C'est étrange: avant le décès d'Ariel Sharon, son cerveau était mort mais le coeur restait vivant; comme si, parfois à mesure, ou souvent sur le seuil, tout nous y ramenait. Quoique j'imagine qu'il n'y ait aucun "seuil", que tout soit une continuité hors de la notion de temps. Évidemment, ceux qui n'aimaient pas Sharon n'auraient dans ce cas rien à craindre: il nous reviendrait avec les yeux d'un enfant désireux de rencontrer Arafat et de fraterniser avec lui. C'est que ces deux bonhommes n'étaient pas tellement différents! Chacun lisait dans l'autre comme dans un livre. C'est ce qu'on gagne à comprendre des conflits. Ma mère m'a longtemps répété que je ressemblais à mon père, très perfectionniste, dont elle s'était séparé. Or chaque fois que j'exécutais des travaux chez elle, on pouvait la voir collée sur moi, scrutant chacun de mes gestes pour s'assurer que tout était parfait. En réalité, c'était ma mère qui était tout le portrait de mon père.
Il y a crise entre deux êtres là où il y a eu amour, intérêt, curiosité, partage, voire inspiration, désormais qu'on désavoue ou qu'on essaie vainement d'oublier. Les familles israéliennes et palestiniennes furent jadis imbriquées. Le bonheur ne s'oublie jamais: il est une réalité immédiate et éternelle. On n'a pouvoir uniquement qu'à s'en couper, et ce contre soi-même. Une idéologie politique, islamiste ou autre, une orthodoxie religieuse, juive ou autre, les us et devoirs d'un système de pensées de quelque nature qu'on le propose s'oublieront aisément eux-mêmes, quoi qu'on en dise, autour d'une table généreuse en famille ou au milieu des amis qui ont plaisir à vous voir bouger et rire, qui aiment à vous savoir heureux.
La réconciliation n'est pas loin. Elle est moins dans l'espoir d'une paix au Moyen-Orient, quoique celle-ci en sera l'expression, moins dans l'attente du bonheur de ma mère, par exemple, qu'elle est en moi en ce moment même et que son partage, bien que par instant difficile, compte des bienfaits imprévus. Tout nous dépasse, ainsi s'organise la vie. Laissons-lui d'abord une place, relâchons très légèrement les structures sociales, laissons filtrer quelque liberté, et notre base saura nous apporter ses bienfaits. Le bonheur ne se recherche pas, ne s'attend point davantage: on comprend mieux et ainsi se réintègre sa nature première.
Il y a un ordre dans le naturel des choses. Il y avait une confiance permanente déjà, une compréhension profonde en évolution et aux renouvellements étonnants, une générosité infinie: tout se trouvait en l'homme déjà dans l'ordre premier des choses, qu'on songe à l'enfant qu'on a été, à sa manière de jouer, d'explorer. Or une étrange insécurité s'ajoutant nous a fait historiquement désirer tout redessiner selon le schème réducteur de la pensée langagière, donc morcelée. Tout ayant eu plénitude, grandeur et force auparavant, une reconquête de chacun par chacun devenait nécessaire.
Bon, je sais: j'exagère un brin. Mais l'exagération des conflits actuels force l'exagération des discours pacificateurs. Un message à retenir? Toute politique de paix ne survit pas sans une meilleure compréhension des conflits et de leurs origines. Des cadres pour une réflexion collective sur la paix de concert avec une action politique garantiront, mieux qu'une absence de conflits ouverts, une avancée nouvelle cette fois assise sur du solide, soit du vrai et du consenti.
Un brin de lyrisme
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2 commentaires
John Honcharuk Répondre
27 janvier 2014@ jpb
Bonjour! Désolé pour le retard: je soignais une entorse à la hanche depuis deux semaines, et sans accès proche à Internet. Peut-être êtes-vous déjà loin de ce sujet, alors j'y réagirai pour le plaisir.
Votre franchise me convient. L'Occident m'apparaît cependant directement liée à ce qui se déroule là-bas depuis le second conflit mondial et, plus avant, depuis les origines mêmes de nos religions fondatrices. M'être penché sur la question du conflit Israël-Palestine relevait d'une curiosité résultant de ce constat. Or il m'a semblé que le grand débalancement actuel risquait de profiter aux nouveaux groupes assoiffés de conquête dont on entend parler depuis quelques années. Je suis simplement "tanné" qu'uniquement le pire de l'histoire chaque fois se répète.
Nous subissons une mondialisation aveugle depuis longtemps. Au Québec, la classe moyenne rejoint la classe pauvre; des retraités reviennent à l'emploi, etc. En même temps, des économistes courageux en découvrent les causes et font des propositions. On parle de démondialisation, des états songent à sortir de l'Europe, l'OMC comprend ses insuccès. Le temps n'est pas à débalancer l'ensemble pour recommencer sous de nouveaux tirans: poursuivons les pressions. Le Parti Québécois est la moins pire option: on connaît son courage par tradition. Traversons les tensions actuelles, proposons et obtenons les correctifs nécessaires.
J'ai fait un lien entre l'origine de la mondialisation et l'intensification de la crise au Moyen-Orient en 2000. Je vous en suggère la lecture en souhaitant que sa prose ne vous rebute pas trop:
http://www.vigile.net/Lettre-au-Moyen-Orient
Et merci d'avoir lu ce mot sur Ariel Sharon, écrit à la volée en cinq minutes, dont je craignais d'ailleurs qu'il choque bien davantage.
Jean-Pierre Bélisle Répondre
17 janvier 2014Je ne suis pas juif. Je ne suis pas palestinien. Je n'aime pas plus l'un que l'autre. Ce conflit ne me regarde pas directement.
Je reconnais de plus votre droit de faire de la poésie sur les beaux principes de la paix en occlutant l'origine véritable du conflit et la nature de l'État d'Israël.