Autodétermination ou faux choix

Chronique d'André Savard


Hier, à l’aube, j’ai rêvé que j’étais chaussé de patins à roulettes. Je dévalais les corridors encombrés d’un immeuble inconnu. De toute évidence je possédais la technique car je me faufilais aisément entre les secrétaires, les avocats, les représentants en complet veston. C’était bien moi qui allais, et dans mon sommeil j’avais peine à croire. Je faisais partie de la génération suivant la mienne. J’avais de la musique que je n’écoute jamais dans les écouteurs et un cellulaire multi fonctions suspendu à un cordon par un fil fluo.

Je crois savoir pourquoi j’ai rêvé cela. Il y a une odeur de vieille histoire dans l’air. Je commence à voir poindre des cheveux gris. Je voudrais être remplacé par mon clone en plus jeune. Dans mon rêve, il suivait plus vite le mouvement en vadrouille.
Freud a écrit que les rêves illustraient souvent un vœu inconscient. Or comme tout le monde, je m’inquiète un peu plus du temps qui passe depuis les dernières semaines. La nouvelle année est arrivée comme une manifestation flagrante d’un changement d’époque. En décembre et début janvier, notre hiver a plus ressemblé à celui de la Bretagne qu’à celui du Québec. Sur Sainte-Catherine, deux jours avant ce fameux rêve, c’est ce que me disaient des Français en « rollers ».
Ils ne savaient trop si l’hiver québécois n’était pas qu’un mythe. « Mon pays c’est l’hiver » me dirent-ils sur un ton interrogatif. Avant, on devait expliquer que la chanson était aussi une métaphore politique. C’est à se demander si on devra pas désormais exposer le fait que cette chanson n’était pas qu’une métaphore politique à l’origine. Il y a bien eu au Québec une très longue « blanche cérémonie ».
Le ministre Benoît Pelletier a bien tenté de tirer les draps blancs de son côté, juste avant les fêtes. Il s’est déclaré mécontent de notre titre de « province ». On voudrait bien conclure après cette déclaration qu’aucun parti à l’Assemblée Nationale du Québec n’est provincialiste. Tous croient dans les « privilèges » inaliénables de l’Assemblée Nationale. Tous adhèrent au principe que la nation québécoise est maîtresse de son sort.
Par contre, si mécontent que Benoît Pelletier soit du titre de « province », il ne sait pas quelle morale en tirer. Il souhaite certainement plus d’argent pour jeter de l’argent sur les problèmes. Et puisqu’il est fatigué de la « province », on aimerait supposer qu’il veuille doter l’Assemblée Nationale de pouvoirs de représentation officielle de la nation québécoise. Duplessis a beau avoir changé le nom de notre parlement, la nation québécoise est toujours dans la cage à poules. Jean Charest, moins fatigué que son ministre du titre de « province », rétorquera que la nation québécoise est représentée dans les limites de ses juridictions. On ne sait plus trop. C’est une Assemblée Nationale ou un comptoir spécialisé en santé et éducation?
Les météorologues, eux, suivent la consigne de « neutralité » en annonçant que la pluie s’abat sur la « belle province ». La façon d’énoncer des météorologues se rapportent exclusivement à la structure officielle. C’est un peu comme si le mot « province » était le premier conçu pour la scène. À l’Assemblée Nationale, on peut parler ouvertement de « nation québécoise » car les élus ne sont pas tenus au devoir de neutralité, les journalistes et les météorologues, eux, si.
Le bulletin météo ressemble à une vaste coordination. On nous présente les masses chromatiques en déplacement dans leur continuité de l’Ontario au Nouveau-Brunswick en passant par la « province ». Il est fréquent de les entendre dire le Nouveau-Brunswick, l’Ontario, mais le Québec ordinairement n’est énoncé qu’accompagné de son titre.
Il faut beaucoup plus de « neutralité » pour parler du Québec. Si tous les partis politiques du Québec s’entendent au moins pour clamer que le Québec est une nation et que le titre de province ne correspond pas à la nature de notre peuple, il devrait y avoir une suite des choses. En cette année, nous devrions nous trouver proches d’une amélioration logique et ce, avant même le déclenchement des élections. Mais cela fait belle lurette que l’on se fait dire que s’il n’y a pas de suite réelle, c’est parce que « notre démocratie est bien vivante. »
Le pouvoir est au peuple, dit-on. Pas de décision importante ne doit être prise sans lui. Il doit être certain d’être certain. Tous les paliers gouvernementaux doivent être certains qu’il est certain. Sinon, il ne peut y avoir de changement important.
Quand le thermomètre sera au beau fixe et que le peuple réitèrera sa même volonté à tous les paliers gouvernementaux, quoi qu’on lui dise, les politiciens pourront prendre une décision. Entre-temps, les représentants ne sont pas revenus de captivité et il est hautement démocratique qu’ils se le tiennent pour dit. Ils habitent l’Assemblée Nationale comme une fiction d’immeuble car le système fédéral ne laisse pas de fissures par où s’introduire.
La nation québécoise y trône surréalistement car, en dehors, les pratiques langagières suivent le code strict. On connaît le poids des mots, les dérives qu’ils entraînent. La prudence est de mise. L’action de la province est d’ailleurs cernée d’un gros trait noir et l’appellation de son « Assemblée Nationale » si pittoresque. Rien d’étonnant à ce que la nation canadienne ne s’en formalise pas bien que, dans sa vaste majorité, elle demeure convaincue que la nation québécoise est une superstition.
Ce ne serait pas si pire si le peuple avait le droit d’élaborer son plan mais le Clarity Bill lui dit qu’il a le choix entre le plan A et le plan B. S’il vote pour le plan A, il vote pour le renforcement de la canadianité et l’engagement de ne pas déborder le cadre provincial. S’il vote pour le plan B, il vote pour la canadianisation des territoires incorporés. Le Clarity Bill est formel à ce sujet, le peuple ne peut se prononcer que sur ces deux options. Si le peuple québécois veut décider autrement, cela doit relever du mélo, de la complainte, de son intelligentsia contestataire, de mes mœurs artistiques, de ses trous souterrains.
Oui, la démocratie canadienne est bien vivante en 2007 et nous allons en bouffer. Les deux artisans de cette voie qui veut prédéfinir les options accessibles à la nation québécoise, Stéphane Dion et Stephen Harper, sont chefs des deux principales formations politiques du Canada. Il n’est pas question de conflit entre le peuple québécois et les dirigeants canadiens dans leur démocratie. Les destins de la nation québécoise sont déjà écrits au menu.
Elle ne peut vouloir que le A ou le B. Commandez s’il vous plaît et tout sera préparé par le Chef au cuisine selon ses propres rites. C’est le même chef qui a voulu faire de l’anniversaire de la fondation de Québec une coordination de tous les anniversaires - anniversaire de la fondation du Canada, du multiculturalisme, des originalités et de notre propre folklore. Enfin voilà un idéal sérieux. On passait à côté en fêtant l’anniversaire de Québec.
L’anniversaire de Québec se plie à la même « neutralité » que la météo. La silhouette canadienne accapare l’horizon. On va fêter un Canada qui aurait été fondé par nous mais qui nous accorde désormais le gîte. Une province après tout est un classement décidé par une autorité supérieure. Nous sommes dans un « Canada uni » donc chez les Canadiens et dans un classement provincial spécifique qu’on appelle Québec. Heureusement, nous avons toujours la liberté de penser, autant qu’on veut… et de voir des éléphants roses au Canada, autant qu’on veut. Comme les Canadiens nous accordent le gîte, nous avons le droit de parler français car leur chartre des droits nous alloue celui de disposer librement, en tant qu’individus, de la langue française.
Bref, selon la loi sur les langues officielles, tout le monde d’un océan à l’autre peut disposer de la langue française, en faire ce qu’il veut. Tout le monde doit se sentir libre de la choisir mais personne ne doit être obligé de la parler. Elle peut être choisie partout en autant qu’elle ne soit ni la langue de travail, ni rien qui ne l’impose exclusivement. Si le français s’impose exclusivement on est moins libre d’en disposer. Le français, langue de travail, c’est contre le libre arbitre des individus garanti par la chartre. Nous sommes supposés de voir dans cette disposition une grande idée, le songe pompeux de nos ancêtres, le pays que nous avons fondé, la preuve de notre ascension sociale.
La loi 101 doit être une « grande loi canadienne ». On a le droit de compter sur elle pour ranimer l’intérêt du public canadien dans la belle province. En revanche, il ne doit pas y avoir de vitesse excessive dans la francisation. La vitesse excessive, c’est accordée exclusivement au réchauffement climatique.
Il y a une Assemblée Nationale, paraît-il, qui a la fonction de représenter. Elle est responsable d’une province et doit s’occuper des services au comptoir. En revanche, elle peut s’illustrer administrativement avec l’accord des organisations du ressort fédéral. Sinon, elle fait de la politique. Comme l’opinion publique tend à être contre la politique, chacun se garde bien d’en faire trop longtemps.
Espérons que 2007 sera l’année des grandes conclusions. Si tous les partis politiques québécois désavouent le simple statut de province et appuient les « privilèges » de l’Assemblée Nationale, il est clair que le Fédéral ne dit pas la même chose. Le Fédéral soutient que les Québécois existent chez les Canadiens. Et le Clarity Bill nous prévient que nous ne pouvons exister que sous l'aspect des plans A ou B. Privilèges de l’Assemblée Nationale? Lesquels?
Le Fédéral est en collision frontale avec les « privilèges » de notre Assemblée Nationale, représentante légitime des intérêts supérieurs de la nation. Le Québec appartient-il aux Québécois ou est-il un héritage canadien appartenant aux représentants de la Couronne? Le flou institué par les lois fédérales montre bien dans quel camp opposé à la notion même d’Assemblée Nationale le Fédéral s’est installé.
Les désaccords autant potentiels qu’actuels entre les privilèges de l’Assemblée Nationale et ceux de la Couronne sont connus. Appelés à commenter, les fédéralistes prétendent que ce n’est pas grave car le peuple sait ce qu’il en est. Nous sommes dans une vaste réalité qui concilie les contraires selon cette version… en autant que l’on vote pour la collision des pouvoirs. Le peuple est pris dans une perspective où, par sa simple qualité d’électeurs, il ratifie une loi de compensation entre les privilèges potentiels de l’Assemblée Nationale et ceux de la Couronne.
Il est bien évident que, dans une telle démocratie, le peuple n’a pas fini d’avoir des problèmes de choix en 2007. Le simple je-m’en-foutisme contemporain ne suffit pas à expliquer son écoeurement devant le menu. Ou l’Assemblée Nationale représente une nation qui, faute d’être actuellement souveraine, est dépositaire d’une volonté souveraine ou l’Assemblée Nationale n’existe pas en réalité. S’il y a une Assemblée Nationale, tous ses députés de facto acceptent le principe de représenter un peuple qui est chez lui et non chez un autre, un peuple dont la volonté de choisir ne procède que de lui. C’est à prendre ou à laisser. Une Assemblée Nationale représente la faculté de la nation de s’autodéterminer. Si la volonté de l’Assemblée Nationale procède en priorité du Fédéral, si elle n’est pas libre de mener ses propres affaires jusqu’à leur terme, si toutes ses affaires en dernière instance sont soumises à la sanction du gouverneur-général, où sont les privilèges de l’Assemblée Nationale? Si vraiment il y a une Assemblée Nationale au Québec, dessiner son avenir lui appartient. Cet avenir ne peut pas être prédéfini par des plans A ou B.
Benoît Pelletier a bien raison de se prétendre fatigué du mot « province ». C’est un mot qui dénonce l’Assemblée Nationale. C’est un mot qui rappelle qu’un autre gouvernement représente les autorités supérieures et les forces de l’ordre. C’est un mot qui rappelle aussi que l’expression « Assemblée Nationale » ne se rapporte qu’au paradoxe de notre existence au Canada. La question qui demeure en 2007 est celle-ci : D’où vient la liberté? De la nation québécoise libre de chercher une réponse en elle-même ou d’un pouvoir qui se donne préséance sous le prétexte qu’il représente un autre entre-nous, celui des provinces?
La liberté ne peut venir du Fédéral et des provinces. Tout ce qu’ils peuvent représenter pour la nation québécoise, c’est le consentement que le peuple canadien lui donne ou ne lui donne pas. Pour qu’il y ait une démocratie au Québec, l’Assemblée Nationale doit être soumise au consentement de la nation québécoise, uniquement à elle.
André Savard


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