Pour justifier l'indigence des programmes radios, des émissions de télé ou des contenus des journaux, on nous sert souvent la phrase passe-partout qui dédouane les producteurs et culpabilise le public: "C'est ça que le monde veut!"
L'argument paraît solide, après tout, on fait des sondages, on consulte des focus groups et on répète ce qui marche bien. On met sur les tablettes ce qui se vend bien, et le public en redemande! De là à dire qu'on a les médias qu'on mérite, il n'y a qu'un pas, vite franchi. Et pourtant...
Prenons un exemple simple, celui des salles de cinéma. Tout le monde sait que le public aime les films d'action à l'américaine, d'ailleurs, c'est ce qui fait les grands succès tous les étés, n'est-ce pas?
Eh bien, justement, ce n'est pas si simple. Les grands distributeurs obligent les salles à garder les films étatsuniens un nombre X de semaines, qu'ils marchent ou pas. S'ils marchent, on prolonge, mais s'ils ne marchent pas, ils restent pendant le nombre minimum de semaines obligatoires. Résultat: quand les gens vont au cinéma, s'il n'y a rien d'autre que ça, ils vont aller voir ce qui est offert.
À l'inverse, les films québécois ou français n'ont pas le droit de rester à l'affiche plus longtemps qu'un nombre X de semaines (ce nombre étant plus petit que celui accordé aux films états-uniens). Résultat: même quand ils marchent très fort, les films québécois ou français ne durent pas longtemps. Voilà un cas très clair où ce n'est pas vraiment le public qui décide, malgré tout ce qu'on en dit.
Prenons maintenant les grandes surfaces, elles offrent certains produits qu'elles mettent bien en évidence. Ce sont ceux-là qui se vendent le mieux. On dit ensuite que les gens en veulent. C'est sûr, ce sont les produits les plus facilement accessibles qui sont les plus vendus, pas ceux qu'on cache dans les coins.
Pour en revenir aux médias, quand on dit que les lecteurs, les auditeurs ou les spectateurs sont contents de ce qu'on leur offre, cela ne veut pas dire qu'ils n'apprécieraient pas autre chose. Il ne faut pas demander au public de faire une analyse pour laquelle sont payés les journalistes et les producteurs.
Quand on nous dit: «Nous offrons le choix au public et il préfère ceci plutôt que cela.» Oui, mais comment voulez-vous que le public préfère des choix que vous ne lui offrez pas? Les médias sont justement là pour l'éclairer et il faudrait que ce soit lui, le public, qui décide de quelle information il a besoin, ne sachant même pas si elle est disponible?
Quand Jean-Pierre Coallier a lancé sa radio de chansons uniquement en français il y a nombre d'années, tout le monde lui disait que le public n'en voulait pas. C'était manifestement faux! Le public ne savait pas qu'on pouvait lui offrir cela. Quand il en a eu la chance, il a beaucoup apprécié.
Il en est de même des journaux. Les journalistes et les propriétaires de médias ne doivent pas se dédouaner en prétextant que le public ne demande pas autre chose. C'est aux médias à faire la recherche et l'analyse nécessaires, à savoir ce dont le public a besoin pour être bien informé et non pour savoir si telle couleur lui plaît davantage que telle autre ou si telle chronique est plus sexy avec telle vedette qu'avec telle autre. Les médias ont deux responsabilités, celles d'informer et de former le public.
On a les médias qu'on mérite? Pas sûr du tout!
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Francis Lagacé*
Montréal
*L'auteur alimente un blog hebdomadaire sur www.francislagace.org
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