Alors que le Proche et le Moyen-Orient semblent retrouver un semblant de calme trompeur, Daech ayant largement perdu le terrain qu’on sait, le président syrien Bachar el-Assad sort de son silence en accordant un long entretien à notre confrère Paris Match.
On peut penser ce que bon semble de l’homme fort de Damas. Il est encore licite de demeurer sceptique sur la nature profonde du parti Baas, cette tentative, à la fois nationaliste et socialiste, de fédérer les Arabes au nom du panarabisme et de la laïcité. En effet, en cette région du monde ayant vu la naissance des trois religions abrahamiques révélées, la laïcité à la française n’est que vue de l’esprit, tout comme son socialisme national n’est jamais rien d’autre que concept d’importation européenne. Quant à l’arabisme, il est à mettre en regard avec la francophonie : tous ceux qui parlent français ne sont pas forcément français, à l’instar de ces arabophones étant loin d’être arabes.
Il n’empêche que la parole de la bête noire des médias occidentaux mérite d’être écoutée. Surtout quand Bachar el-Assad n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat de tajine : « Le terrorisme est toujours là dans les régions du Nord syrien. Ce qui est plus regrettable, c’est qu’il bénéficie toujours de soutiens de la part de la Turquie et des pays occidentaux, les USA, la Grande-Bretagne, et notamment la France. »
Il est un fait avéré que, depuis le début du conflit afghan, en 1979, le djihadisme de combat n’aurait pu voir le jour sans l’appui militaire américain, les financements saoudiens et la caution théologique d’oulémas égyptiens prêts à vendre leur science islamique au plus offrant. Quant à la France ? Le président syrien n’a pas tort quand il rappelle : « Pourquoi les gouvernements français combattent-ils Daech, alors qu’ils soutiennent Al-Nosra ? Les deux sont des terroristes ! » Il est vrai que, le Al-Nosra n’étant jamais que le dernier épigone en date d’Al-Qaïda, nous ne sommes pas tout à fait dans le registre d’une opposition « démocratique » estampillée par le grand géopoliticien qu’on sait : sa seigneurie Bernard-Henri Lévy.
Le même flou plus ou moins artistique est tout aussi vrai pour les factions kurdes, un jour « terroristes » et l’autre non, un soir tenues pour « humanistes » et l’autre pas. Flou que Bachar el-Assad dénonce d’ailleurs en ces termes, à propos de la question du reporter spécialisé en poids des mots et choc des photos, Régis Le Sommier, expliquant que « les Français sont venus en appui des Kurdes qui combattaient Daech » : « Vous pensez franchement que nous pouvons envoyer des forces syriennes en France combattre le terrorisme sans y être invités par le gouvernement français ? »
Et c’est là qu’on en arrive au fond du problème : ces nations occidentales se voulant garantes du droit international et qui ne cessent de le violer au gré de leurs intérêts fluctuants. Intervenir dans les pays du « tiers-monde », c’est de l’humanitaire ; l’inverse, de l’ingérence… Ce à quoi le président syrien a beau jeu de répondre : « Bush [le père comme le fils, NDLR] a tué un million et demi d’Irakiens derrière le grand slogan de la démocratie. Sarkozy a contribué au meurtre des centaines de milliers de Libyens, en se cachant derrière celui de la liberté pour le peuple libyen. »
Et puis, il y a le problème qui taraude toutes les capitales du Vieux Monde : quid des djihadistes, européens de souche ou de branche, partis là-bas faire la guerre ? Sur la question, la position de Damas est des plus limpides : « Tout terroriste qui se trouve dans les régions contrôlées par les forces syriennes sera soumis à la loi syrienne. Ils seront donc traduits en justice devant les tribunaux spécialisés en matière de terrorisme. » C’est dire si on ne donne pas cher de leur peau ; mais tels sont aussi les risques du métier.
En revanche, Bachar el-Assad en profite pour tacler son homologue d’Ankara : « Erdoğan tente de faire chanter l’Europe. Quelqu’un qui se respecte ne parle pas de cette manière. […] Quant au fait de sortir de prison quelqu’un que vous savez être un terroriste et de le renvoyer chez lui pour qu’il tue des civils, c’est immoral. » On ne le lui fait pas dire. Et surtout pas aux europhiles béats qui se roulent par terre afin que la Turquie intègre une Europe n’ayant pourtant pas besoin de ça.
En attendant, ça fait un peu tout drôle d’entendre un président s’exprimer comme un président. En France, nous n’y sommes guère habitués.