Boom de la médecine privée au Québec

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Une tendance qui s'accélère au pire moment possible

Il n'y a jamais eu autant de cliniques privées au Québec. On en dénombrerait quelque 200 dans la province, selon un relevé fait par La Presse, contre une poignée il y a 10 ans. Malgré cette hausse fulgurante, personne - pas même le ministère de la Santé - ne tient vraiment le compte.
Difficile, donc, d'évaluer précisément la progression du phénomène, puisqu'il n'existe pas de liste exhaustive du nombre de cabinets qui refusent la carte soleil. Mais une chose est sûre: la médecine privée a atteint des proportions inégalées.
Un rare portrait de la situation tracé par La Presse en compilant le lieu de travail de tous les médecins non participants à la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) révèle une industrie florissante. Selon nos calculs, au moins 190 cliniques ou pratiques entièrement privées se sont discrètement mises en place au cours des dernières années - la majorité à Montréal, dans la région de Québec et en Montérégie. On en trouve aussi en Outaouais, dans les Laurentides, dans Lanaudière, en Estrie, en Mauricie et ailleurs au Québec.
Et ça continue. «Il y en a de plus en plus», affirme le Dr Charles Bernard, président du Collège des médecins, qui dit observer la situation de près.
Après l'esthétique, la médecine familiale
Contrairement à la croyance populaire, le privé n'est plus l'affaire de l'esthétique, de la chirurgie, de l'ophtalmologie ou de la médecine spécialisée. Depuis quelques années, une toute nouvelle classe de cliniques de médecine familiale complètement indépendantes de la RAMQ fait concurrence aux cabinets des omnipraticiens membres du réseau public.
On y offre généralement, en échange de centaines de dollars, un suivi avec un médecin de famille, des rendez-vous d'urgence, des consultations téléphoniques, l'accès à une infirmière et même parfois les services d'autres professionnels, comme des physiothérapeutes ou des nutritionnistes. Le tout sans attente.
C'est le cas de la clinique Privamed, à Boucherville. Ouverte en 2009 par deux omnipraticiens, elle regroupe aujourd'hui une équipe de quatre médecins et de deux infirmières et traite plusieurs milliers de clients.
«Au début, on voulait faire du dépannage et des urgences, mais on a très vite vu que les patients voulaient être suivis par un médecin de famille. Alors on s'est adapté», explique le gestionnaire, Francis Nicloux.
Pour avoir un dossier à la clinique, les patients doivent débourser 110$ par année. Une urgence de 15 minutes coûte 80$, un rendez-vous de suivi de 20 minutes, 105$ et un bilan de santé de 30 minutes, 150$. Les clients ont aussi accès en tout temps à leur dossier médical sur l'internet. «Les gens apprécient la continuité du service, alors ils mettent cette dépense dans leur budget.»
Malgré les frais, la clinique a eu un départ si fulgurant qu'elle a dû refuser 1500 nouveaux clients l'an dernier. Depuis, deux médecins se sont joints aux fondateurs. D'ici novembre, ils auront chacun 2000 patients. Afin que l'équipe ne soit pas de nouveau saturée, une deuxième succursale ouvrira ses portes à Brossard au cours des prochains mois et embauchera trois médecins et deux infirmières. L'ouverture d'une troisième succursale à Montréal est prévue pour 2014. «On a déjà trouvé tous nos médecins pour Brossard et un pour Montréal. On négocie avec les autres», indique M. Nicloux. Il affirme qu'il n'a aucune difficulté de recrutement.
L'attrait du privé
«Nos médecins cherchent à se consacrer entièrement à la médecine familiale, chose qu'ils ne peuvent pas faire avant des années dans le public», explique le gestionnaire. «Ils sont mieux traités au privé. Ils peuvent travailler plus et ils ont accès à une meilleure technologie», ajoute le fondateur du portail web SantéPrivée.ca, Jason Wright, qui fait de la promotion pour la majorité des centres privés de la province.
Selon les plus récents chiffres de la RAMQ, un nombre record de 262 médecins - dont 186 omnipraticiens - ont largué le régime public, généralement pour exploiter leur propre clinique ou pour se joindre à celle d'un collègue sans avoir de comptes à rendre à l'État. Ils étaient 60 il y a 10 ans. En décembre, l'ex-directeur de la Santé publique de la Capitale-Nationale en personne a fait le grand saut pour ouvrir une première clinique privée en médecine familiale à Rimouski.
«Tous les médecins ne pourront pas faire ce choix, assure le Dr Bernard. Le marché va finir par se saturer. Ce n'est pas tout le monde qui a les moyens de payer pour se faire soigner.»
Chez les infirmières, 7700 exercent dans le secteur privé, soit 11% des effectifs de la province, révèle un rapport de l'Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec. Si la majorité travaille dans des agences de placement, certaines optent aussi pour les cliniques privées.
Au ministère de la Santé, on affirme qu'on n'a pas de portrait de la situation. «Le Ministère ne tient pas de registre des cliniques privées, compte tenu justement qu'elles sont privées et que le Ministère coordonne le réseau public. On ne suit pas ce qui se passe au privé et on n'a pas d'évaluation de l'évolution de ces cliniques», explique la porte-parole Stéphanie Ménard.


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