PIERRE DROUILLY (1946-2014)

À la mémoire d’un sociologue engagé

2fab9d3ac1e4ba0cddd09be98eeee2b0

Une vie consacrée à comprendre le Québec

Extrait du prochain numéro du Bulletin d’histoire politique (vol. 23, no 2)

Au moment de terminer ce numéro, nous apprenons le décès de notre collègue et ami du Comité de rédaction du BHP, survenu le samedi 6 décembre 2014. Pierre travaillait à la revue et à l’Association québécoise d’histoire politique (AQHP) depuis plusieurs années, avec un sens des responsabilités et un sens de l’humour fort appréciés. Il avait toujours une histoire intéressante à raconter qui nous éloignait de l’ordre du jour… Depuis un an, il avait subi de nombreux et pénibles traitements contre un cancer.

Après des études en philosophie et en mathématiques, il a été professeur à l’UQAM de 1971 à 2011, enseignant en science politique ainsi qu’au Département de sociologie dont il a été le directeur. Ses analyses politiques et électorales ont connu un important retentissement dans les médias et la presse. Il les a présentées dans trois ouvrages : Le paradoxe canadien en 1979 ; Les illusions du pouvoir en 1981, dans lequel, avec Robert Barberis, il critique les erreurs stratégiques du gouvernement Lévesque ; et Indépendance et démocratie en 1997, où il analyse les sondages, les résultats des élections et des référendums ainsi que la conjoncture politique de 1992 à 1997.

En plus de ses collaborations à plusieurs ouvrages collectifs et revues politiques, il nous a fourni un nombre important d’instruments de recherche, souvent publiés par la Bibliothèque de l’Assemblée nationale, notamment sur le personnel politique et les statistiques électorales. Les deux imposants recueils de statistiques électorales qu’il a publiés en 1986, l’un pour les élections québécoises de 1867 à 1985, l’autre pour les élections fédérales tenues au Québec au cours de la même période, représentent des ouvrages incontournables et indispensables à la science politique. Pierre Drouilly a aussi produit des études sur le profil sociopolitique des Amérindiens ou la participation électorale des femmes. De plus, on lui doit en 1996 L’espace social de Montréal, qui dresse un portrait fort utile de 40 ans de vie sociale et politique montréalaise à travers plus de 400 cartes. Il a aussi travaillé étroitement avec une équipe de recherche sur l’opinion publique pendant plusieurs années.

Pendant sa retraite, il a achevé un monumental Atlas des élections au Québec depuis le premier Parlement du Bas-Canada au XVIIIe siècle jusqu’à nos jours, qu’il a remis à la Fondation Lionel-Groulx pour le rendre accessible sur son site Internet. Un travail colossal !

Homme engagé, travailleur infatigable, il acceptait de fournir son expertise tant aux organisations politiques qu’aux médias et il aimait présenter ses réflexions à la presse et en débattre. Il était un expert reconnu pour son jugement solide et la finesse de ses analyses, et sans rectitude politique. Dans ses études électorales, il a toujours veillé à distinguer les tendances sociologiques exprimées dans le vote de la population, notamment les différences manifestées entre le vote francophone et le vote anglophone, ce qui lui permettait d’affiner ses analyses comme peu d’analystes étaient en mesure de le faire.

Dans la présentation de son dernier ouvrage, Pierre Drouilly confiait que son intérêt pour l’analyse électorale au Québec était fondé en grande partie sur l’importance de l’enjeu de la souveraineté du Québec. Et il ajoutait : « Et c’est aussi l’importance de cet enjeu qui m’a toujours poussé hors des cénacles académiques et amené à soumettre publiquement dans les médias le résultat de mes analyses, avec tous les risques intellectuels que cela comporte, car il est toujours plus périlleux de présenter ses idées devant une foule de citoyens réunis dans l’espace public que de le faire devant un cercle restreint de spécialistes, dans lequel le débat est soumis à des règles de politesse et de silence, tacites et convenues. Enfin, c’est l’engagement pour la souveraineté du Québec qui a toujours été pour moi une source inépuisable de curiosité intellectuelle pour les comportements électoraux et d’imagination sociologique pour tenter d’en comprendre les mécanismes. »

Pierre était la preuve que l’engagement politique était compatible avec la plus grande rigueur scientifique. Le Québec a perdu un chercheur déterminé, un vulgarisateur qui savait exposer avec clarté les questions d’opinion publique, ainsi qu’un universitaire modeste et soucieux de l’avenir du Québec. Le BHP a perdu un collaborateur apprécié. J’ai perdu un ami, un camarade engagé dans notre combat pour l’indépendance du Québec.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->