Bellemare fait bouger Charest

Une enquête publique se limitera au processus de nomination des juges

L'affaire Bellemare - la crise politique

Jean Charest a dû se défendre contre les attaques de l’opposition, hier, à Québec.

Photo : Agence Reuters Mathieu Bélanger

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Robert Dutrisac - Québec — Secoué par les allégations de son ancien ministre de la Justice Marc Bellemare, le premier ministre Jean Charest a annoncé, hier, la tenue d'une commission d'enquête publique dont le mandat se bornera à vérifier le processus de nomination des juges. Les pratiques douteuses de financement du Parti libéral du Québec, qu'a dénoncées l'ancien ministre, ne feront pas l'objet de l'enquête.
«Je ne peux pas accepter que ma réputation soit entachée de cette façon. Je ne peux pas accepter non plus qu'un ex-ministre de la Justice jette des doutes sur l'intégrité du processus de nomination des juges», a déclaré le premier ministre au cours d'une conférence de presse.
Lundi, Marc Bellemare a soutenu avoir subi des pressions de la part d'importants collecteurs de fonds du PLQ pour qu'il recommande de nommer juges des personnes proches des libéraux. Franco Fava, un entrepreneur en construction à la retraite, aurait été de ceux qui ont exercé ces pressions. M. Bellemare a affirmé s'être plaint de ce «trafic d'influence» auprès du premier ministre, qui n'en aurait pas fait de cas. L'ancien ministre, qui a été titulaire de la Justice pendant un an en 2003-2004, a également indiqué qu'il avait été témoin d'échanges d'importantes sommes d'argent qui devaient servir au financement du parti.
Hier, Radio-Canada révélait qu'une nouvelle source «gravitant depuis très longtemps autour du monde du travail et de l'appareil gouvernemental» avait corroboré les dires de M. Bellemare sur le financement du PLQ et sur le trafic d'influence visant la nomination des juges.
L'opposition se déchaîne
Les partis d'opposition se sont déchaînés, hier, à l'Assemblée nationale; toute la période de questions et tous les points de presse ont porté sur les allégations de l'ancien ministre libéral.
La chef du Parti québécois, Pauline Marois, a traité Jean Charest de «maître de la diversion»; cette commission d'enquête dont le mandat est étriqué ne saurait remplacer une commission d'enquête sur l'industrie de la construction et ses liens avec le financement du PLQ.
Jean Charest est à la fois «juge et partie» eu égard à cette enquête sur la nomination des juges, a souligné Mme Marois. «Le premier ministre est au coeur de ces allégations», a affirmé la député de Joliette et porte-parole en matière de justice, Véronique Hivon.
Pour le chef de l'Action démocratique du Québec, Gérard Deltell, «le coeur du problème», c'est l'influence qu'ont les collecteurs de fonds libéraux «sur l'exercice du pouvoir, tant exécutif, législatif que judiciaire».
Pauline Marois a proposé que le juge à la retraite John Gomery et le vérificateur général Renaud Lachance définissent le mandat de la commission. Hier, le leader parlementaire du gouvernement, Jacques Dupuis, a attaqué l'intégrité du juge Gomery, rappelant que la Cour fédérale l'avait blâmé pour avoir parlé du «spectacle» de la commission sur le scandale des commandites. Soulignons que M. Gomery, qui est présentement président du Conseil de presse, a appuyé Québec solidaire aux dernières élections, un parti pour lequel sa fille se présentait.
Le nom de Pierre Marc Johnson a circulé hier. «Je n'ai rien contre Pierre Marc Johnson», a dit Pauline Marois.
Mise en demeure
Parallèlement à la tenue de cette commission d'enquête, Jean Charest a confirmé qu'il enverra sous peu une mise en demeure à Marc Bellemare le sommant de se rétracter, à défaut de quoi il intentera des poursuites. Le premier ministre a continué à nier que M. Bellemare lui a fait part de pressions partisanes qu'il aurait subies. «Je n'ai pas de souvenir de controverses [touchant] les nominations qui ont été faites par M. Bellemare. Je n'ai pas souvenir de désaccords, de longues discussions. Quand il dit qu'il y aurait eu des pressions, je ne sais pas de quoi il parle», a dit M. Charest.
Le premier ministre a défendu le mode de sélection des juges, un processus «crédible», selon lui, où un comité formé de trois membres représentant la magistrature, le Barreau et le public établit une liste de candidats qualifiés à partir de laquelle le ministre fait ses recommandations au Conseil des ministres, l'instance qui se charge de la nomination des juges.
De son côté, le ministre de la Justice, Kathleen Weil, présume des conclusions de la commission. Ce mode de nomination fait l'envie des autres provinces, a-t-elle soutenu. «Je ne pense pas qu'il puisse être amélioré.»
Des juges péquistes
Quand on fait remarquer au premier ministre qu'il est de notoriété dans les milieux juridiques que les avocats d'allégeance libérale ont de meilleures chances que d'autres d'être nommés juges quand un gouvernement libéral est au pouvoir, Jean Charest réplique que son gouvernement a nommé juges des péquistes, «peut-être même des adéquistes» et des gens qui n'ont pas d'allégeance politique.
Or connaître quelqu'un de haut placé ne nuit certainement pas. Rappelons qu'en 2005, le premier ministre avait commis un impair en annonçant lui-même à un avocat de Sherbrooke qu'il connaissait, Claude Leblond, sa nomination comme juge. Ce juge de la Cour du Québec est diplômé de l'Université de Sherbrooke, tout comme Jean Charest.
Sur un ton plus émotif, Jean Charest a parlé de ses 25 ans de vie politique pendant lesquelles il a été la cible de critiques. «La vie politique, c'est dur, c'est très dur», a-t-il dit. «On est vulnérable», s'est-il même épanché. Mais ce serait une erreur d'alimenter la longue liste de gens qui ont annoncé son départ de la politique, a-t-il prévenu. «J'en ai vu d'autres. Et ce n'est pas la première fois que les journalistes disent: "Ah ! non, ça va mal, pour moi il va partir".»


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