AÉCG, OGM, mondialisation. Entrevue avec José Bové.

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«Le plus inquiétant est la mise en place d'un Tribunal arbitral qui permettra aux firmes de poursuivre les États lorsque des modifications réglementaires ne leur conviendront pas.» - José Bovet





MISE À JOUR: José Bové ne sera finalement pas expulsé du Canada après avoir été bloqué pendant plusieurs heures aux douanes. Les autorités, pourtant si obsédées par la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes, s'étaient empressées dans un premier temps de redécouvrir les « bienfaits » du contrôle des frontières, question de protéger leurs dogmes et intérêts...

Devant le tollé provoqué par la décision, Ottawa a fait volte-face.

 


L’eurodéputé José Bové est un militant bien connu, en France et dans le monde entier. Il est aujourd’hui à Montréal et sera ce soir en conférence au Centre Saint-Pierre, à l’invitation du Conseil des Canadiens, pour nous exposer les raisons de son opposition à l’Accord économique et commercial global (AÉCG) entre le Canada et l’Union européenne.


Je l’ai questionné sur ses principaux combats, à commencer, justement, par l’AÉCG, mais aussi sur les raisons de cet unanimisme de la classe politique en faveur d’un libre-échange despotique. Je lui ai également demandé de nous résumer les motivations derrière sa longue lutte contre la prolifération des OGM, qu’on a encore le culot de nous présenter comme de véritables produits alimentaires.


Ceux qui ont l’habitude de me lire devineront que, si j’approuve l’entièreté de ses arguments sur ces enjeux, je suis en total désaccord avec sa réponse à ma dernière question, portant sur l’importance de l’État-nation pour contrer la mondialisation totalisante et débridée. Je suis quant à moi convaincu que la souveraineté nationale demeure la meilleure voie démocratique à emprunter, que celle-ci est même la seule garante d’une véritable coopération entre les peuples, et que toute utopie supranationale est foncièrement dangereuse. C’est là la divergence fondamentale entre démondialistes (dont je suis) et altermondialistes. Je ne souhaite pas ici m’étendre là-dessus et j’aurai l'occasion d’y revenir dans de futurs billets.


Je tiens à remercier chaleureusement José Bové pour ses généreuses réponses. Bonne lecture !


 



  • Monsieur Bové, vous êtes présentement en tournée au Québec pour alerter les gens contre l’Accord économique et commercial global (AÉCG) entre l’Union européenne et le Canada. Quelles sont selon vous les principales menaces que le traité porte avec lui ?


En premier lieu, je tiens à remercier Maude Barlow et le Conseil des Canadiens pour leur invitation et pour le travail incroyable qu’ils font depuis des années pour expliquer les conséquences du commerce international aux citoyens.


Grâce à la forte mobilisation, le TTIP – Accord de Libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis a du plomb dans l’aile. Les dirigeants ont compris qu’ils ne parviendront pas à le finaliser rapidement et à l’imposer aux gens. Alors ils misent toutes leurs chances sur l’Accord avec le Canada qui a été moins médiatisé en Europe. Mais AÉCG ou TTIP, c’est blanc bonnet et bonnet blanc. Le plus inquiétant est la mise en place d’un Tribunal arbitral qui permettra aux firmes de poursuivre les États lorsque des modifications réglementaires ne leur conviendront pas. Au Canada et particulièrement au Québec, vous êtes particulièrement bien placés pour voir comment cet outil est utilisé pour peser sur des gouvernements démocratiquement élus. Par exemple, l’entreprise américaine Lone Pine réclame plus près de 120 millions de dollars au gouvernement canadien parce qu’elle ne peut pas exploiter les gaz de schiste comme elle le souhaitait au Québec. Ces tribunaux arbitraux sont purement et simplement scandaleux. Ils sont également dangereux pour l’idée même de démocratie car ils placent les multinationales au même niveau que des gouvernements. Selon moi cet Accord est également illégal car il introduit une discrimination entre les citoyens européens et en particulier certains paysans. En effet, il traite à la légère la question de la protection de la Propriété Intellectuelle Collective, c’est-à-dire les fromages AOP et autres formes d’Indications Géographiques. La Cour de Justice de l’Union européenne, qui vient de se prononcer sur l’illégalité de l’Accord de libre-échange avec le Maroc, pourrait également sanctionner celui avec le Canada. La diplomatie européenne et française perdent leur crédibilité en ne respectant pas leur droit interne et le droit international.



  • Les accords de libre-échange prolifèrent. Comment expliquez-vous l’unanimisme des classes politiques à leur endroit ?


Le consensus néolibéral qui régnait au milieu des années 1990 a du plomb dans l’aile. Les gens se rendent bien compte que les avantages sont allés essentiellement aux entreprises et à leurs actionnaires. Dans pas mal de pays de l’UE, les parlements nationaux ont déjà fait savoir leur refus de l’AÉCG. Le gouvernement français a même été contraint face à la grogne des citoyens d’annoncer qu’il ne soutenait plus la Commission européenne dans ses négociations commerciales avec Washington. Les partisans du libre-échange à tout prix comme le Vice Chancelier allemand Sigmar Gabriel ou le premier Ministre français Manuel Valls sont les représentants d’une classe politique qui manque totalement d’imagination et qui pense que les recettes qui ont raté hier pourraient faire des miracles aujourd’hui. Ils sont également incapables de comprendre les évolutions très rapides de nos économies comme par exemple l’ubérisation de nos sociétés et les conséquences que cela implique en terme d’emploi. Ces nouvelles technologies remettent en cause des pans entiers de nos économies. Beaucoup de ces nouveaux géants de l’information sont à la limite de la légalité, ou carrément dans la fraude et ne payent pratiquement aucun impôt. Manuel Valls devrait être au Canada, non pas pour discuter de l’ouverture de quotas de viande de porcs ou de fromages, mais pour voir avec ses homologues canadiens quelles mesures doivent être instaurées pour que ces entreprises paient des impôts sur leurs profits. Loin d’être partisan du repli, je suis au contraire favorable à la création d’Accords qui permettent de faire rentrer dans le rang ces sociétés peu scrupuleuses et qui accompagneront et réguleront les avancées technologiques plutôt que de les subir.



  • Vous sensibilisez vos compatriotes français sur l’enjeu des organismes génétiquement modifiés (OGM) depuis très longtemps. Pouvez-vous nous présenter sommairement vos préoccupations ?


Les OGM ont été mis en place non pas pour répondre aux besoins des agriculteurs ou des consommateurs mais pour que des multinationales augmentent leurs ventes de pesticides. Il suffit de regarder l’explosion des ventes de Round Up et de glyphosate dans les pays où ces plantes transgéniques sont autorisées. L’utilisation des OGM ne s’est pas traduite par une amélioration de l’environnement, au contraire. Résidus de glyphosate dans les eaux, développement des super mauvaises herbes, problèmes pour la santé, intérêt nul pour les consommateurs... Tout cela nous l’avons dit et répété. Nos efforts ont payé puisqu’il n’y a pratiquement pas de cultures OGM en Europe. Aujourd’hui la filière de l’agrochimie est dans une dernière phase de consolidation. Bayer rachète Monsanto. Cette boite vend des pesticides pour tuer les herbes et les insectes d’un côté et des médicaments pour guérir les gens de l’autre. C’est aberrant, non ? Mais ce qui est encore plus scandaleux, c’est comment ces firmes ont réussi à imposer la brevetabilité du vivant. Que des gènes soient brevetés cela me révolte profondément. La biodiversité est une richesse trop importante pour notre avenir commun. Nous ne pouvons accepter que trois ou quatre entreprises mettent la main dessus et demandent de payer des royalties sur ce que les paysans sèment.



  • La réponse à cette mondialisation totalisante et débridée réside-t-elle dans une revalorisation de l’État-nation ?


La semaine dernière nous avons ratifié au Parlement européen l’Accord de Paris contre le Réchauffement Climatique qui va donc pouvoir entrer en œuvre rapidement. Sur 751 députés européens plus de 610 ont voté pour et à peine 35 contre. Ces climato sceptiques sont les députés français d’extrême-droite du Front National et une poignée de leurs amis nationalistes. Principaux défenseurs de la nation ou du peuple ou des deux, ils pensent pouvoir régler la question du climat dans les frontières hexagonales. Cela montre leur aveuglement.


L’État-nation a fait son temps, je pense qu’il n’est plus pertinent sur l’environnement mais également sur les questions économiques et fiscales. Face à des entreprises gigantesques comme Wal-Mart, Facebook, Google, Apple, Amazon, les États pris séparément n’ont plus les muscles nécessaires pour les contraindre à modifier leur comportement de voyous. La France, comme la Slovaquie, le Saskatchewan ou l’Ohio ne font plus le poids. Les citoyens veulent être protégés. Ils sentent bien que l’économie est en constante mutation, que les jobs évoluent, qu’ils doivent sans arrêt, se former, s’adapter. Les États ne parviennent plus à jouer leur rôle de régulateurs. Ce qui se passe en Europe est révélateur. D’un côté les Écossais, les Wallons, les Flamands, les Corses, les Basques ou les Catalans revendiquent plus d’autonomie ou l’indépendance complète. Mais attention, ils ne souhaitent absolument pas sortir de l’Union européenne, au contraire. J’y vois une remise en cause de l’échelon étatique qui n’apparait plus comme légitime aux yeux des gens car il ne parvient pas à trouver des solutions concrètes, pratiques et adaptées. Plus de pouvoirs pour les régions, plus d’Europe, plus de collaboration internationale et moins d’État, voilà mon souhait. Les gens qui s’arcboutent sur l’État-nation manquent cruellement d’imagination. Ils avancent en regardant dans le rétroviseur. Ce n’est pas la bonne solution.


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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).





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