(Québec) Bernard Drainville* a fait les sucres, à Pâques. Comme chaque année, les frères et soeurs de la famille se sont réunis à l'érablière familiale à l'île Dupas sur le fleuve Saint-Laurent, entre Berthierville et Sorel. C'est Drainville qui a «fait bouillir», cette fois. Et il a déjoué les prédictions de son père qui affirmait qu'il lui faudrait six heures pour obtenir du sirop.
Drainville a les deux pieds bien ancrés dans les racines du terroir où il a vu le jour. À l'âge de 79 ans, son père exploite encore la ferme où il a «fait le train» et les foins chaque été pendant son adolescence. Il était l'aîné de la famille. Il aurait aimé assurer la relève, mais il n'était pas doué. «J'étais bon avec les vaches, mais j'étais très maladroit avec les tracteurs.» Il garde de beaux souvenirs des journées d'été à faire les foins, «à voir le visage rouge de mon père, finir la journée couvert de brindilles, travailler dans la tasserie dans les chaleurs, et terminer la journée à la molle» (lire : crème glacée molle).
Mais il se souvient aussi de ses frustrations d'adolescent : «Être élevé sur une terre, c'est travailler sept jours sur sept. Mes parents ne prenaient pas de vacances et nous non plus. Tellement qu'à l'adolescence, je me suis tanné parce que je voyais tous mes chums prendre des vacances et partir avec leurs parents à Old Orchard ou faire le tour de la Gaspésie.
«À un moment donné, j'ai demandé à ma tante Isola, qui habitait Montréal, si elle accepterait de me prendre chez elle deux ou trois jours pendant l'été. Alors c'est devenu mes vacances estivales, deux ou trois jours chez tante Isola, sur la rue Fullum. Je me promenais en métro, je me promenais dans les rues, j'allais voir les Expos...»
L'Île Dupas
L'île Dupas, c'est la plus grande des 103 îles de l'archipel du lac Saint-Pierre. Elle comptait 400 habitants, se rappelle Drainville, en signalant qu'il n'y avait aucun notable sur place. Des cultivateurs, des ouvriers à l'emploi de Marine Industries, un curé, un maire et un magasin général. «Moi, j'ai grandi dans un milieu très égalitaire. Il n'y avait aucune classe sociale chez nous et je pense que ça a marqué ma vision de la société.»
Le couvent des religieuses a fermé vers 1969. Drainville a donc fait son primaire à Berthierville, il a été pensionnaire chez les Clercs de Saint-Viateur à Rawdon au secondaire, et il a fait le cégep à L'Assomption.
Malgré son passage chez les Clercs de Saint-Viateur, des tantes religieuses, un oncle missionnaire évêque d'Amos pendant 25 ans et les souhaits de sa grand-mère, Drainville n'a jamais eu «la vocation». La vocation qui lui a été transmise, explique-t-il, c'est celle du service public. Son père a été impliqué dans le syndicalisme agricole et dans le mouvement coopératif et sa mère, dans le Cercle de fermières. «L'église, pour moi, c'était moins un lieu religieux qu'un centre communautaire.»
C'est cet esprit communautaire qui l'a mené vers le service public. «Moi, j'ai vu la corvée. Un cultivateur passer au feu puis voir tous les cultivateurs de l'île se mettre ensemble pour rebâtir la grange d'Émilien Cardin. La solidarité à l'état pur. Donc, cette idée qu'on est une communauté et qu'il faut s'entraider, j'ai vu ça.»
À la découverte du Canada
Trop jeune pour voter au référendum de 1980, il milite quand même pour le Oui. Il dit avoir compris de la défaite référendaire que les Québécois avaient décidé de rester au Canada. Il décide donc d'aller découvrir ce pays et apprendre l'anglais. Il s'inscrit en sciences politiques à l'Université d'Ottawa et obtient un poste de page au Parlement. La politique l'intéresse déjà : il est élu président de la Fédération des étudiants de l'université en 1984-1985 et président de la Fédération des étudiants de l'Ontario (FEO) l'année suivante... après cinq tours de scrutin! C'est dans le cadre d'un référendum qu'il parvient à convaincre les étudiants de l'Université d'Ottawa de se joindre à la FEO, dans le but d'y instaurer le bilinguisme. Sa victoire l'amène à Toronto où il gère un budget de 3 millions $ et dirige une dizaine de personnes.
Après ces deux années de militantisme étudiant, il reprend ses études en 1986-1987 pour finir son bac, et décroche l'année suivante un poste de stagiaire chez les députés Michael Cassidy du NPD et Lee Clark des conservateurs.
En 1988-1989, son militantisme étudiant et une «bonne moyenne académique» lui valent une bourse du Commonwealth pour faire une maîtrise en relations internationales à la London School of Economics. Son mémoire de maîtrise porte sur la conciliation entre les droits de la personne et la doctrine de non-ingérence.
De journaliste à politicien
Lorsqu'il rentre de Londres, Drainville donne un coup de main à son père sur la ferme, et se fait demander ce qu'il entend faire par la suite. Il répond qu'il songe au droit, mais pour le défi intellectuel et non pour devenir avocat. «Il serait temps que tu ailles travailler», lui répond son père.
Message compris : Drainville devient journaliste pendant deux ans pour Radio-Canada à Windsor. C'est le début d'un parcours qui le mène à l'émission Présent, aux Affaires et la vie, à Montréal ce soir, et au téléjournal de Bernard Derome. Suivront ensuite trois ans à Ottawa comme correspondant parlementaire et deux ans en Amérique latine. De retour à Montréal en 2003, il prend le micro de La part des choses sur RDI. Après trois ans à ce poste, Radio-Canada lui demande de prendre la direction de son bureau parlementaire à l'Assemblée nationale. Drainville se fait dire qu'il pourra continuer d'animer son émission à partir de Québec, mais ce n'est pas le cas. Il fait le saut en politique six mois plus tard.
Pourquoi le PQ? Drainville avait cru à la réconciliation avec le Canada à l'occasion de l'Accord du lac Meech. «C'était minimal, mais ça valait la peine de l'appuyer. Et quand j'ai vu qu'une entente aussi minimaliste que celle-là était rejetée, ça m'a convaincu que jamais la différence québécoise ne serait reconnue.»
Son arrivée en politique est la concrétisation d'un vieux rêve. Il voulait faire de la politique bien avant le journalisme. «À un moment donné, tu te dis : est-ce que je vais passer à côté de ma vie? J'avais 43 ans en 2007. C'était un bon moment. Martine [sa femme] ne voulait absolument pas. Mais à un moment donné, elle s'est résignée. Parce que... c'est elle qui me l'a dit... elle avait le choix entre me dire non et courir le risque de passer le reste de sa vie avec un vieux bougonneux, ou me laisser aller et accepter de vivre la vie de veuve de la politique. Elle a été bien servie sur ce plan-là, d'ailleurs...»
Élu aux élections de mars 2007, Drainville devient critique à la santé, devant un Philippe Couillard qui en impose. Malgré tout, c'est le dossier qu'il a préféré.
Une fois au pouvoir, Pauline Marois lui donne la responsabilité des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne. Le contexte et les scandales politiques jouent en sa faveur. Il fait adopter à l'unanimité trois projets de loi visant à restaurer la confiance de l'électorat : modifications au financement des partis politiques, élections à dates fixes, et instauration du vote des étudiants sur les campus.
Président du comité sur l'identité du gouvernement Marois, il est le parrain de la controversée charte sur la laïcité. Un projet qui reçoit un appui populaire important, mais qui divise encore les Québécois, au sein même des candidats à la direction du PQ.
Drainville va rester en politique, quoi qu'il arrive. «J'ai dit qu'il fallait travailler en équipe au terme de la course et j'ai l'intention de faire partie de l'équipe au terme de la course.»
*Les membres en règle du Parti québécois choisiront leur nouveau chef à la mi-mai. Si aucun des candidats n'obtient 50 % des voix au premier tour de scrutin, les militants voteront à nouveau une semaine plus tard. Tous les mardis, Gilbert Lavoie nous présente les candidats. Aujourd'hui, Bernard Drainville.
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