La reconstruction de Lac Mégantic

Aménager une ville exemplaire au Québec

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Chronique de Jean-Pierre Bonhomme

La semaine dernière la mairesse de Lac-Mégantic laissait entendre qu’elle aurait engagé les services d’experts pour engager le processus de reconstruction de sa ville et elle a fait montre d’un certain plan de réaménagement «aux commerçants» du coin. Ceux-ci n’auraient pas rechigné. Sans plus d’explications. Cette démarche, d’apparence, ne prêtait pas à discussion car tout le monde est en faveur du bien.
Cette question de la reconstruction de Lac-Mégantic, moi, me fait quand même un peu peur. La Commission Charbonneau ne nous a-t-elle pas montré que le fait de laisser le planning urbain et interurbain entre les mains des maires, sans contrôle de l’État, donne des résultats disons… décevants? En tout cas ce n’est pas le maire de Laval qui a maîtrisé l’art de construire un centre-ville et de relier celui-ci au reste du territoire!
Dans une chronique, il y a un mois, je soulignais l’importance, dans le cas de Lac-Mégantic, d’impliquer à fond l’organisme souverain en affaires municipales, soit l’État du Québec, dans tout ce processus de reconstruction du centre-ville et… d’aménagement territorial.
Depuis ce temps, rien! Le gouvernement du Québec se tait. Il laisse la mairesse devenir en douce une sorte de planificateur urbain (parfaitement en cachette) et il fait fi de ses responsabilités relatives au bien commun. Les conseils municipaux ont la mission d’administrer leurs territoires pour ce qui concerne la marche de tous les jours. Et ils ont bien le droit de le faire à leur manière. Mais lorsque le bien commun de la nation est en jeu, c’est l’État qui doit décider.
La manière de reconstruire le centre-ville de Lac-Mégantic concerne le bien commun de la nation parce que les gestes qui seront posés là serviront d’exemple aux autres villes du Québec. Et Dieu sait si, en cette matière d’urbanisme et d’architecture celles-ci ont besoin d’aide! Qui peut dire que nos villes et villages sont conçus pour rendre les citoyens heureux et pour propager la beauté à la ronde? Il fallait donc, disais-je, saisir l’occasion du sinistre de Lac-Mégantic pour oser innover! Étant donné que ce n’est pas ce qu’on dit qui compte, mais le nombre de fois qu’on le répète, j’y reviens.
Je ne me prends pas pour un savant. Mais je suis libre de dire que, sans une intervention de l’État responsable, celui qui se trouve à Québec – il n’y en a pas d’autre - nous risquons de tomber à nouveau dans la médiocrité urbaine. La semaine dernière, dans une entrevue à la radio, un excellent urbaniste, professeur et tout, se plaignait du fait que les firmes d’aménagement, d’architecture et d’urbanisme du Québec – celles qui «conseillent» les villes contre rémunération, ont été complaisantes dans leurs tractations avec les conseils municipaux! Ah oui? Quelle nouvelle! Et alors que faire? Il souhaitait simplement que ces experts bien payés deviennent un jour vertueux et qu’ils se mettent à résister aux pressions des intérêts particuliers des promoteurs. Les firmes d’urbanisme deviendraient donc ainsi des martyrs! Il me semble que ce n’est pas leur nature…
Alors, mon avis, il faut être plus pratique que cela. Il faut, en ce cas-ci, que le gouvernement du Québec crée un comité spécial d’aménagement, d’architecture et d’urbanisme, responsable directement au bureau du Ministère du premier ministre, pas à celui des Affaires municipales, pour l’aviser sur la manière de reconstruire la ville sinistrée. C’est une affaire d’État, pas de conseil municipal. Et si cette expérience devait être fructueuse cela pourrait être le germe d’un nouveau ministère de la Ville, là où les grandes orientations de développement seraient déterminées.
Actuellement les initiatives de l’État sont trop dispersées et trop engagées dans le quotidien pour être libres. Rappelons que l’État de Hollande (Pays-Bas) a créé une institution intéressante qui s’appelle l’Architecte d’État (State Architect). Dans ce bureau on effectue une révision de tous les projets d’architecture d’intérêt public. Ne pourrions-nous pas imaginer, pour nous, quelque chose de semblable?
En attendant les citoyens ont le devoir d’exiger des réponses à mille questions importantes. Puisque la politique c’est l’art de gouverner la Cité, le moment de voir s’il y a un brin de transparence dans cette gouverne de la chose publique :
- Qui, au gouvernement, à Québec, a autorisé le conseil municipal de Lac-Mégantic à engager les services d’un ou des bureaux d’architectes et d’urbanisme? ;
- Quels sont ces bureaux et quels sont leurs compétences particulières? ;
- De quel ministère viendront les fonds et quel est leur quantum? ;
- Pourquoi n’y a-t-il pas de concours pour le choix des architectes?
- Quel ministère engagera-t-il des pourparlers avec l’État fédéral au regard du déplacement des voies de chemin de fer? ;
- La décision de maintenir les voies de chemin de fer dans la ville est-elle prise? ;
- L’État responsable, le nôtre, fera-t-il pression pour que la charge de l’entretien des rails revienne à l’État (fédéral)? ;
Et le reste et le reste. Mais la question principale c’est la création d’une institution gouvernementale de contrôle.
Il s’agit, en l’instance, d’exiger de notre gouvernement qu’il mette les meubles urbains à leur place et qu’il crée de la beauté par le bon choix des formes et des matériaux. Ceci ne se ferait pas sans que les initiatives et les désirs de la base municipale soient prises en compte, évidemment, mais cela se ferait en guidant la démarche, comme un chef d’orchestre sait le faire. Actuellement les ministères souverains agissent comme des usines à subventions, pas des guides offerts aux conseils municipaux dont plusieurs sont de bonne volonté. Et pire encore, l’État ne se donne pas la tâche d’aider les citoyens – pas d’abord les commerçants – à vivre heureux dans une ville bien conçue.
Cet engagement nouveau de l’État surgirait ainsi du mal qui nous a été fait par l’État fédéral (qui a inconsidérément privatisé le rail). Il donnerait espoir à notre peuple. Et si les résistances à notre projet commun devenaient trop paralysantes, notre peuple pourrait bien trouver là une bonne raison de vouloir s’affranchir dans l’esprit républicain qu’il faut pour conserver son identité et bien se responsabiliser.


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    29 novembre 2013

    J'ai relevé l'automobile et les centres commerciaux, l'oeuf ou la poule, mais le structuration de l'espace urbain est en définitive le lot, décidé au cas par cas, de ceux qui peuvent lever des fonds et les concentrer. Et c'est à l'image de l'aléa bancaire qu'ont pris forme nos nouveaux centre-villes, des monuments élevés à la laideur de la banque comme puissance suprême du monde.
    Comme l'État s'est effacé devant la banque en lui reconnaissant son pouvoir sacro-saint, au-dessus c'est le soleil, le verrouillage est complet. Seul un pape révolutionnaire pourrait tout bouleverser, car il s'agit bien de tout bouleverser. Dans l'intervalle, la cité exemplaire ne restera qu'un bel idéal.

    Faut-il espérer davantage un pouvoir centralisé à Québec mais peu inspiré, ou un pouvoir local éventuellement plus sensible aux aspirations du terroir et capable de mieux préserver notre continuité ? Dans le contexte actuel, la prouesse «hussmannienne» peut-elle être ré-éditée ?
    Si Québec voulait occuper pleinement ses champs de compétence et traiter avec Ottawa de nation à nation, d'égal à égal, ça se saurait. Pourquoi s'acharner à dérouler des montagnes de tapis rouges, éventuellement bordés de fleurs, de majorettes et d'une petite garde d'honneur, quand à Québec on refuse de faire le premier pas ?
    Voici ce qu'en dit Patrice Hans-Perrier, intéressant, même si j'ai mes réserves sur les guéguerres de champs professionnels il soulève des questions intéressantes sur la démocratie municipale inopérante :
    «Les urbanistes, supposés être les médecins de la cité, ne sont, dans les faits, que les gestionnaires de l’organisation spatiale (cadastres et autres mesures d’évaluation de la propriété foncière) confrontée aux activités de la spéculation immobilière. C’est ce qui explique pourquoi ces derniers ont longtemps été détestés par les architectes, eux qui s’occupent de l’aménagement des cités.
    Les départements d’aménagement font – sauf avis contraire – toujours partie des facultés d’architecture. Il est amusant de voir que certains technocrates auront mis sur pied des cursus dédiés au design urbain, sorte de matière hybride à mi-chemin entre l’architecture et l’urbanisme.
    De nos jours, l’expression développement urbain est sur toutes les lèvres et constitue un immense fourre-tout qui permet à la mystification de se perpétuer. Un peu comme si les édiles (ceux qui sont élus par les «cochons de payeurs») jouissaient du privilège de concevoir la transformation de la cité. Tout cela est digne d’une triste légende urbaine, alors que les banques et leurs affidés sont les seuls intervenants à présider aux destinées de cette cité dévoyée.»
    http://www.les7duquebec.com/7-dailleurs-invites/fuir-la-cite-concentrationnaire/
    GV

  • Archives de Vigile Répondre

    29 novembre 2013

    "Il faut, en ce cas-ci, que le gouvernement du Québec crée un comité spécial d’aménagement, d’architecture et d’urbanisme, responsable directement au bureau du Ministère du premier ministre, pas à celui des Affaires municipales,"
    Le bureau du PM responsable de l'urbanisme des villes et villages du Québec! Plus centralisateur que cela, il faudrait envoyer cette responsabilité à Ottawa.
    Qu'est-ce qu'on fait avec les maires et conseils municipaux?
    En quoi le PM est-il plus compétent en urbanisme que la mairesse? Un comme l'autre doivent faire appel à des experts et être bien conseillé. Je ne suis pas vraiment convaincu que d'ajouter une couche de bureaucratie va vraiment assurer un meilleur résultat au final.
    Personnellement, j'ai plutôt tendance à penser que les résidents de Lac Mégantic eux-mêmes sont les mieux placé pour reconstruire leur centre-ville.
    Bien sûr, Québec a un devoir de surveillance et de vérification, mais selon moi, le maître d'oeuvre doit demeurer la municipalité de Lac Mégantic elle-même.

  • Archives de Vigile Répondre

    29 novembre 2013

    Investi de l'autorité de l'État, le préfet Haussmann a transformé le visage de Paris. Des expropriations massives, l'ouverture de grands boulevards, dont justement le bd. Haussmann, ont créé beaucoup du Paris que le monde entier aime voir aujourd'hui. Paris n'est-elle pas la ville la plus visitée du monde ?
    Quant on compare à cela la laideur de nos centre-villes québécois, particulièrement tout ce qui a été construit depuis la prolifération de l'automobile et des centres commerciaux, soit depuis les années 1960, il n'y a rien de beau. Pour être franc, la beauté et l'harmonie ne se retrouvent que dans les zones urbaines plus anciennes. Avec la configuration de l'espace urbain par l'auto est arrivé le cente d'achats et c'est aussi là (pure coïncidence ?) que l'urbanisme a commencé d'être enseigné à l'université.
    Wikipédia rapporte que Haussmann a pu commencé à faire ce qu'il a fait parce que l'État autoritaire lui donnait les coudées franches. Jean Drapeau est bien le dernier qui au Québec a joué de tout son prestige pour imposer le remodelage de grands pans du paysage montréalais. L'ensemble de l'oeuvre convainc difficilement.
    Je pense essentielle l'autorité de l'État stratège, de l'État constructeur-visionnaire pour que le Lac Mégantic reconstruit vaille le détour pour les cent prochaines années. Mais l'autorité, déjà difficile à trouver, n'est pas suffisante. Il faudrait aussi du souffle, une représentation nouvelle de ce qui doit durer. Certes, ne pas faire une ville acceptable que pour les commerçants, mais une ville pour vivre. Vu l'esprit dans lequel se trouvent nos élites, dont haut-fonctionnaires, politiques et entrepreneurs, le bien commun n'est pas au sommet de ce qui les anime. Or, un exemple de la stature de celui que vous proposez, ne peut se matérialiser que dans la foi partagée de travailler pour le bien commun.