RAPPORT DEMERS SUR L’ENSEIGNEMENT COLLÉGIAL

Alerte à la dérive du clientélisme scolaire

En appliquant ce rapport mal avisé, le gouvernement s’attaquerait à la mission humaniste de l’enseignement supérieur

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«Une attaque sournoise contre la formation générale»

Le 20 octobre, le ministre Yves Bolduc a accueilli favorablement les conclusions d’un rapport proposant de transformer le socle commun de cours de la formation générale collégiale par un panier flexible de cours optionnels au choix de l’étudiant. Or, cette proposition constitue une attaque directe à la mission des cégeps et au projet éducatif humaniste hérité de la Révolution tranquille. Contre cette dérive, il nous apparaît urgent de rappeler que l’éducation collégiale ne se réduit pas à la formation à l’emploi, mais qu’elle vise d’abord la formation de l’esprit, la transmission d’un héritage culturel et humain partagé, le développement de la faculté de juger et, surtout, l’inscription de chacun et chacune dans un monde commun dont ils et elles auront le souci. C’est pourquoi la formation générale a pris la forme d’un tronc commun de cours de français ou littérature, d’anglais langue seconde, de philosophie et d’éducation physique visant à développer les multiples facettes de la personne humaine. Et, surtout, c’est pourquoi elle ne doit pas devenir un buffet à la carte à la merci du caprice du « client ».

Le rapport Demers : une attaque sournoise contre la formation générale

Le Rapport final du chantier sur l’offre de formation collégiale, rédigé par Guy Demers, préconise un arrimage encore plus grand entre la formation collégiale et le marché de l’emploi. Le document s’intéresse principalement aux programmes techniques, au financement des cégeps et à la formation continue. Sous ses recommandations diversifiées se profile un objectif clair : adapter les programmes aux besoins du développement économique et technologique.

Dans le but d’augmenter le rythme de la diplomation, le rapport propose notamment de créer de nouveaux diplômes collégiaux (par exemple le « Certificat d’études collégial technique ou CECT ») permettant à des étudiants d’être diplômés sans avoir effectué la formation générale (français, philosophie, anglais, éducation physique) ou en ayant échoué à l’épreuve de maîtrise du français d’usage.

Le rapport ne parle qu’en bout de course de la formation générale, se contentant de mentionner au détour qu’elle n’est plus adaptée aux changements technico-économiques d’aujourd’hui, puisqu’elle est « demeurée sensiblement la même depuis la fondation des cégeps, soit depuis près de cinquante ans ». Pour « assouplir » la formation générale, le rapport propose alors de s’en remettre non plus à un socle commun et cohérent de cours, comme le préconisait le rapport Parent, mais au « libre choix de l’étudiant ». Si ces propositions entraient en vigueur, les institutions d’enseignement, c’est du moins notre inquiétude, seraient détournées de leur mission et se fonderaient dès lors exclusivement en réponse aux attentes pratiques et techniques du marché de l’emploi.

Le rapport Demers lorgne du côté du modèle ontarien. Dans ce modèle, l’étudiant doit suivre « entre trois et cinq cours de formation générale » en parallèle de sa formation technique dans les domaines suivants : « les arts dans la société, le citoyen, le social et le culturel, la croissance personnelle, la science et la technologie ». Or, en Ontario, faut-il le souligner, les étudiants n’entrent pas en contact avec les exigences de la philosophie, à cette formation fondamentale où le jugement de tout un chacun, quel que soit son travail plus tard dans la société, devrait trouver racine. Or, par définition, la philosophie s’exerce en contrepoint des besoins du développement technico-économique. Elle exige l’approfondissement d’un rapport réflexif au monde et à une tradition intellectuelle qui sont en rupture avec l’utilitarisme à courte vue qui inspire le rapport Demers et le gouvernement Couillard.

Préserver l’humanisme du rapport Parent

Dans le rapport Parent, dont découlent les cégeps, on a longuement insisté sur l’importance de ne pas réduire l’éducation à une formation technico-économique, mais d’accorder autant d’importance à un socle commun de cours centrés autour de la culture, des humanités et de la philosophie, lesquels visaient à transmettre un fonds culturel commun. Si le gouvernement Couillard s’engageait plus avant dans le clientélisme scolaire et son compendium, « le panier flexible » de cours optionnels et la formation à la carte individualisée, il ne se limiterait pas à appauvrir matériellement les cégeps et universités : il appauvrirait intellectuellement et culturellement le Québec.

Cette proposition vise à réduire la place non seulement de la philosophie, mais de l’ensemble des cours obligatoires de formation générale. Le 20 octobre, le ministre Bolduc a annoncé que bon nombre des recommandations du rapport seraient bientôt mises en oeuvre. Le président de la fédération des cégeps, Jean Beauchesne, s’est exprimé dans le même sens : « Est-ce que la formation générale obligatoire ne pourrait pas être plutôt un panier avec un minimum obligatoire pour tout le monde, le plus minimum possible, et un panier dans lequel l’étudiant pourrait ensuite choisir ? » Ces nombreux signaux, de même que le flou général entourant les intentions concrètes du ministre suscitent notre inquiétude.

C’est pourquoi nous invitons le gouvernement à abandonner les orientations mal avisées du rapport Demers, tout en appelant nos collègues et la population en général à se porter à la défense de l’esprit humaniste qui devrait être au fondement même de notre projet éducatif.

*Hugues Bonenfant, Marianne Di Croce, Madeleine Ferland, Éric Martin, Sébastien St-Onge.


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