étais pas politiquement correcte.
Q D'autres mésaventures avec les éditeurs?
R En 2005, je devais être publiée aux Éditions Sémaphore. Ça s'appelait Petit recueil de mesquineries. Juste avant d'aller en impression, on m'a laissé tomber.
Q Décidément, on vous laisse beaucoup tomber...
R J'ai publié Le brigadier de Gosley chez Victor Lévy Beaulieu, aux Éditions Trois-Pistoles. Ça s'est bien passé, mais je n'en ai pas vendu beaucoup. On m'a parlé de la Grenouillère. J'ai envoyé mon manuscrit et j'ai été bien accueillie. Malheureusement, la maison a changé de propriétaire. Je n'ai aucune communication avec la nouvelle directrice littéraire. Seulement un échange de courriels pas spécialement aimables. Je ne me sens pas vraiment respectée.
Q À vous écouter, on comprend que le milieu de l'édition est une déception?
R Oui! Il ne suffit pas de publier un livre, il faut faire des pieds et des mains pour le faire connaître. Mais les éditeurs ne le font pas.
Q Pourquoi vous accrochez-vous à l'écriture, alors?
R Je ne peux pas faire autrement. J'ai toujours écrit. Je ne peux pas arrêter. C'est quelque chose... Ça ne s'explique pas... C'est à la fois un besoin et un plaisir. Le besoin d'aller jusqu'au bout de quelque chose. J'ai le souci de trouver le bon mot, de trouver la bonne phra­se, la bonne musique du texte. C'est un travail énorme.
Q Le résultat?
R Chaque livre vendu me rapporte 1,89 $. Avec mes livres, je n'ai pas gagné de quoi payer un mois de loyer.


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