Au siècle de « l’idiot visuel », tout passe par l’image et sa manipulation

Effets pervers

Il est toujours étonnant de voir un journaliste faire son travail ; c’est-à-dire raconter ce qu’il a vu – et non ce qu’on lui a dit de voir. C’est ce qu’a fait Jacques Merlino, il y a plus de vingt ans, en Yougoslavie. Et dans un très bon bouquin sur les vérités pas bonnes à dire, publié en 1993, l’ancien rédacteur en chef d’Antenne 2 rapportait les faits suivants :


Sur les viols pratiqués à l’échelle industrielle par les Serbes, il n’y avait que cinquante témoignages directs. Après, on extrapola à soixante mille.


Merlino évoquait « les rumeurs invérifiées, les estimations » et même la naïveté des Serbes, qui laissèrent visiter leurs camps de prisonniers par des inquisiteurs mués en enquêteurs. Et il ajoute cela : « L’armée serbe est persuadée de n’avoir rien à craindre de ces reportages. C’est qu’elle connaît mal la presse. »


C’est que la presse, au règne de la vitesse défini et approfondi par Paul Virilio dans son œuvre, est un outil de formation rapide – un train à grande vitesse !


« Diktat de la brièveté. Changer de sujet avant de changer de chaîne », ajoute notre auteur dans des lignes inspirées.


Merlino interviewe ensuite James Harff, un manipulateur américain qui explique comment on a nazifié les Serbes, qui avaient été les plus grandes victimes chrétiennes (seulement orthodoxes, il est vrai) du nazisme allemand et de ses acolytes oustachis.


« L’entrée en jeu des organisations juives aux côtés des Bosniaques fut un extraordinaire coup de poker. Aussitôt, nous avons pu faire coïncider Serbes et nazis dans l’esprit de l’opinion. La charge émotive était si forte que plus personne ne pouvait aller contre. »


Debray en parla alors, de cet art de diaboliser les Serbes.


Quant à la charge émotive… Rappelez-vous le vol MH17.


Les Serbes disaient déjà à Merlino : « Vous verrez qu’ils vont abattre un avion pour nous accuser ! »


L’avion fut abattu – mais en Ukraine !


Continuons : au siècle de « l’idiot visuel », tout passe par l’image et sa manipulation.


Notre auteur ajoute : « Une seule image, si elle a une forte charge émotionnelle, si elle s’inscrit dans le courant de la pensée dominante, fera alors le tour du monde. »


Il conclut sur notre information occidentale manipulée par ces EVN (images non vérifiées mais bien exploitées) : « Epuisée par un discours humanitaire dont les excès sont presque totalitaires, la pensée occidentale appréhende le monde à travers un prisme déformé. Incapable de fournir un mode de compréhension, elle évacue ce qui lui résiste par la diabolisation et le recours aux anciennes chimères. Elle se réfugie dans un appel à l’action armée. »


Et Merlino de rappeler le toupet de la guerre humanitaire : « Lorsqu’il s’appelle cause humanitaire, le droit d’ingérence prend un plaisir diabolique à soigner les blessés qu’il a fabriqués. »


Ou à les inviter à se réfugier chez lui : voyez ces guerres humanitaires en Asie et en Afrique, qui se terminent par la plus grande invasion depuis quinze siècles.



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