Aimer ou démoniser Israël?

Par Jean Ouellette

Géopolitique — Proche-Orient

Libre-Opinion: Je vois déjà nos faiseurs d'opinion incrédules esquisser un geste défensif à la lecture d'un tel titre. Comment peut-on faire luire à des esprits imprégnés de la vérité du narratif palestinien la perspective d'une découverte, réelle ou virtuelle, d'une terre que nos catéchismes d'antan qualifiaient de sainte, mais que le mur de l'apartheid, selon une expression chère à nos médias, rend à jamais inhospitalière pour quiconque se targue de rejeter le sionisme au nom d'une vague défense de l'antiracisme?

Peut-on imaginer, au-delà des images qui nous assiègent, choquantes pour des yeux habitués à plus de décence, que l'opinion des gens du Québec demeure néanmoins ouverte à un discours moins idéologique et, partant, susceptible de découvrir les attraits incontestables de la réalité israélienne ? Y a-t-il, comme on a pu le lire récemment dans Le Soleil, une vérité israélienne des choses qui viendrait en contradiction avec l'interprétation partagée par le reste du monde ?
Offensons les irréductibles et lâchons le qualificatif à la mode : Israël est un pays cool ! Je sens déjà que l'on ne m'aime plus. J'insiste. Le pays ne se réduit pas aux paramètres du conflit israélo-palestinien tel qu'il est rapporté dans nos médias. Chacun, selon ses affinités personnelles, sa curiosité intellectuelle ou encore selon ses intérêts professionnels, y trouvera largement son compte.
Au risque de tomber dans le piège d'un mercantilisme superficiel qui siérait davantage à un publireportage, je citerai, ne serait-ce qu'en passant, l'attrait irrésistible de l'industrie touristique d'Israël, tout en prenant bien soin de souligner que ce petit pays dépourvu de richesses naturelles a résolument opté pour une économie fondée sur un savoir du plus haut niveau.
Il revient aux plus jeunes de célébrer les plaisirs nocturnes de Tel-Aviv, souvent préférés à l'austère découverte des richesses historiques de Jérusalem la religieuse. Certains préféreront les paysages ondulés de la Galilée ou encore la douce piété de Safed, bien blottie au creux de ses collines et toute vibrante encore aux élans mystiques qui l'animèrent autrefois. D'autres, enfin, trouveront leur inspiration dans les déserts de Juda ou seront sensibles aux variations extrêmes des températures du Negev et à l'infinie diversité de ses coloris.
Mais Israël, c'est avant tout sa population diversifiée et une jeunesse qui porte son pays à bout de bras et qui, pour prix de son service, accepte de reporter ses rêves et ses projets personnels à un âge où les jeunes d'ici commencent déjà à se sentir installés dans la vie. La jeunesse d'Israël offre, pour qui veut dessiller ses yeux, une définition renouvelée de la résilience.
Impératifs de protection
Exécrable propagande sioniste ? Sans aucun doute, répondront ceux parmi nous qui s'abreuvent aux eaux délétères distillées par tous ces experts et analystes de la scène internationale et crient au scandale devant le «mur de la honte» érigé sans grand enthousiasme par Israël.
Faut-il être aveuglé par une fallacieuse définition du sionisme comme doctrine politique pour songer à combattre l'entreprise sioniste au nom de je ne sais quel antiracisme primaire ? A-t-on oublié, en ces cercles, que l'infâme équation onusienne a bel et bien été révoquée ? Faut-il être de droite et fascisant pour comprendre que le mur dit de l'apartheid répond à des impératifs de protection et qu'il tombera vraisemblablement sous les pics des démolisseurs au terme d'un accord de paix ?
Pour d'autres, c'est le facteur religieux qui est à la base de leur réticences envers l'État juif. État théocratique, objecteront-ils, sans se douter qu'ils définissent l'identité juive, individuelle et collective, en termes empruntés à la théologie chrétienne de façon à réduire la judaïté à l'espace proprement religieux.
Ou alors, ils sont obnubilés par l'engouement dont jouissent, chez nous et ailleurs, certains universitaires juifs qui ont réussi à se convaincre que le sionisme contredit les enseignements fondamentaux du judaïsme. Ces universitaires sont notamment à l'oeuvre aux États-Unis, en France, et parfois même en Israël. Chez nous, la thèse est développée par l'auteur d'un livre intitulé Au nom de la Torah et lancé tout récemment en anglais. L'ouvrage n'aura été applaudi, somme toute, que par ceux qui estiment avoir des comptes à régler avec l'État juif puisqu'il préconise l'élimination d'Israël au profit d'une vague entité binationale.
La Palestine
Enfin, les partisans d'une représentation visant à diaboliser Israël contesteront la légitimité de l'État juif sur la base du cruel conflit qui oppose Israéliens et Palestiniens. Les médias présentent ce conflit comme une dispute territoriale (ce qu'il est aussi) entre deux mouvements nationaux rivaux. Dans la mesure où le sionisme prend la forme, à leurs yeux, d'une entreprise coloniale, l'enjeu, pour la population indigène, est d'expulser l'occupant étranger.
Dans cette perspective, le terme «occupation» reçoit diverses acceptions selon les factions en cause. Les accords d'Oslo auraient pu, théoriquement, régler le conflit défini dans ces termes. En utilisant l'expression «le cycle de la violence» pour décrire le conflit qui oppose Israël aux «militants palestiniens», beaucoup d'analystes brouillent commodément la distinction essentielle que l'on se doit de faire entre les victimes d'actes terroristes et ceux qui jugent bon de les perpétrer.
De là à accuser Israël d'un déni de justice permanent à l'égard de la population palestinien, il n'y a qu'un pas, et il est aisément franchi. Les Israéliens sont alors perçus dans le rôle peu enviable de ceux qui bloquent irrémédiablement les aspirations légitimes des Palestiniens.
Fuseront alors, en certains cercles, des attaques insidieuses contre des pratiques de l'armée israélienne qui n'auraient rien à envier aux atrocités commises par les nazis ! On sous-entend que les militants d'un mouvement national peuvent recourir à tous les moyens, la terreur comprise, pour réaliser leurs aspirations.
En réalité, le conflit comporte une autre dimension, rendue plus évidente encore depuis l'élection du Hamas : celle d'un mouvement islamiste proche des aspirations des Frères musulmans dont il procède idéologiquement. L'enjeu n'est plus l'occupation, mais la restauration à la Umma islamique de la totalité de terres vues comme parti intégrante de Dar Al-islam (La Maison de l'Islam) et tombées entre les mains des infidèles que sont les Juifs qui se réclament du sionisme.
Une résolution du conflit ainsi défini est plus difficile à entrevoir. Le plan de désengagement du présent gouvernement israélien découle logiquement de ce constat.
Je veux être réaliste. Aucun argument n'ébranlera l'entêtement de ceux qui persistent à croire qu'une sorte de faute originelle a entaché le sionisme dès lors que le rêve nostalgique de Sion se transforma en projet politique. Mais comment ne pas voir qu'en soutenant Israël, les démocraties renforceront les factions modérées et favoriseront peut-être ainsi l'émergence d'un État palestinien ?
Jean Ouellette
_ Professeur retraité de l'Université de Montréal, spécialiste en études juives


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