96 milliards de plus pour l'armée

Les dépenses sont trois fois plus élevées que celles annoncées par Harper

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Ottawa -- La stratégie «Canada d'abord» du ministère de la Défense prévoit de nouvelles dépenses de 96 milliards de dollars en 20 ans, soit trois fois plus que ce qui a été annoncé par le premier ministre Stephen Harper lundi à Halifax. Uniquement en ce qui concerne les cinq plus grosses acquisitions de matériel militaire d'ici 20 ans, les Forces canadiennes estiment que les dépenses atteindront de 45 à 50 milliards de dollars.
Le ministère de la Défense a convoqué les journalistes hier pour mieux expliquer la stratégie dévoilée lundi par le gouvernement Harper. Le premier ministre et le ministre de la Défense étaient alors restés très vagues en ce qui a trait aux coûts, aux échéanciers et aux orientations précises de ce plan militaire qui s'échelonne sur deux décennies. Le gouvernement annonçait alors un investissement de 30 milliards, une somme bien inférieure aux chiffres qui circulaient dans le milieu de la défense, comme Le Devoir le révélait hier.
«Il y a eu une mauvaise compréhension des chiffres et des budgets lors de l'annonce», a poliment confirmé hier un haut gradé militaire qui ne peut être nommé. En fait, la somme de 30 milliards de dollars fait référence au budget annuel de l'armée canadienne en 2031-32, soit 20 ans après l'année 2011-12, qui sert d'année zéro pour ce plan. Il ne s'agit donc pas de l'investissement total du gouvernement fédéral sur une période de 20 ans mais bien de l'objectif annuel à atteindre.
En 2011-12, le budget du ministère de la Défense s'élèvera à environ 20 milliards de dollars. Il grimpera ensuite de 2 % par année jusqu'en 2031-32. Le total de cette hausse se chiffre à 96 milliards de dollars.
Pourquoi ce montant n'a-t-il pas été rendu public lundi? Le bureau du ministre de la Défense, Peter MacKay, n'a pas rappelé Le Devoir hier. Les militaires présents à la séance d'information n'ont pas pu expliquer cette «confusion» quant aux montants.
Mardi, une source du milieu de la défense avait soutenu auprès du Devoir que la somme avoisinant les 100 milliards de dollars avait été annexée au vrai document Canada d'abord, qui ne sera pas rendu public puisqu'on le juge trop précis et controversé. Cette version détaillée préparée par les Forces canadiennes l'an dernier fait 39 pages. Lundi, le public a plutôt eu droit à quatre communiqués de presse. «Politiquement, 100 milliards en nouvelles dépenses militaires, même si c'est sur 20 ans, c'est dur à vendre à la population», avait dit cette source pour expliquer le silence du gouvernement.
Beaucoup de projets
Cette rondelette somme de 96 milliards sera donc intégrée au budget annuel de la Défense sur 20 ans. Elle servira non seulement à couvrir la hausse des coûts fixes de l'armée (chauffage, salaires, etc.) mais également à lancer plusieurs nouveaux projets. Plutôt que de demander au gouvernement de nouveaux fonds pour ses nouvelles acquisitions, le ministère de la Défense devra dorénavant trouver un moyen de les financer à l'intérieur de cette enveloppe budgétaire prévisible.
«Ce sera comme une hypothèque», a expliqué un militaire qui oeuvre au sein de la division budgétaire de l'armée et qui était présent à la séance d'information hier. «Le gouvernement, via le Conseil du trésor, va nous avancer la somme pour acheter l'équipement et nous allons le rembourser sur plusieurs années avec notre budget annuel. Le fait d'avoir un budget stable et croissant nous permet de mieux prévoir nos achats et de ne pas faire des demandes projet par projet. On sait où on s'en va.»
Plusieurs projets seront mis en marche d'ici 20 ans, ce qui explique l'ampleur de la somme. Parmi les plus importants, il y a la réfection des infrastructures militaires dans une proportion de 25 % d'ici 10 ans et de 50 % d'ici 20 ans. Le ministère de la Défense dispose de 21 000 bâtiments et de 12 000 routes sur 800 propriétés. Environ 50 % des infrastructures du ministère ont plus de 50 ans.
Le gouvernement veut aussi embaucher 5000 nouveaux soldats réguliers, pour un total de 70 000 personnes. Même si le recrutement va bien, les nombreux départs à la retraite empêchent une croissance plus rapide des Forces canadiennes. La réserve passera quant à elle de 24 000 à 30 000 personnes.
La somme de 96 milliards servira aussi à couvrir les coûts d'entretien de l'équipement militaire, notamment les achats annoncés par les conservateurs depuis 2006 (hélicoptères Chinook, avions C-130J, avions C-17, chars Leopard II, etc.), qui devront aussi être entretenus.
Cinq acquisitions majeures
Dans ses cartons, le ministère de la Défense a également cinq acquisitions de premier plan.
- 17 avions de recherche et sauvetage remplaceront les vétustes Buffalo CC115 et Hercules CC130. La mise en service complète est prévue en 2015.
- Plusieurs véhicules et systèmes de combat terrestre seront acquis. Il s'agit d'équipements variés qui seront remplacés entre 2010 et 2030.
- 15 destroyers et frégates seront mis en service entre 2017 et 2024.
- De 10 à 12 avions de patrouille maritime pour la surveillance remplaceront les appareils Aurora d'ici 2020.
- 65 chasseurs actuellement en développement en partenariat avec les États-Unis remplaceront les CF-18 vers 2017.
Selon le vice-chef d'état-major de la Défense, le lieutenant-général Walter Natynczyk, qui était présent hier lors de la séance d'information, la facture de ces cinq projets d'acquisition d'envergure se chiffrera entre 45 et 50 milliards de dollars en 20 ans. «50 % de cette somme ira au remplacement des destroyers et des frégates de la Marine. Les bateaux sont extrêmement coûteux», a-t-il dit.
Ce chiffre pourra évidemment fluctuer en fonction des développements technologiques ou des taux de change au fil des ans, a prévenu le ministère de la Défense. «Mais nous avons fait les meilleures estimations possibles en tenant compte de plusieurs facteurs», a précisé un haut gradé hier.
Le vice-chef d'état-major a défendu le plan «Canada d'abord», une stratégie qui «démontre l'ambition du gouvernement pour les Forces canadiennes», a soutenu le lieutenant-général Natynczyk. «Il s'agit d'un plan qui permet d'atteindre l'excellence au Canada et de montrer du leadership à l'étranger. Pour être un joueur crédible sur la scène internationale, il faut pouvoir être prêt à agir et à envoyer des soldats sur le terrain», a-t-il dit.
Après le discours d'introduction du lieutenant-général Natynczyk, les relationnistes du ministère de la Défense ont demandé aux journalistes de fermer les micros et les caméras afin de poursuivre la séance d'information avec les militaires présents sans attribution des citations, ce qu'on nomme familièrement «off the record» dans le milieu journalistique. Les médias ont protesté, soutenant que les propos du lieutenant-général Natynczyk, le numéro deux des Forces canadiennes, devraient pouvoir lui être attribués lors de la période de questions et de réponses.
Les militaires, visiblement mal à l'aise, ont maintenu cette directive. «Je comprends, mais je dois respecter les lignes directrices du gouvernement», a simplement affirmé le lieutenant-général Walter Natynczyk.


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