Aide médicale à mourir

L'esprit des choses

Chronique de Jean-Pierre Bonhomme

Une connaissance, l’autre jour, se réjouissait du fait que le Québec est «  à l’avant-garde » de l’univers en matière d’euthanasie. Elle pavanait notre « provinciale » législature devant le monde entier, et, certes devant les provinces anglo-canadiennes, lesquelles n’ont pas encore eu la clairvoyance de s’engager dans le processus euphémistique de « l’aide médicale à mourir ».

Il ne s’agissait pas, dans cette rencontre amicale, de discuter, de débattre; il fallait sortir les drapeaux de la victoire et penser que le Québec est glorieux parce qu’il permettra à ses médecins de donner la mort volontairement à des malades qui souffrent. Un point c’est tout et que les cathos se le prennent pour dit! D’autant que, dans les circonstances historiques présentes, le Québec n’a aucune juridiction en la matière; les conquérants ayant prévu que le droit « criminel », donc le droit public, ne relèverait que de l’autorité coloniale britannique; surtout le meurtre et ce qui lui ressemble.

Le Québec, ici, prend donc un raccourci audacieux en se disant responsable de la médecine donc de ce qui vient avec, la mort! Et il contrecarre ce vieux catéchisme lequel proclame que « homicide point ne sera de fait, ni volontairement ». C’est nouveau, car dans l’histoire du Québec, jamais l’État provincial n’a osé faire fi des balises constitutionnelles de cette manière désinvolte. C’est du reste un État tout fait tranquille; tellement qu’il peut s’arranger pour faire une révolution… tranquille! Les choses ont donc changé. Dorénavant la révolution sera bruyante, mais pas pour la vie; ce sera pour la mort.

Je sais bien que, dans les faits, dans la mécanique de « fin de vie », comme ils disent, il n’y aura pas de cataclysme. Les médecins, selon les nouvelles dispositions qu’étudie actuellement la puissance fédérale, pourront faire valoir leur opposition de conscience et dans la pratique ils pourront renvoyer la balle à un médecin complaisant. C’est la moindre des choses… Mais les hôpitaux, eux, seront tenus de fournir les « services de fin de vie ». Ce sont les cliniques dites de « soins palliatifs qui pourront se borner à offrir des « soins palliatifs » c’est-à-dire qu’ils accompagneront le « souffrant » jusqu’à la fin, mais en administrant des médicaments ayant pour but de réduire la souffrance, pas de tuer.

Pour moi, c’est le but des actions qui compte justement. Symboliquement, spirituellement, moralement, psychologiquement il me paraît nécessaire que la vie arrive à son terme naturellement. Commander la mort comme on achète une semaine dans un « tout compris » c’est faire de la mort une « chose ». Et ce n’est pas parce que la souffrance est pénible ou fait peur qu’elle doit motiver le coup de grâce final. Pour ma part je peux dire que j’ai beaucoup souffert dans ma vie et que je n’ai pas pensé pour cela devoir passer volontairement de vie à trépas! La souffrance, comme l’a fait valoir le spécialiste des soins palliatifs d’un grand hôpital, le Dr Serge Daneault (in : revue Argument), fait partie de la vie et les médecins ont « l’obligation de l’apprivoiser ». Nous sommes en face, dit cet humaniste, « de l’incapacité fondamentale de nombreux médecins d’être témoins de la souffrance et, surtout, de l’accompagner ». Et pour que cela change, précise-t-il, il faudrait « réintroduire les humanités dans la formation des médecins ». Refaire le cours classique à la moderne en somme, ce qui ne nuirait pas aux avocats non plus. Rien que cela!

Je m’en doutais. Nos meilleurs écrivains, philosophes, psychanalystes, moralistes sont nombreux à souligner le « vide » spirituel dans lequel le Québec d’aujourd’hui se trouve. Et ils se demandent tous quoi faire pour ramener l’équilibre dans les âmes. La question de l’euthanasie est certes au centre de ces réflexions; c’est une question d’ordre moral. Il ne s’agit pas, ici, simplement, de cocher un simple article du code « criminel » fédéral qui nous dérange. Il s’agit d’un principe de transcendance; la vie ne dépasse-t-elle pas le simple combat contre la douleur? Nous ne sommes pas, ici, dans le domaine du « droit des malades »; nous sommes ici dans le sujet du « devoir (un mot nouveau) des aidants d’accompagner les personnes jusque dans leurs derniers souffles; dans le devoir de tous d’accepter la vie comme elle est et comme elle doit se trouver spirituellement. Pallier aux difficultés en somme.

Il y a des forces politiques bien pratiques au Québec, qui nous proposent de grands changements, de grands changements politiquement osés. Des amis, dont la force intellectuelle est considérable, se demandent si, dans le contexte, il n’est pas dangereux de procéder à nos plongeons radicaux avant que notre moralité ait quelques assises solides… À quoi serviraient en effet à un peuple de posséder de grands moyens d’action politique s’il ne s’agissait que de trouver des moyens de consommer de la médecine ou toutes ces « choses » censées donner le droit au bonheur?

Je ne sais pas. Mais je pencherais pour ma part du côté de la vie et des doutes. Quand nous y pensons vraiment il existe un autre « droit » de notre peuple qui tend vers la mort. C’est celui de l’avortement. Oui l’avortement pour cause doit être envisagé; mais l’avortement sur simple demande ne pose-t-il pas un problème semblable à celui de l’euthanasie?

Si notre peuple devait choisir de se donner de plus grands moyens politiques, en effet, de plus grandes « libertés », il me semble qu’il lui faudrait philosopher un peu plus pour y arriver. Cela lui permettrait peut-être alors de jouer en Amérique un certain rôle civilisateur et d’éviter ainsi de devenir une caricature des États-Unis.


Laissez un commentaire



1 commentaire

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    10 mars 2016

    M. Bonhomme, je vous cite:
    "Mais les hôpitaux, eux, seront tenus de fournir les « services de fin de vie ». Ce sont les cliniques dites de « soins palliatifs qui pourront se borner à offrir des « soins palliatifs » c’est-à-dire qu’ils accompagneront le « souffrant » jusqu’à la fin, mais en administrant des médicaments ayant pour but de réduire la souffrance, pas de tuer."
    Vous et moi, nous pourrions être d'âges comparables. Il serait donc étonnant que vous n'ayez pas marché dans des corridors de soins palliatifs, comme accompagnant ou comme journaliste consciencieux. Vous aurez été étonné de voir la majorité des patients affalés sur le dos, bouche ouverte, yeux fermés, émettant une plainte. Vous vous êtes dit: "C'est don ben long, la fin!" On achève bien les chevaux!... Mais votre bonne conscience vous rassure: "Toutes ces personnes dévouées accompagnent la vie jusqu'à sa fin..."
    Nuance, M. Bonhomme, ces patients en fin de vie sont simultanément sur le protocole de la sédation palliative définitive. C'est l'alternative politically correct à la loi qu'on voudrait controversée d'aide médicale à mourir. Cette dernière répugne à certains parce qu'elle obéit rapidement aux volontés du patient qui n'en peut plus de diagnostics retardés, de chirurgies à la chaîne, de post-op douloureux, de pronostics retenus, de constatation de "à quoi bon!"
    Le protocole courant, aux palliatifs, de sédation palliative, lui, il n'alerte pas la conscience du médecin stigmatisé, il n'appelle pas les journaux, ni les délicats de conscience: le protocole, il prend son temps: heures, journées, semaines, sur le dos, la bouche ouverte, à avaler les mouches... sauf si vous avez de bons amis, la-haut ou ici-bas, discrets dans la manipulation du protocole: Un puissant sédatif (un Ativan dôpé), puis un curare, qui fait cesser la respiration...