Algérie: haro sur le voile ?

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L'Algérie interdit le voile et le niqab dans les établissements scolaires. Le Canada et le Québec désormais plus musulmans que l'Algérie !

C'est officiel : le ministère de l'Éducation nationale algérien va proposer un projet de loi devant fixer les règles générales du fonctionnement des établissements scolaires : le voile intégral et le niqab sont clairement dans son viseur. « Les élèves doivent porter des habits propres et décents, et doivent porter des tabliers qui répondent aux spécifications requises » renseigne l'article 46 de ce projet de loi du ministère de l'Éducation nationale dont les syndicats se sont procuré copies. « Les habits des élèves ne doivent en aucun cas empêcher de les identifier ni leur permettre de cacher des outils pouvant aider à la fraude lors des tests et examens », lit-on dans le même article. L'article 71 du même projet de loi stipule également que « l'employé doit avoir un comportement exemplaire et une apparence décente, notamment en termes de tenue qui doit correspondre au cadre professionnel. Tout habit pouvant empêcher l'identification de l'employé est interdit ». Officiellement l e ministère de l'Éducation nationale justifie donc sa décision par la lutte contre la tricherie lors d'examens scolaires.


Le niqab, est ce voile, en général noir, qui cache entièrement le visage à l'exception des yeux. Il fait donc parti de la famille du voile intégral tout comme la burqa même si celui-ci est rarement porté en dehors de l'Afghanistan, où il est né. Dans la famille du voile intégral on note aussi le jilbab cette longue robe ample dotée d'une capuche. Elle vise à masquer les formes de la femme. Le visage reste découvert. On le trouve notamment en Indonésie. En fait, les vêtements de la famille du voile intégral se distingue du hidjab, soit le "voile" générique qui ne couvre lui ni le visage ni l'ensemble du coprs même s'il existe plusieurs façons de le porter selon les régions. Aujourd'hui si le débat autour du port du niqab fait rage en Algérie c'est parce qu'un certains nombres de courants rigoristes dont les salafistes estiments que c'est une "obligation" de le porter. Ce qui n'est pas de l'avis des thélogiens.


En France, par exemple la « loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public » du 11 avril 2011 concerne le niqab et la burqa. Et plus récemment le burkini a été banni de plusieurs plages de l'Hexagone.  


L'arrêté ministériel suscite déjà une vive polémique dans le pays, surtout chez les partisans du courant islamo-conservateur qui dénoncent une « atteinte à la liberté des filles voilées » dans les écoles. Beaucoup d'internautes abondent dans ce sens et s'interrogent sur le bien-fondé de cette annonce.



Pour le média en ligne Tamurt « dans le cas où l'information se confirme, on se demande si vraiment la ministre de l'Éducation algérienne, qui semble faire exception au sein d'un régime archaïque et islamiste, peut-elle imposer une telle interdiction ? Le voile est devenu plus qu'une culture pour les Algériens. Il y est plus porté qu'en Arabie saoudite », et d'ajouter que « même en France, le président Sarkozy a eu toutes les peines du monde pour introduire une telle loi. D'ailleurs, la ministre Benghabrit est toujours accueillie dans ses sorties dans les écoles par des troupes de jeunes écolières à la fleur de l'âge avec le hijab et des chants religieux. Ce qui est plus étonnant encore : comment un ministre moderniste est maintenu au sein d'un régime presque wahhabite ? Le mystère demeure entier », conclut l'article.


Proche dans sa jeunesse des milieux gauchistes, petite-fille de Si Kaddour Benghabrit, fondateur de l'Institut musulman de la Grande Mosquée de Paris, cette ministre qui détonne dans le paysage politique algérien est pourtant soutenue - pour l'instant -, contre vents et marées, par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal. « Nous voulons une école solidement ancrée dans l'islam, l'arabité et résolument tournée vers la modernité et la qualité », a ainsi récemment déclaré le chef du gouvernement pour appuyer sa ministre.


À la tête de l'Éducation nationale, Nouria Benghabrit doit en réalité gérer une « guerre » permanente qui déchire les partisans d'une école moderne et algérienne face aux défenseurs d'une école qui porte les valeurs de l'« authenticité » arabo-musulmane. Une école qui forme des citoyens contre une école qui engendre des croyants, pour paraphraser l'écrivain Kamel Daoud (l'écrivain est l'auteur de l'appel « Sauvez Benghabrit, sauvez vos enfants ! », dans El Watan du 9 septembre, NDLR). « D'un côté, Benghabrit applique le programme du président Bouteflika, donc logiquement on fait fonctionner la solidarité gouvernementale, soutient un ancien ministre. De l'autre, elle est dans une conjoncture où le système est encore dominé par des courants séculaires, où on a des décideurs traumatisés par la violente dérive islamiste des années 1990 qui accusent l'école des années 1970-1980 d'avoir créé des terroristes à cause de l'influence des islamistes et des conservateurs au sein du système éducatif. »


« Quand elle a pris ses fonctions, elle a appelé le Premier ministre pour discuter des consignes qu'il aurait à lui donner. Il lui a répondu qu'elle savait exactement ce qu'elle devait faire », raconte un proche d'Abdelaziz Bouteflika, le président algérien. « Elle s'attendait aux critiques. Elle n'est pas naïve. Pendant la période des violences islamistes durant les années 1990, elle vivait en Algérie. C'est une intellectuelle qui a analysé la société et les profondes forces qui la dominent. Mais elle tient bon, c'est un roc de convictions, explique un de ses collaborateurs. Vu la réaction des adeptes du wahhabisme, nous sommes sûrs d'être sur la bonne voie ! » Se sent-elle physiquement menacée ? « Pas plus que n'importe quel responsable chez nous, elle n'est pas du tout alarmiste », poursuit-il.


Que reprochent les milieux conservateurs, les partis islamistes et certains médias populistes à cette ministre venue de l'université ? « De vouloir faire de l'école un véritable lieu de savoir par excellence », affirme ainsi Ahmed Ouyahia, chef de cabinet du président Bouteflika et anti-islamiste déclaré. En fait, les réformes de Benghabrit sont simples. Elle veut passer de la logique de l'enseignement à l'apprentissage, assurer une meilleure connaissance des langues, « algérianiser » les contenus littéraires et même, parfois, inclure les langues étrangères dans les cours de sciences. Une véritable révolution. Elle n'est pas la première à avoir tenté ces réformes impossibles. Au début des années 2000, Abdelaziz Bouteflika, nouvellement élu, avait lancé ce grand chantier. Déjà, les conservateurs criaient à l'« occidentalisation » de l'école, car les propositions des experts plaidaient dans le sens d'une plus grande diversification de l'apprentissage du français et de l'anglais tout en gardant la place prépondérante de la langue arabe.


Restées en partie lettre morte, ces réformes, otages des équilibres que le pouvoir politique voulait sauvegarder entre plusieurs chapelles idéologiques, ont été remises au goût du jour par Benghabrit en 2014. Avec ce résultat : quand elle a pris les commandes de ce secteur qui absorbe à lui seul 30 % des fonctionnaires, l'hostilité des conservateurs, des islamistes et des syndicats a été immédiate.


Pour les islamistes, et à leur tête le Mouvement de la société pour la paix (MSP, tendance Frères musulmans), les ambitions de la ministre sont une véritable déclaration de guerre : le président du mouvement, Abderrezak Makri, ne cesse de demander la démission de la ministre pour « atteinte à l'identité nationale ». Quand, au printemps, son homologue française, Najat Vallaud-Belkacem, en visite à Alger, avait évoqué la coopération entre les deux pays dans le cadre des réformes, le leader islamiste n'avait pas raté l'occasion et dénoncé « la tentative de franciser l'école algérienne » ! Mais Benghabrit ne lâche rien. Quelques jours plus tard, face aux députés de l'Assemblée populaire nationale, elle avait trouvé la parade : « Notre ennemi principal aujourd'hui, c'est la médiocrité. »


Qu'est-ce qui fait tenir cette sociologue de formation, une des meilleures spécialistes de l'éducation en Algérie ? Au-delà du soutien de ses camarades du gouvernement, c'est sa ténacité : « C'était déjà un trait de caractère bien saillant chez elle et qui s'est renforcé avec son parcours professionnel et académique, face aussi aux crises qu'elle a dû, à l'époque, affronter », témoigne la sociologue Fatma Oussedik. Un parcours scientifique brillant, reconnaissent même ses opposants : « Quoique je ne partage pas ses visions sur l'éducation et la pédagogie, je lui reconnais une grande compétence dans le domaine, et du courage aussi », admet Idir Achour, porte-parole de la Coordination des lycées d'Alger.


Directrice de 1995 à 2015 du CRASC d'Oran, doctorante de troisième cycle à Paris-V Sorbonne et auteur de plusieurs études sur l'éducation, cette native d'Oujda, ville frontalière marocaine, a toujours impressionné ses collègues par son caractère de feu. « Dans le passé, plusieurs crises ont éclaté entre elle et d'autres chercheurs, se souvient un de ses collaborateurs à Oran. Mais Benghabrit a toujours eu le dernier mot. Elle a une sorte d'intransigeance naturelle et elle sait qu'elle ne doit son poste de responsable d'un grand centre de recherche ou de ministre qu'à ses compétences. » Sous-entendu, pas pour faire de la figuration ou pour féminiser l'image du gouvernement.


Algérie: haro sur le voile ?


« Elle tire sa combativité de l'héritage que nous avions, nous, filles de l'indépendance, du combat de nos aînées, de Djamila Bouhired à Hassiba ben Bouali [héroïnes algériennes de la guerre d'indépendance] », insiste Fatma Oussedik, également membre du réseau Wassila (collectif d'associations) pour les droits des femmes. Benghabrit appartient à cette génération de militants progressistes, tiers-mondistes, qui s'activaient dans les facultés de tout le pays, babas cool engagés, bardés de diplômes, qu'on trouvait à l'époque infiltrés au sein même du parti-État, le FLN, ou activistes dans les organisations communistes clandestines. Son mari, l'historien de renom Hassan Remaoun, est lui aussi une figure de cette génération qui a donné une classe technocrate volontariste, assez bien formée, qui a soutenu l'effort « socialiste » des années 1970, la libéralisation prudente des années 1980 et qui, malgré les désillusions face à un système fermé au changement, malgré le cataclysme des années 1990 et sa guerre civile, a continué à « servir l'État algérien et non pas un régime », selon un ancien haut cadre de l'État.


« Les années 1990 ont été une période difficile pour le monde de la recherche, des universitaires et des intellectuels : l'exil, les assassinats, la difficulté de travailler avec d'autres centres à l'étranger », se rappelle un assistant de Benghabrit à l'université. « Grâce à elle, l'école doctorale en anthropologie a vu le jour et nous travaillons avec des chercheurs associés du monde entier », énumère Belkacem Benzenine, actuel directeur du CRASC. « Benghabrit est têtue, elle essaie par tous les moyens de te faire adhérer à sa cause, raconte un syndicaliste, mais, en même temps, elle fait attention à ne pas provoquer : elle a envoyé des messages d'apaisement aux Oulémas [association traditionaliste musulmane] pour les rassurer sur la place de l'arabe et de l'éducation islamique, elle a aussi négocié jusqu'à épuisement avec les syndicats qui lui ont fait la guerre. » Prudente, elle a raison de l'être : « Les enjeux de l'éducation dans mon pays dépassent, me semble-t-il, ma personne », avoue-t-elle à la presse. « Dans cette polémique autour du système éducatif, le souci n'est pas d'être contre ou pour Benghabrit. C'est là le piège mis en place par le pouvoir pour dévitaliser le vrai débat au sein de l'élite », prévient le journaliste et écrivain arabophone Hmida Layachi. « La vraie question n'est pas celle de l'arabe ou du français, renchérit la sociologue Fatma Oussedik. L'enjeu est qu'il y a contradiction entre le système éducatif qui impose d'apprendre par coeur et celui qui permet de réfléchir. L'enjeu est que l'école redevienne cet important acquis de l'indépendance, redevienne un élément de l'ascension sociale, comme ce fut le cas jusqu'aux années 1970. » Nouria Benghabrit croit dans son combat. Elle ne lâche rien. Pour l'instant.


La ministre de l'Éducation nationale algérienne Nouria Benghabrit ne semble pas prête à céder face aux menaces des islamo-conservateurs. Comparée par de nombreux Algériens à la chancelière allemande Angela Merkel en raison de ses cheveux courts, de ses tailleurs stricts et de son caractère inflexible, cette sociologue de 63 ans subit des attaques sans précédent depuis qu'elle s'est attachée à réformer l'Éducation nationale. Dernière tentative en date : Nouria Benghbrit fait face depuis la rentrée scolaire à de virulentes critiques et attaques suite à la suppression de la besmala, c'est-à-dire la formule religieuse « Bismillah Arrahman Arrahim » (la citation « au nom de Dieu clément et miséricordieux »), qui précède chaque sourate du Coran) des manuels scolaires. Sur la pression des islamistes et des conservateurs, le président du Haut Conseil islamiste, Bouabdellah Ghlamallah, a enjoint à la ministre de rétablir cette formule « dans les prochaines éditions du manuel scolaire, pour mentionner que l'État algérien est musulman ». À suivre...