Birmingham ou les limites du multiculturalisme anglais

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L'échec du multiculturalisme au Royaume Uni

À Birmingham, un an après la publication d'une lettre dénonçant l'influence de groupes islamistes sur des écoles publiques, la deuxième ville du pays peine à trouver un "nouveau modèle" multiculturel. Dernier reportage du côté sombre du Royaume-Uni.
C'est une lettre anonyme qui avait ébranlé Birmingham, au printemps 2014. Intitulé "Cheval de Troie", le courrier alertait les autorités publiques sur la présence de musulmans intégristes au sein de la direction de six écoles publiques de la ville. Le corbeau – jamais identifié – dénonçait la séparation des garçons et des filles dans les classes, l'interdiction de l'apprentissage de la musique, l'organisation de pèlerinages à la Mecque financés sur des deniers publics et l'intimidation à l'encontre des professeurs non musulmans – ou musulmans modérés.
Si, un an plus tard, un point final n'a jamais été apporté à ce dossier, "Cheval de Troie", par le simple fait de son existence, a néanmoins mis en lumière un certain malaise dans la ville. Le lettre anonyme liste suffisamment d’éléments à charge pour faire vaciller la foi des britanniques en un modèle que les Français qualifieraient de communautariste. Le glas aurait-il sonné pour le multiculturalisme à la britannique à Birmingham, deuxième ville du royaume réputée pour sa mixité culturelle, sociale et religieuse ?
À Small Heath, quartier populaire à très grande majorité musulmane (plus de 95 %), à l'est du centre-ville, la question divise. Quand une partie de la population loue la tolérance de la Grande-Bretagne et balaie d'un revers de main les "allégations fantaisistes" de "Cheval de Troie", d'autres reconnaissent l'existence de dérives liées au regroupement communautaire. "Il y a trop de musulmans ici, explique par exemple Ahmed, lui-même de confession musulmane, venu du Soudan il y a six ans. Tout est fait pour nous. Les gens vont penser que la seule chose qui nous intéresse, c'est notre religion."
"Un nouveau modèle"
Certains habitants des quartiers alentours ont en effet une vision plutôt péjorative de Small Heath et se disent méfiants à l'égard de ces "rues remplies de voiles" – et de niqabs. "Je ne suis pas raciste mais les établissements scolaires sont bizarres ici", confie John au volant de sa voiture en s'assurant que personne n’entende ses propos. "On a surtout un problème avec les Somaliens et les Pakistanais. Ils ne se mêlent jamais aux autres", ajoute-t-il avant de redémarrer en trombe.
Small Heath cristallise les tensions de plusieurs mondes qui coexistent mais ne se mélangent pas. "La ville compte de très nombreuses communautés. C'est une richesse, et il y a de nombreux endroits où tout se passe bien, rectifie Asif Afridi, membre de l'association BRAP, chargé du dialogue intercommunautaire de la ville. Mais il y a aussi des quartiers où les tensions sont plus fortes. [Et pas seulement entre musulmans et "Blancs"] mais aussi entre musulmans et Sikhs, par exemple [...] Le plus dur, c'est de trouver le moyen de lier toutes ces communautés. Il nous faut un nouveau modèle."
Mais pas facile de trouver ce "nouveau modèle" de multiculturalisme quand le gouvernement britannique, en pleine lutte contre contre le jihadisme, n'approche le dossier que par l'angle sécuritaire. "Pendant 'Cheval de Troie', Londres est venu résoudre le problème en adoptant une approche terroriste. La population s'est sentie agressée", explique Asif Afridi.
"Promouvoir les valeurs britanniques, ça ne veut pas dire grand chose !"
En 2010, déjà, le gouvernement avait fortement agacé Birmingham dans une affaire similaire. "Des caméras de surveillance avaient été installées à Sparkwood [autre quartier musulman, à côté de Small Heath], officiellement pour surveiller la circulation. Mais la population a découvert qu'elles ne servaient en réalité qu'à relever les immatriculations d'individus suspectés de comportements terroristes", ajoute le membre du BRAP.
Résultat : c'est la défiance qui prime. C'est du moins l'analyse de Patrick*, franco-britannique, professeur de communication dans l'un des établissements scolaires de Small Heath dans le viseur de Londres. "Après 'Cheval de Troie', le gouvernement a placé l'école dans laquelle je travaille sous 'mesures spéciales'. Concrètement, cela signifie que toute la direction a été licenciée et non remplacée", explique-t-il. "Les élèves ont des professeurs remplaçants tous les deux mois. Ils sont livrés à eux-mêmes. Ils se sentent délaissés. Comment voulez-vous faire preuve d'autorité ?", déplore-t-il, tout en reconnaissant que sa couleur de peau [blanche] pose "un peu problème" : "On nous demande ensuite de promouvoir les 'valeurs britanniques' ! Ça ne veut pas dire grand-chose pour ces jeunes quand on n'a rien à leur offrir en retour."
Pour Asif Afridi, comme pour Patrick, à quelques jours des élections, l'inquiétude tourne aussi autour d'une possible récupération politique. "L'extrême droite [Ukip] menace. Avant, elle ciblait ses attaques contre les Noirs. Ajourd'hui, elle cible les musulmans", s'inquiète Asif Afridi. Une inquiétude qui se justifie lorsqu'on entend certains propos : "vous voulez savoir ce que je pense de Small Heath ? Vous voulez dire de ce 'mini-Pakistan' ?", ironisait jeudi un commerçant du centre-ville de Birmingham. Et d'ajouter, devant des clients hilares et complices : "Ils vivent entre eux, ils ne se parlent qu'entre eux. Je pense donc qu'ils devraient retourner chez eux."
*Le prénom a été modifié


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