Big Brother nous surveille-t-il ?

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La normalisation de la société de surveillance

Sommes-nous à l’ère de la surveillance généralisée ? Antoine Robitaille parlait mardi d’une « société Big Brother » pour désigner les caméras qui seraient posées dans les CHSLD pour éviter de futurs abus. Hier, Radio-Canada accréditait cette thèse en révélant que des caméras avaient été posées dans les toilettes d’une école secondaire à Alma. Dans les toilettes ! C'est chic. Très chic.


Anecdote révélatrice : en décembre 2016, Le Devoir nous apprenait qu’un enseignant d’une école secondaire de Québec avait eu à cesser d’enseigner 1984 de George Orwell suite à une fronde de ses étudiants. « On est tannés de se faire dire qu’on est surveillés tout le temps. On n’en a rien à foutre. Et si on est heureux comme ça, nous autres ? », lui aurait-on dit. Fournissant à des millions des gens des gadgets, ainsi que des moyens de subvenir à leurs « besoins », ces derniers étant eux-mêmes savamment construits par le message publicitaire, le présent système parait confortable.La dépendance prend aisément l’apparence d’une liberté totale, même si le règne des nouvelles technologies, du big data et des algorithmes a rendu l’individu plus retraçable et plus aisément surveillable, dans ses faits et gestes, que toutes les caméras de l’ancienne URSS et que toutes les enquêtes du KGB. Un média nommé Crypto.Québec travaille à offrir aux citoyens des clés pour éviter que leur vie privée soit, en ligne, sans filtre. Pour en savoir plus, c’est ici.


La surveillance aujourd’hui ne s’opère pas dans une logique de totalitarisme politique, mais dans un esprit de guerre de tous contre tous.


Si, pour des raisons qui vous sont propres, vous décidez sciemment de ne pas prendre immédiatement l’appel d’un ami, il y a de bonnes chances que celui-ci vous fasse savoir qu’il vous a vu en ligne sur Facebook il y a quelques minutes, et qu’il sait donc que vous étiez devant votre téléphone. Si vous faites une blague relevant d’un humour « gras » en soupant au restaurant avec vos proches un samedi soir, il n’est pas impossible qu’un voisin, à une table environnante, vous filme subtilement avec son téléphone intelligent et partage sa trouvaille sur les réseaux sociaux pour montrer à quel point vous êtes un « gros colon ».


Beaucoup de choses ont été dites sur l’informatisation du monde, un phénomène complexe, mais on néglige peut-être à quel point elle est devenue un outil disciplinaire. Tout est désormais appelé à être noté par le biais d’applications : hôtels, chauffeurs de taxi, restaurants, bars, etc. Des mécanismes d’évaluation continue des rendements ont été mis en place dans toutes les sphères de nos vies, instaurant un climat de pression permanente.


On nous présente constamment la technologisation de la vie humaine comme un univers de possibilités, et surtout comme une libération totale de l’individu. J’ai plutôt l’impression qu’il s’agit de la réduction du périmètre de nos choix personnels au profit d’une dictature de la performance.


En attendant de nous remplacer complètement par des robots, le système s’attend à ce que nous nous comportions comme si nous en étions. Finalement, Big Brother est en chacun de nous.


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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).